Le Métavers est mort !

Vive les Métavers ?

Article rédigé en partenariat avec le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux

Dans le monde de la tech et de la création numérique, rares sont les sujets suscitant autant la controverse que celui des Métavers. Concept technologique désormais célèbre – notamment après l’annonce en 2021 du fondateur de Facebook visant le rebranding de son entreprise (renommée Meta) et la création de sa plate-forme Métavers (Meta Platforms) –, il reste néanmoins sujet aux fantasmes les plus fous. Si beaucoup de spécialistes prédisaient, il y a quelques mois, l’arrivée imminente de ces nouveaux univers virtuels, plusieurs communiqués de firmes internationales (Facebook, Tencent, Walt Disney, …) ont récemment annoncé mettre un frein aux investissements massifs dans les Métavers. Les Métavers sont-ils définitivement tombés à l’eau ? Aujourd’hui, quel est l’état des lieux des Métavers existants ? Par quels usages artistiques existent-ils ? Que laissent présager ces mondes virtuels de la création future ? Autant de questions qui approfondissent le vaste débat des Métavers et dessinent les contours d’un futur possible de la création artistique.

M.O.A. (My own assistant) - Photo © Charles Ayats / Red Corner

M.O.A. (My own assistant) – Photo © Charles Ayats / Red Corner

Un ou des Métavers ?

En préalable, la question est toute simple : que sont les Métavers ? Force est de constater qu’une définition partagée peine à être trouvée par la communauté tech. La tentative de Philippe Fuchs, titulaire de la chaire Robotique et réalité virtuelle de PSA Peugeot-Citroën – Mines ParisTech et auteur d’ouvrages sur la VR, est intéressante car elle embrasse un ensemble de critères : “Les Métavers permettent à un nombre illimité d’usager.ère.s de partager simultanément des expériences sensori-motrices, cognitives et émotionnelles, qui sont collectives, publiques ou privées, dans un monde artificiel, persistant et évolutif, créé numériquement sur Internet, dans le but d’activités sociales, ludiques, économiques, professionnelles, artistiques ou culturelles”. Premier enseignement : il n’existe pas un seul et unique Métavers mais une multitude. Pour le dire plus explicitement encore, les Métavers ne sont pas la propriété unique de Facebook. Aujourd’hui, il existe en effet une pluralité de plates-formes comme VRChat, Sandbox VR, Wave, Decentraland ou Roblox. Cette dernière est notamment devenue la référence ultime au point d’être qualifiée par des spécialistes de proto Métavers (Le Meilleur des mondes, France Culture, avril 2023). Laurent Chrétien, ancien directeur de Laval Virtual et président de Komodal, prestataire de services B to B dans les mondes virtuels, précise également qu’“aujourd’hui, en Europe et aux États-Unis, il existe plus de 300 éditeurs de mondes virtuels. Il en sort toutes les semaines. De nouveaux géants émergeront, avec des modèles économiques sans doute encore à inventer”. De quoi entrevoir une réelle structuration des Métavers.

Ensuite, il existe une différence notable entre réalité virtuelle, dont l’équipement usuel est un casque VR, et Métavers. Autrement dit, un monde Métavers n’est pas nécessairement construit dans la réalité virtuelle (et vice versa). Un Métavers peut tout à fait être une plate-forme 3D en ligne, à la façon d’un Second Life devenu précurseur dans le domaine du gaming. Enfin, il est important de souligner le caractère social des Métavers puisqu’il s’agit ici de proposer des expériences collectives avec un grand nombre d’usager.ère.s, jusqu’à des millions simultanément. De cette vision sociale, absolument fondamentale, apparaissent trois éléments qui distinguent les Métavers de simples jeux vidéo, et particulièrement des MMOG (Massively multiplayer online game) : le critère d’ubiquité (le fait qu’un.e usager.ère soit incarné.e. par un avatar), le critère d’évolutivité des mondes virtuels (le fait que ces mondes soient en constante évolution même lorsque l’usager.ère n’est pas connecté.e), le critère d’interopérabilité (le fait que l’usager.ère garde son identité, ses objets, ses données en passant d’un Métavers à un autre). Ce dernier point est de loin le moins avancé et illustre le chemin à parcourir pour arriver à une sorte de “guichet unique”. Enfin, notons que les Métavers peuvent concerner tous les secteurs d’activité de la société : industrie aérospatiale, formation professionnelle, santé, architecture, sport de haut niveau, industrie pornographique, … et bien sûr les industries culturelles et créatives dans lesquelles les jeux vidéo arrivent en pole position. C’est justement sur les créneaux des industries culturelles et créatives, et de la Culture, que cette analyse se poursuit.

Virbela Komodal Meetup - Document © Komodal

Virbela Komodal Meetup – Document © Komodal

La mort des Métavers ?

Si des géants de l’entertainment comme Facebook ou Disney ont beaucoup investi dans les Métavers ces dernières années, ils ont fini par se rétracter en 2023, annonçant un désinvestissement. Faut-il y voir un abandon définitif de cette technologie ? Reconnaissons que la tendance Métavers est moins forte aujourd’hui qu’il y a quelques mois, éclipsée par les avancées dans l’intelligence artificielle (ChatGPT, Midjourney, …). En mars 2023, Marc Zuckerberg annonçait ainsi, dans une lettre adressée au personnel, que l’investissement le plus important de Méta porterait dorénavant sur l’IA. Cependant, de nombreux signaux faibles montrent que les Métavers semblent en état de veille et qu’ils redeviendront rapidement une priorité pour les géants de la tech… Premier indice : la vente des équipements comme les casques Oculus (filiale du groupe Meta) qui, bien qu’en chute commerciale (diminution totale de 2 % en 2022, selon une étude du cabinet de recherche NPD Group), n’est pas non plus négligeable (environ 20 millions de casques toutes marques confondues vendus en 2021 et 2022). Preuve de l’intérêt constant de Facebook, Meta annoncera prochainement une nouvelle gamme de lunettes immersives ; tout comme Apple qui planche sur une sortie de ses Apple Glass dans les prochains mois.

Deuxième indice : plutôt que de se concentrer sur un Métavers by Facebook sorti de nulle part (nombre d’expert.e.s estiment que cette annonce était un nuage de fumée pour occulter les failles de confidentialité du réseau social et l’exposition médiatique de l’audition au Sénat américain), il est sans doute plus judicieux de se concentrer sur les quelques plates-formes Métavers ayant trouvé un réel usage et de souligner leur état de santé financier. Du côté du gaming et particulièrement de Roblox, plate-forme ultra populaire de distribution de jeux adressée aux enfants et qui fonctionne comme un réseau social, le.la joueur.euse crée un avatar que l’on retrouve dans tous les autres jeux. Les chiffres de Roblox sont plus qu’explicites : 2 milliards de chiffre d’affaires en 2022 et plus de 200 millions d’utilisateur.rice.s actif.ve.s en 2023. Rien que cela !

Troisième indice : le secteur événementiel profite durablement des comportements post-Covid : les pratiques de rencontres en distanciel se sont généralisées et se taillent une part de marché importante. Laurent Chrétien confirme la tendance de fond : “Le confinement a généralisé un besoin des entreprises de moins se déplacer physiquement et de se rencontrer dans des espaces de réalité virtuelle, générant un intérêt pour les technologies immersives. Le secteur événementiel profite de cette opportunité en proposant des expériences de formation ou de séminaires avec un grand nombre de participant.e.s. Notre entreprise Komodal a par exemple organisé plus de 300 événements professionnels en l’espace de trois ans”.

Conclusion : quand le marché est en phase avec un usage, les Métavers existent et fonctionnent. Il y a donc fort à parier qu’ils reviennent en force – médiatiquement et financièrement – dans les prochains mois.

Matadero Madrid et L.E.V. NeuroXcape Hybrid E-Rave 666 - Document DR

Matadero Madrid et L.E.V. NeuroXcape Hybrid E-Rave 666 – Document DR

État de la création…

Alors quid de la création dans ces univers virtuels ? Il y a plusieurs façons d’observer cette inventivité artistique : en premier lieu à travers la création au sein des industries culturelles et créatives et particulièrement celles des jeux vidéo. Comme dit auparavant, c’est par la communauté que l’usage se crée. Les jeux dits “bac à sable” ou “sandbox” comme Fortnite Creative, Minecraft ou Roblox invitent les usager.ère.s à créer leurs propres univers et, de facto, leurs propres jeux vidéo. Grâce à une ergonomie optimisée (par exemple, modélisation 3D simplifiée par le No-Code), les joueur.euse.s vont s’approprier une boîte à outils et créer des expériences personnelles, scrutées au plus près par les concepteur.rice.s des jeux vidéo. Cette forme de “captation de la créativité” va jusqu’à débaucher certain.e.s joueur.euse.s intégrant officiellement les équipes de conception. Dans le domaine de la musique, les Majors semblent également avoir trouvé une niche exploitable à travers ces mêmes jeux “bac à sable”. Le Musicverse propose ainsi à une communauté des concerts live en ligne. Lil Nas X, Ariana Grande, Jean-Michel Jarre et consors cumulent ainsi des millions de spectateur.rice.s dans ces mondes virtuels. En 2022, Spotify, leader mondial du streaming musical, a ainsi lancé son propre monde virtuel sur Roblox. Les joueur.euse.s ont la possibilité d’interagir avec les avatars des artistes et accèdent à des contenus exclusifs. Par ailleurs, certains festivals en ligne ont déjà vu le jour avec plus ou moins de succès : Block By Blockwest (festival de musique sur Minecraft lancé en 2020) ou Coachella sur Fortnite en 2023 sont des tentatives nouvelles bien qu’encore limitées dans les interactions possibles.

Ensuite, loin des industries culturelles et créatives, au plus proche des disciplines artistiques et du spectacle vivant, les choses sont plus nuancées. L’intérêt ne manque pourtant pas chez les acteur.rice.s des arts numériques. L.E.V., festival d’arts numériques de Madrid, imaginait une édition 2022 appelée “Métavers, réalités en transition” avec plusieurs performances comme NeuroXcape Hybrid E-Rave 666: The Shadowbanner, une e-rave hybride mêlant virtuel et physique, et des installations explorant les enjeux du Métavers. Pourtant, les œuvres présentées ressemblaient davantage à des œuvres VR. Remarque semblable en France avec le festival Recto VRso, émanation du salon Laval Virtual (événement dédié aux technologies immersives) qui s’intéresse à la production de contenus artistiques immersifs (VR/AR) sans pour autant coller à une définition stricte et mentionnée précédemment des Métavers. Charles Ayats, designer interactif et game designer, partage ce sentiment : “Je pense que nous sommes très loin d’avoir des mondes métavers arpentables, faits d’expériences collectives et artistiques abouties. Pourtant, aujourd’hui, les éditorialistes en parlent comme s’il existait déjà, ce nouveau web avec ses usages établis. Il est vrai que la démocratisation des outils 3D est subjuguante, notamment grâce aux IA capables d’agréger des quantités astronomiques de contenus open source, de les traiter et de les réinterpréter. Sous peu, les artistes vont avoir accès à des outils incroyablement puissants et pourront créer des environnement 3D procéduralement, avec des règles paramétrables, aisément par écrit, sans savoir coder”. Le constat côté artiste est pour le moment assez unanime : de la même manière qu’il existe peu d’artistes se revendiquant “artistes Métavers”, il existe peu d’œuvres artistiques faisant consensus. “Nous sommes au tout début de l’histoire des Métavers. C’est normal qu’il n’y ait pas encore ce foisonnement artistique. Je suis convaincu que le rôle des artistes sera essentiel dans l’exploration des sens et le défrichage des usages”, souligne de son côté Laurent Chrétien.

Virbela Komodal Winter Party - Document © Komodal

Virbela Komodal Winter Party – Document © Komodal

Nouvelles perspectives de diffusion

L’exploration des sens… C’est justement la perception des œuvres par le public, et donc le sujet de la diffusion des œuvres, qui est à interroger en profondeur. Revenons sur les origines du festival Block By Blockwest. Cet événement a été créé dans un contexte de confinement international dû à la pandémie et a permis de rassembler des milliers de spectateur.rice.s. Un test intéressant au regard des enjeux écologiques. Dominique Levy, collectionneuse d’art numérique et présidente de l’association Métavers Art & Culture visant l’accompagnement des établissements culturels et des institutions sur les enjeux du Métavers, complète cette analyse : “Le Métavers a la capacité de rassembler des millions de personnes de façon virtuelle. C’est une voie possible à la limitation des déplacements du public sans pour autant supprimer nos grands événements, festivals, spectacles, expositions, … Écologiquement c’est une piste crédible à étudier”. Elle complète ses propos sur la sensorialité des œuvres d’art : “En tant que collectionneuse, j’ai créé des espaces d’exposition sur Sansar (une plate-forme Métavers). Tous ses espaces sont connectés les uns aux autres et les avatars peuvent aller et venir. J’ai la conviction que montrer une œuvre d’art ne suffit plus aujourd’hui, il faut avoir d’autres types d’interactions. Par exemple donner au public et aux artistes la possibilité de nouer de nouveaux liens. C’est cela qui est révolutionnaire avec le Métavers. À ce titre, le spectacle vivant pourrait être complètement bouleversé”. Imaginer ces interactions artistes/publics (visites commentées, contenus interactifs, accès à des rencontres, éveil de sens kinesthésique, du toucher, …) constitue donc un point essentiel dans la recherche de nouveaux usages.

Des Métavers à quel prix ?

Cette recherche artistique – comme tous les autres secteurs – doit néanmoins être questionnée sous un angle éthique, social et écologique. D’un point de vue éthique d’abord, rien n’indique que les Métavers ressembleront à des mondes aux possibilités infinies : “Le choix risque d’être cornélien pour les artistes car ces outils seront sans doute exclusifs et ne permettront d’alimenter que les plates-formes propriétaires possédées par tel ou tel GAFAM et des marques comme Dreams sur Playstation. Les Métavers seront préemptés par quelques entreprises qui auront des intérêts commerciaux ou idéologiques ; j’essaye malgré tout de rester optimiste en me disant que si le WorldWideWeb a réussi à rester dans le domaine public, son évolution le sera tout autant”, exprime Charles Ayats. C’est sans doute là un rôle important des orientations et des choix politiques. Dominique Levy le confirme mais sur un autre sujet : “Si nous parlons des équipements des Métavers, il faudra réaliser des études et des campagnes de sensibilisation pour un bon usage. Par exemple, les casques VR ne doivent pas être utilisés par de jeunes enfants. C’est une question de santé publique !”.

Le coût d’exploitation dans un Métavers – consommation énergétique, production des interfaces et des équipements – est loin d’être négligeable. Si aucune étude n’existe pour l’heure, ce coût doit être sérieusement évalué en termes d’efficacité avérée, de retombées économiques et d’empreinte écologique. C’est sans doute un point essentiel qui n’est que trop rarement évoqué. “Concernant la surconsommation électrique, nous sommes dans l’inconnu car nous n’avons aucune idée de ce que seront les Métavers dans vingt ans. Aujourd’hui, il y a 2 milliards de sites web, pourquoi pas 2 milliards de Métavers dans quelques années ?”, cite Laurent Chrétien. Une comparaison pas si farfelue qui donne une idée de l’ampleur des enjeux Métavers des prochaines années. Annoncer que “le Métavers est mort ” est une chose… Déclamer “vivent les Métavers” engage à de toutes autres responsabilités.

Situé à la jonction des arts numériques, de la recherche et de l’industrie, le Laboratoire Arts & Technologies de Stereolux contribue activement aux réflexions autour des technologies numériques et de leur devenir en termes de potentiel et d’enjeux, d’usages et d’impacts sociétaux. www.stereolux.org



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