Réduction des déchets à la source
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Just No Waste accompagne festivals, salons et collectivités dans leurs politiques de réduction des déchets. Déchets que cette structure, créée en Suisse par la Française Justine Tincq, tente de réduire à la source, en analysant scrupuleusement les poubelles des manifestations qui la sollicitent.
Stands de restauration, signalétiques, éléments de scénographie, goodies, … le monde des festivals, et de l’événementiel en général, génère encore beaucoup (trop) de “jetable”. Selon l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie), une manifestation réunissant environ 5 000 personnes produirait quelques 2,5 tonnes de déchets. Un état de fait contre lequel se bat Justine Tincq depuis plusieurs années. Cette Française installée en Suisse a lancé Just No Waste en 2019, une structure dont l’objectif affirmé est “d’agir concrètement et sur le terrain pour réduire les déchets dans le secteur de l’événementiel en Suisse romande et au-delà”. La France n’est notamment pas exclue de son rayon d’intervention.
Agir en amont
Un engagement qui, selon elle, tire son origine “d’une énorme frustration. J’aime beaucoup les festivals et faire la fête. Mais, dans un même temps, je ressentais un certain sentiment de culpabilité devant la marée de gobelets en plastique qui s’amassait devant les grandes scènes”. Avant de se rendre compte que les gobelets en question ne représentaient “que la part visible de l’iceberg”.
Un constat qui l’incite à passer à l’action. En 2015, cette ingénieure spécialisée dans la mobilité rejoint le mouvement Zero Waste Switzerland, une ONG investie dans la lutte contre le gaspillage et la promotion du mode de vie “zéro déchet”.
“J’ai alors commencé à accompagner le Festival Objectif Terre (qui s’appelait alors Festival de la Terre) à Lausanne, en tant que membre du mouvement Zero Waste. L’équipe de cet événement mêlant mise en avant de solutions de transition écologique et propositions culturelles avait alors une démarche très volontariste en matière de réduction de leur production de déchets.”
Plutôt qu’une simple “gestion” des déchets, Justine Tincq et Zero Waste proposent de prendre le problème à la racine. “Pendant longtemps, nous avons simplement traité les symptômes de la maladie plutôt que ses causes”, assure-t-elle. “Or si nous fermons le robinet, si nous considérons le sujet à la source, en se demandant comment moins produire en amont, nous auront logiquement moins de déchets à traiter en aval.”
Faire les poubelles
Afin d’identifier les principaux déchets des événements qu’elle accompagne, Justine Tincq n’hésite pas à examiner les poubelles. Une phase fondamentale permettant ensuite d’établir un diagnostic et de fixer des objectifs. La nature des matières, matériaux ou objets qu’elle trouve en fouillant dans les ordures varie en fonction de l’identité des manifestations. Toutefois, “nous voyons encore beaucoup de vaisselle jetable ainsi que des déchets liés au montage des infrastructures et des décorations. Nous pouvons aussi collecter beaucoup d’emballages liés à la manutention et de moquettes dans les salons”, détaille-t-elle. Viennent ensuite les déchets liés à l’alimentation et à la communication (flyers, cadeaux publicitaires, …).
L’approche de Just No Waste s’appuie sur le principe dit des “trois R”, soit, par ordre de priorités : “réduire”, “réutiliser” et “recycler”. Cela nécessite d’aborder le déchet de manière introspective en analysant ses propres pratiques, en se questionnant et en se remettant souvent en question : “L’une des premières choses à effectuer est d’identifier les éléments qui ne sont pas indispensables à l’événement. Il s’agit de se demander quelles sont les choses dont nous avons véritablement besoin. Les goodies ou une décoration jetable sont-ils indispensables ? Puis de s’inscrire dans un temps long, d’arriver à se projeter en imaginant, par exemple, une scénographie réutilisable, en recourant à des matériaux de seconde main, en pensant à des objets qui pourront servir pour les prochaines éditions ou que nous pourrons donner à d’autres structures.” Mais, pour elle, cela doit être amené sans jugement et toujours en prenant en compte les volontés des événements. “Si, par exemple, un festival tient absolument à distribuer des goodies, nous pouvons imaginer offrir des objets comestibles ou en matières recyclées et recyclables.”
Pour Just No Waste, tenter de “réduire” ce qui finit habituellement à la poubelle est donc la priorité. Car le meilleur des déchets est celui que nous ne produisons pas. “La quantité de déchets produite par certains grands festivals de musiques actuelles peut atteindre les 800 g à 1 kg par personne. Mais d’autres événements comme le Festival Zero Waste de Paris sont arrivés à passer sous la barre des 50 grammes de déchets par personne.” La consultante insiste cependant sur la nécessité de ne pas se fixer des objectifs trop exigeants au départ, au risque de ne pas pouvoir les atteindre. “Il n’est pas possible de tout faire parfaitement dès le début. Le risque est de se retrouver face à un mur et de se décourager. L’important est de s’inscrire dans un processus d’amélioration continue. Il est bien de dresser à chaque édition le bilan de ce qui a pu être éliminé et de se fixer des objectifs pour l’année suivante.” Tout en soulignant la nécessité d’“impliquer les équipes dans la démarche, de trouver ensemble des solutions tout en désignant un ou une référent.e pour coordonner l’ensemble”.
Boissons servies “en vrac”
Justine Tincq et Just No Waste continuent aujourd’hui d’accompagner Objectif Terre à Lausanne dans sa démarche de réduction des déchets. Un large panel d’actions efficaces a pu être mis en œuvre. L’organisation travaille prioritairement sur trois sujets “piliers” en la matière : les infrastructures et le montage, le bar et l’alimentation, et enfin la communication.
“Côté montage, nous faisons beaucoup de “do it yourself” en concevant en interne les panneaux de signalétique et des éléments de décoration. Nous appliquons les principes de l’écoconception pour les structures, en s’assurant de pouvoir les démonter et les remonter différemment l’année suivante. Pour ce faire, nous évitons la colle, les agrafes et les clous. Nous recourons à des alternatives, comme des cordes ou des chambres à air de vélos qui permettent de fixer des éléments les uns aux autres.”
Concernant le volet alimentation, le Festival n’utilise que de la vaisselle réutilisable consignée. Il tente également d’éradiquer progressivement la présence des serviettes jetables des stands. L’événement n’est pas en reste en matière de boissons. Depuis 2019, presque 100 % des breuvages sont livrés en vrac et servis au robinet (bières, vin, boissons sans alcool, …). “Notre vigneron fournisseur nous a conditionné du vin blanc et rosé en fûts et du rouge en barriques. Nous le servons ensuite au verre ou dans des carafes. Ce sont des choses qui peuvent être plus facilement mises en place lorsque nous travaillons avec des producteurs locaux.”
Les plats vendus à emporter sur le Festival sont distribués dans des boîtes consignées et réutilisables. Pour ce faire, l’organisation s’appuie sur le dispositif “reCIRCLE”(1) qui propose des contenants réutilisables qu’il est possible de rapporter dans les restaurants membres de ce réseau.
L’organisation est également engagée dans une démarche de lutte contre le gaspillage alimentaire en donnant notamment à des associations la nourriture non consommée durant les trois jours du Festival.
La politique de la manifestation concernant les éventuels déchets liés à la communication est aussi claire que ferme : “Les stands n’ont pas le droit de distribuer de flyers, ni de goodies. C’est inscrit dans les conditions générales d’utilisation des emplacements. Mais cela ne nous empêche pas d’échanger avec les personnes et de leur proposer un panel d’idées pour communiquer différemment. Il est par exemple possible de proposer aux festivaliers de consulter la documentation sur place ou de photographier un panneau explicatif au lieu de leur donner un flyer, d’offrir des services et animations. Le stand d’une assurance a par exemple mis en place des ateliers de confection de produits maison”.
Les déchets restants sont placés dans des poubelles de tri puis “surtriés” (le Festival effectue un second tri plus précis). La matière organique (restes de repas) est compostée. L’ensemble de ces mesures a permis à Objectif Terre d’atteindre le très bon résultat de 100 à 200 g de déchets par personne en 2019.
Une charte d’écoconception
Justine Tincq met aujourd’hui à profit cette expérience pour épauler d’autres événements dans leur volonté de moins remplir leurs poubelles. Ainsi, elle a récemment travaillé à l’élaboration d’une charte d’écoconception pour Muséomix. Cette manifestation, lancée en 2011 et organisée depuis chaque année (avec une pause en 2020 due à la Covid 19), est consacrée aux apports du numérique en matière de médiation culturelle dans les musées. Ce rendez-vous se présente comme une série de “hackathons” organisée simultanément dans les musées de différents pays ou régions (Suisse, France, Québec, Italie, …), durant un weekend, au mois de novembre ; c’est une sorte de compétition durant laquelle les personnes inscrites doivent créer des outils innovants et/ou immersifs permettant de valoriser différemment les collections des établissements d’accueil. “Nous fabriquons des choses. Des technologies sont mises à disposition des participants pour qu’ils puissent prototyper leurs dispositifs. Nous souhaitons au maximum que ces éléments puissent être démontables et réutilisables”, commente Charlotte Mader, membre du comité suisse de Muséomix. “Nous indiquons aux personnes qu’elles ont du matériel de seconde main disponible dans des ressourceries ou dans des déchetteries.”
Mais Muséomix travaille aussi sur la réduction à la source de ses déchets liés à l’organisation et à la logistique de ses événements. Chaque collectif local met en place des actions concrètes : offrir des serviettes réutilisables aux participants, transport de matériel en vélo-cargo, recours à de la vaisselle réutilisable, … Justine Tincq s’est chargée d’identifier et de recenser les initiatives mises en place par les différents groupes tout en contribuant à définir avec Muséomix un programme et des objectifs à atteindre. L’ensemble figurera dans une charte validée par l’ensemble des communautés. La parution de ce document est prévue pour novembre prochain.
Podcast sur les éco-festivals
L’expertise acquise par Justine Tincq en matière de réduction des déchets à la source dans l’événementiel intéresse désormais certaines collectivités locales engagées. Citons notamment la commune suisse d’Echallens qui a fait appel à Just No Waste dans le cadre de son Agenda 21. “Nous avons travaillé ensemble sur la réduction des déchets des événements de leur territoire et sur un plan d’actions à mettre en place par la commune”, relate Justine Tincq. “J’ai accompagné directement les événements. La commune veut désormais mettre en place son propre service de mise à disposition de vaisselle réutilisable.”
De son côté, August Hangartner, président de l’Agenda 21 communal, souligne l’intérêt de recourir à une personne tierce pour amener un sujet qui peut parfois être crispant pour les organisateurs d’événements : “Les interventions de Justine ont fait avancer les choses. Elle est à l’écoute des gens, n’est pas dogmatique et propose des solutions”. Des solutions que la Suissesse d’adoption aborde également dans une série de podcasts intitulée Ecofest’ podcast. Ses huit épisodes sont disponibles gratuitement sur les principales plates-formes dédiées à ce support. Justine Tincq y interviewe des représentants d’événements pour parler d’écoconception, de mobilité ou encore de vaisselle réutilisable. De quoi diffuser la bonne parole de la réduction des déchets et de l’écoresponsabilité auprès d’un public plus large encore.