La troisième saison de pleine activité s’achève d’ici la fin de la semaine à la Comédie de Genève aux Eaux-Vives. Séverine Chavrier, directrice de l’institution depuis juillet 2023, fera l’annonce de la nouvelle programmation mardi, le 17 juin. D’ici son ouverture à la rentrée prochaine, Gilles Perrier, légende des ateliers de construction et responsable depuis 2001, aura fait ses adieux. Si la qualité de l’outil-théâtre a été louée,(1) la Revue AS s’intéresse aujourd’hui à la vie d’une partie de son bâtiment : le quotidien de ses ateliers de construction. Entre la vision d’un théâtre d’aujourd’hui et l’une de ses missions vouées à la création, ancrés dans le réel de la réalisation, les ateliers de construction agissent comme une boussole des temps modernes scrutant la fabrique de nos représentations.

Comédie de Genève / FRES Architectes – Photo © Yves André
En transition
Jusqu’à fin août 2021, c’est le n°26 du chemin Adrien-Stoessel à Meyrin, en banlieue de Genève, qui accueille l’équipe de Gilles. D’entrée de jeu, il exprime les difficultés de la transition d’un lieu fait-maison au théâtre tout-en-un : “Au début, les ateliers ressemblaient plutôt à un hangar qu’à des ateliers de construction. Nous l’avons nous-mêmes petit à petit transformé en ateliers avec des aérations ainsi que toutes les machineries nécessaires. Et la fin de cette histoire, c’est qu’il a fallu tout abandonner et le transformer totalement en espace de stockage de décors”.(2)

Vue d’ensemble des ateliers de construction de la Comédie de Genève – Photo © Rémy Ebras
Après la nostalgie d’un déménagement, ce que regrette aussi Balthazar Boisseau, constructeur historique des ateliers, c’est que la Nouvelle Comédie soit finalement l’œuvre d’experts des chiffres et non d’usagers des lieux : “Lorsqu’il y a trente-cinq ans, Le Rapport Langhoff(3) exprimait les contours d’une salle moderne, les conditions d’une telle ambition faisait notamment état de la nécessaire surface équivalente à la scène à la fois en-dessous de celle-ci, au-dessus, à cour et à jardin. Ce projet n’ayant pas été respecté, la Ville de Genève, commanditaire du projet, a laissé les architectes seuls mandataires”. À l’heure où ces mots sont posés, ceux de Mahtab Mazlouman résonnent ainsi encore dans le béton, “un lieu a besoin de temps pour une appropriation, une adaptation et une évolution, tout comme le spectacle vivant”.(4)

Vue de la menuiserie à la Comédie de Genève – Photo © Rémy Ebras
Le théâtre tout-en-un en question
Le projet de la Nouvelle Comédie de Genève concerne dès le début tous les espaces du Théâtre, de sa scène à ses bureaux, en passant par ses ateliers de construction. L’idée est de faire une œuvre totale réunissant tous les corps de métier liés à son fonctionnement : production, fabrication et diffusion. Si Valérie Oberson, aujourd’hui régisseuse plateau de la Comédie, tempère la langue des anciens en observant que les nouveaux ateliers sont tout de même plus confortables et moins sujets aux températures liées aux saisons, Mathias Brügger confie : “La serrurerie dispose d’un très bel espace mais son implantation sous le restaurant a contraint sa hauteur de plafond à 2,50 m. Dès qu’il s’agit de lever quelque chose, comme des grands châssis, ce n’est pas possible”. Il déplore que de nombreux détails n’aient finalement pas été réfléchis jusqu’au bout et participe aux travaux de réadaptation qui s’étendent jusqu’à la traditionnelle régie de salle : “La première tâche que j’ai réalisée à la Nouvelle Comédie, avec Balthazar, a été la rehausse de toute la régie plateau parce que nous ne voyions rien de la scène”.

Vue des l’espace levage – Photo © Rémy Ebras
Une boussole déboussolée
Finalement, “l’outil, n’est qu’un outil”, avance Balthazar qui s’inquiète davantage de la disparition de la scénographie vivante où scénographes et constructeurs étaient main dans la main la moitié d’une année afin de faire vivre un nouveau plateau. Distinguant les projets entre work in progress qui se structurent grâce à la mise place d’une idée, et scénographie modélisée via les outils 3D, il concède : “Aujourd’hui, les plateaux se dotent beaucoup plus d’accessoires, de gadgets, d’écrans et nous faisons beaucoup moins de moulures, beaucoup moins d’escaliers escamotables, de trappes tampons. Il regrette que les ateliers perdent les savoirs du théâtre au profit d’une course à l’informatique, à l’acquisition des dernières consoles numériques.

Gilles Perrier – Photo © Rémy Ebras
À la question des capacités de l’outil-théâtre de la Nouvelle Comédie, Gilles est sans équivoque : “Nous pouvions déjà répondre aux demandes, cet outil là ne permet pas plus qu’avant de le faire”. La Nouvelle Comédie n’aurait finalement pas d’autre reflet que celui qui nous lie à la société conclut Balthazar : “Ce n’est peut-être pas la Nouvelle Comédie le problème, c’est peut-être un problème d’époque où l’hyper-vitesse veut que tout s’active dès que le bouton est pressé ; mais la réalité des choses, la réalité matérielle et physique ne change pas elle”.

Vue des ateliers de peinture – Photo © Rémy Ebras
À l’automne prochain, la Comédie de Genève participera à la réédition de l’ouvrage Le Rapport Langhoff de Mathias Langhoff. Un livre qui a donné à la Comédie de nombreuses années de réflexion et qui restait épuisé en librairie, même dans ses murs.
(1). www.revue-as.fr/2021/11/01/la-comedie-de-geneve/
(2). Tous les entretiens ont été réalisés à la Comédie de Genève le 4 juin 2025
(3). http://ark.bnf.fr/ark:/12148/cb397784578
(4). www.revue-as.fr/2021/11/01/la-nouvelle-comedie-de-geneve/