L’attractivité des métiers techniques

Une rencontre Réditec en Avignon

Comment peut-on rendre les métiers de la technique attractifs ?” Voici la question que l’Association professionnelle des responsables techniques du spectacle vivant (Réditec) a souhaité poser à une petite dizaine d’expert.e.s. Réuni.e.s le 17 juillet dernier à l’ISTS en Avignon, ces dernier.ère.s ont été invité.e.s à apporter leur contribution à cette problématique fondamentale. Un sujet abordé aux JTSE (Journées Techniques du Spectacle et de l’Evénement) ou aux Rencontres prévention des risques de Fourvière, mais qu’il n’est pas inutile d’approfondir. En effet, la situation peine à s’améliorer et la perspective des Jeux Olympiques accentue l’angoisse palpable des professionnel.le.s. Crise structurelle ou conjoncturelle ? Vite, des perspectives ! Le secteur en a besoin.

Photo © Fany Souville – LamaO&Co

Plus de soixante inscrit.e.s pour assister à cette table ronde ! Un chiffre tout à fait inhabituel en Avignon. Nous savons en effet que les festivalier.ère.s privilégient les représentations au détriment des rencontres professionnelles. Un score d’autant plus élevé si nous tenons compte de la durée – elle aussi hors norme – de ce débat : 3 heures de discussion sont en effet prévues ! Le format est ambitieux, mais l’objet de la rencontre également. Sept intervenant.e.s sont rassemblé.e.s pour l’exercice : directrice de Pôle Emploi ou de l’AFDAS, directeur de centre de formation, chercheuse en management, professionnel du secteur ou expert de l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail). Il leur appartiendra d’identifier des pistes pour faire face à la crise d’attractivité. Mais de quelle crise parlons-nous ? Cyril Puig, consultant pour Pogo-développement et animateur de la rencontre, s’interroge : “En s’appuyant sur les chiffres d’Audiens, nous constatons que le niveau de l’emploi est supérieur à celui de 2019. Alors, crise ou pas crise ? Crise d’attractivité ou de main-d’œuvre ?”.

Invitation à l’événement – Photo © Réditec

Sabine Danquigny, directrice du Pôle Emploi Scènes et Images Auvergne-Rhône-Alpes et Agnès Giangrande, directrice adjointe de la Direction des partenariats de l’AFDAS, répondent sans hésitation : les chiffres ne rendent pas compte de la réalité de terrain. “Nous n’avons aucune vision claire du marché du travail aujourd’hui”, confirme la directrice du Pôle Emploi. S’il est délicat d’objectiver la situation, c’est que les employeurs de notre secteur ont la fâcheuse habitude de se passer des services de Pôle Emploi pour recruter leurs collaborateur.rice.s. C’est pourtant bien le dépôt des offres et leur rapidité à mobiliser des candidat.e.s qui permettent de qualifier les difficultés de recrutement. “Déposez vos offres chez nous, même si vous vous débrouillez par vos propres moyens pour recruter”, tempête la directrice du Pôle Emploi Scènes et Images. Sans ce réflexe, pas d’observation fiable. Sabine Danquigny et Agnès Giangrande sont ainsi condamnées à relayer les difficultés rencontrées quotidiennement par leurs équipes pour rendre compte de la situation. Ainsi, les métiers de l’administration du spectacle vivant sont particulièrement touchés. En Auvergne-Rhône-Alpes, plus d’une centaine d’offres restent vacantes, sans espoir de mobiliser des candidat.e.s. Dans cette même région, pour les métiers de la technique, soixante-dix-sept offres ont été déposées en 2023 “en bout de course, lorsque tout a été tenté par les employeurs”. Les principales difficultés se portent spécifiquement sur les métiers permanents de l’encadrement : directeur.rice technique, régisseur.se, chef.fe d’équipe en CDI, … Agnès Giangrande constate les mêmes difficultés : “Même si aujourd’hui nous ne parvenons pas à l’objectiver, pratiquement toutes les structures évoquent des difficultés de recrutement pour certains postes, et en particulier sur ceux de la prestation technique”. Par ailleurs, l’AFDAS pointe un problème de relève face à la vague de départ à la retraite des directeur.rice.s techniques. Seule voix dissonante, David Bourbonnaud, directeur de l’ISTS, se montre plus prudent. La pénurie de main-d’œuvre est incontestable, mais y a-t-il pour autant crise d’attractivité ? “À l’ISTS, nous recrutons nos apprenti.e.s pour la période 2023-2025 et nous n’avons jamais eu autant de candidatures. Il y a quatre ans, nous avions quatre-vingt-dix demandes pour quarante places et aujourd’hui nous atteignons 167 candidatures. S’il s’agit de parler du désir des jeunes d’aller vers ces métiers, il n’y a pas de problème d’attractivité.”

Changement d’époque

Photo © Fany Souville – LamaO&Co

Pourtant, les choses ont changé et David Bourbonnaud le constate également. Il parle d’une perception romantique et fantasmée des métiers de la technique par les jeunes générations. L’accueil n’intéresse plus. La création, la tournée, le travail en compagnie sont au centre des aspirations. “Il existe un rapport plus individualisé à participer à l’acte de création. Les représentations ont vraiment changé.” Ce point de vue est partagé par Agnès Giangrande : “Les employeurs nous disent parfois que les jeunes ne veulent plus travailler. Je ne pense pas que ce soit cela. Les jeunes veulent travailler différemment. Leurs aspirations ont changé”. Pour Mickael Roth, directeur technique d’Odyssud à Blagnac et membre de Réditec, le COVID a agi comme un révélateur. Le confinement a permis une prise de conscience. Les technicien.ne.s du spectacle ont réalisé le poids des contraintes qui pèsent sur leurs métiers : problématiques, horaires, conditions de travail, déplacement, précarité, niveau des salaires, manque de reconnaissance, … Beaucoup d’exigences pour des métiers non essentiels. Carole Le Rendu, directrice de l’ITEMM (Institut technologique européen des métiers de la musique), chercheuse et auteure d’une thèse en science de gestion sur la filière musicale, constate que le CDI n’attire plus. Les jeunes préfèrent un CDD d’un an “pour voir”, qui se prolongera peut-être si les conditions de travail sont à la hauteur de leurs attentes. “La gestion collective des ressources humaines c’est terminé. Nous organisons aujourd’hui la gestion individuelle des talents.” Construisez-moi un “pacte social spécifique” et adaptez-vous à mon rapport au temps, semblent demander les postulant.e.s. La question du temps est au centre des attentes et la tension sur les plannings est soulignée par tou.te.s les participant.e.s. Mickael Roth évoque une plus grande exigence et, en parallèle, une forme de permissivité. Les plannings doivent être transmis plusieurs semaines à l’avance et doivent pouvoir être modifiés en fonction des impératifs de chaque salarié.e. Carole Le Rendu rappelle que le secteur s’est construit sur du temps non compté. Aujourd’hui, cette approche est inenvisageable et constitue le terreau de tension au sein des équipes.

Évoluer et s’adapter

Ainsi, les temps ont changé et le secteur du spectacle doit évoluer pour faire face aux difficultés. Jerôme Bertin, responsable développement et coordination de l’ANACT Auvergne-Rhône-Alpes, rappelle que les techniques de recrutement et d’intégration doivent se professionnaliser : “L’attractivité, c’est la capacité des entreprises à attirer et conserver les compétences dont elles ont besoin. Le recrutement repose sur l’anticipation, le sourcing, la définition de poste, … Les entreprises ont des difficultés à identifier leur vivier puis à conduire un entretien de recrutement. De la même manière, les entreprises n’intègrent pas leurs collaborateur.rice.s. Nous avons ainsi du mal à fidéliser et à sécuriser les parcours professionnels”.

Photo © Fany Souville – LamaO&Co

Dans notre secteur d’activité, toute la chaîne du recrutement doit être repensée. Mickael Roth insiste sur l’importance de la phase d’intégration. Les intermittent.e.s du spectacle doivent être associé.e.s au projet, comme les équipes permanentes. Le directeur technique d’Odyssud souligne l’importance du livret d’accueil et de la procédure d’onboarding (intégration en entreprise). Sabine Danquigny insiste quant à elle sur le besoin de faire évoluer la manière dont les offres d’emploi sont rédigées. Terminées les annonces de cinq pages et la recherche du “mouton à cinq pattes”. Elle plaide pour le déploiement d’une véritable marque employeur dans les organisations du spectacle. L’expérience a été conduite dans d’autres branches avec des résultats probants. C’est notamment le cas de l’hôtellerie de plein air. L’AFDAS a accompagné ce secteur d’activité dans la rénovation de ses pratiques de recrutement. Agnès Giangrande explique : “C’est un secteur qui connaissait déjà des difficultés avant la crise COVID. Après la pandémie et deux saisons estivales très compliquées, la fédération de l’hôtellerie de plein air a travaillé de manière collective sur la marque employeur. Il s’agissait de travailler sur l’image de marque des métiers et de la profession en utilisant les techniques du marketing et de la communication. Une petite dizaine de campings a travaillé sur les atouts de la filière, le sens de l’activité, la rédaction des offres, le process de recrutement et d’intégration, … Ce week-end, j’ai reçu le courriel d’un camping qui me disait que, pour la première fois, il n’a connu aucune difficulté de recrutement”.

Même constat dans le secteur médico-social où Caroline Bletterer, chargée de mission ANACT PACA, dresse la liste de tous les efforts mis en œuvre par les entreprises de la branche : rénovation des plannings, renforcement du dialogue social et de la dimension managériale, construction de parcours professionnels pour fidéliser les salarié.e.s, création de livrets d’accueil et de procédure d’onboarding, tutorat, utilisation du numérique pour accompagner les intégrations, développements des temps collectifs et réflexions sur le sens au travail. Tous ces travaux contribuent à redorer l’image ternie de ces métiers du soin. Mickael Roth et David Bourbonnaud insistent sur cette notion d’image. Le premier souligne : “Nous sommes mal considérés car il existe une mauvaise connaissance de nos métiers”. Pour le directeur de l’ISTS, la valorisation des métiers de la technique est essentielle : “Nous ne voyons pas les technicien.ne.s qui travaillent ; nous ne voyons pas la dimension artisanale, nous ne voyons pas la solidarité collective. La communication, ce n’est pas un truc de technicien.ne, ce n’est pas dans leur univers symbolique. Il y a un défaut de communication sur ces métiers. Les femmes et hommes en noir ont comme objectif d’être le moins visibles possible. Valoriser des métiers qui consistent à être invisible n’est pas si évidemment que cela”.

Pour accompagner les recruteurs, Pôle Emploi et l’AFDAS proposent un ensemble d’outils mobilisables par la plupart des entreprises. L’appui conseil RH, l’alternance ou l’AFEST (Action de formation en situation de travai) peuvent apporter des solutions concrètes aux problématiques de recrutement. L’AFEST, en particulier, permet de définir le contenu d’une formation sur mesure. Le.la collaborateur.rice est ainsi formé.e sur son poste de travail et dispose de toutes les cartes pour être opérationnel.le rapidement. Un bel outil pour favoriser la mobilité au sein d’une entreprise ou entre les branches.

Photo © Fany Souville – LamaO&Co

Évolution des salaires, dialogue à l’échelle d’un bassin d’emploi, passeport, formation, management, mutualisation des emplois, semaine de quatre jours, RSE (Responsabilité sociale des entreprises), flexibilisation des plannings, … Bien d’autres méthodes pour renforcer l’attractivité des métiers de la technique ont été évoquées lors de cette table ronde. C’est sans doute un des atouts de cette rencontre : avoir pu dresser un panel large et complet des solutions à disposition des employeurs. Cette liste frappe par son étendue, sa variété et son opérationnalité. Les actions sont accessibles et ne demandent pas (ou peu) d’engagement financier. D’autres secteurs ont pris le virage alors que le spectacle vivant semble en retrait. Que nous manque-t-il ? Sans doute une impulsion collective. Comme le dit Agnès Giangrande, “ces questions-là ne peuvent pas se travailler tout seul dans son coin. Si nous ne les travaillons pas ensemble, il n’y aura bientôt plus personne dans notre secteur”.

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