“Rendre la transition désirable.”

Une nouvelle direction aux Nuits de Fourvière

Le jour s’est levé en douceur sur les dernières Nuits de Fourvière. Fin juillet, Dominique Delorme a quitté son poste de directeur du festival lyonnais en ayant pris soin de passer le témoin à Emmanuelle Durand et Vincent Anglade, qui avaient été nommés pour lui succéder en décembre 2022. Ce tandem, formé par l’ancienne secrétaire générale de l’Auditorium de Lyon et l’ex-responsable des musiques actuelles de la Philharmonie de Paris, a été choisi pour sa “volonté de pluridisciplinarité, d’expériences nouvelles et d’ouverture sur un public encore plus large”, a indiqué le président de la Métropole de Lyon, Bruno Bernard. Emmanuelle Durand nous présente le projet.

Passage de témoin avec Dominique Delorme - Photo © Progrès/Joël Philippon

Passage de témoin avec Dominique Delorme – Photo © Paul Bourdrel

Le duo que vous formez avec Vincent Anglade a été nommé à la direction des Nuits de Fourvière en décembre dernier. Comment avez-vous vécu votre première édition à ce poste ?

Emmanuelle Durand : Nous sommes entrés en fonction début avril, à seulement deux mois du coup d’envoi des festivités. C’est donc Dominique Delorme qui avait entièrement conçu cette édition 2023. Un tuilage s’est mis en place : nous avons eu la chance de vivre nos premières Nuits de Fourvière de l’intérieur aux côtés de l’homme qui a dirigé le Festival pendant plus de vingt ans. Beaucoup d’artistes qu’il accompagne de longue date sont venus, donnant lieu à de beaux moments d’émotion. Il était vraiment dans une optique de transmission. Ce n’était pas un inconnu puisque Vincent Anglade a travaillé de nombreuses années avec lui sur des coproductions pour la Philharmonie de Paris et les Nuits de Fourvière. J’ai aussi participé à des projets en lien avec le Festival, que ce soit en tant que déléguée de production à la Cité de la musique ou en tant que secrétaire générale de l’Orchestre national de Lyon. Le public était très présent et le temps plutôt clément malgré quelques orages. Pour nous qui avions l’habitude d’avoir un toit au-dessus de la tête dans les théâtres ou les auditoriums, c’était intéressant de voir comment Dominique Delorme gérait les aléas du climat sur les scènes à ciel ouvert, mais aussi, plus globalement, de découvrir les problèmes concrets qui se posent au quotidien. La rencontre avec les équipes a été un grand moment. C’était un bonheur de voir qu’elles étaient soudées, compétentes et investies car rien ne serait possible sans elles. Leur travail nous a aidés à comprendre la mécanique qui sous-tend cette grande organisation et nous avons reconsidéré certaines de nos idées. Par exemple, il n’est pas si simple de faire venir des écoles dans un théâtre qui, de par son orientation, est exposé au soleil très tôt dans la journée. Une chorale du collège d’à côté est arrivée un samedi à 10 h et c’est vite devenu invivable. Voilà le genre de constats qui a nourri notre réflexion.

Votre projet pour les Nuits de Fourvière s’appelle “Ceci est une fête”. Comment est-il né ?

E. D. : J’ai rencontré Vincent il y a plus de quinze ans lorsque nous étions tous les deux à la Cité de la musique. Il s’occupait de la programmation non classique et j’étais en charge de la production. Nous avons beaucoup travaillé à la réouverture de la Salle Pleyel, où de grands artistes comme Patti Smith, Alain Bashung ou Marianne Faithfull ont été accueillis. Je l’ai aussi accompagné dans la création du festival de pop-rock Days Off. Il a fallu apprendre à gérer les bons comme les moins bons moments ensemble. Je repense à un concert de Lou Reed dont le décor ne rentrait pas dans la Salle Pleyel ou à Keith Jarrett qui a arrêté de jouer après 20 minutes parce qu’il y avait trop de bruit. Notre duo est sorti d’autant plus renforcé de ces mésaventures que nous sommes complémentaires. Il s’occupe principalement de la programmation et moi des enjeux de développement ‒ même si nos propositions en la matière sont bien sûr concertées.

Quand Vincent m’a appelée pour me proposer de construire un projet pour les Nuits de Fourvière, je n’ai pas hésité une seconde. C’est un festival auquel nous sommes très attachés depuis longtemps. Non seulement le lieu est exceptionnel mais, pendant deux mois, il accueille de grands artistes de pop, de rock, des créations de théâtre, de danse ou encore du cirque. C’est quelque chose de rare. Il existe une telle diversité dans l’offre que chacun s’y retrouve, que ce soit avec un concert de Nick Cave, de Michel Polnareff ou de Pomme. Cela fait maintenant huit ans que je suis Lyonnaise et j’ai pu constater chaque année que ce festival créait une grande ferveur populaire. Au moment de l’annonce de la programmation, nous sentons un bruissement dans la ville, tout le monde parle de cela, je vois des gens qui prennent une demi-journée de RTT pour réserver leur billet. C’est important de garder cet esprit populaire tout en offrant une grande diversité artistique. La fête n’empêche pas le sens et la réflexion, encore moins l’exigence artistique. Elle doit avant tout célébrer la rencontre et l’ouverture.

Comment comptez-vous vous y prendre pour toucher d’autres publics ?

E. D. : Les Nuits de Fourvière sont très appréciées des Lyonnais mais force est de constater qu’une partie de la population de la Métropole n’y est pas présente et il faut donc aller vers elle. Cela passe par une programmation variée, de nouvelles expériences et des déambulations. Des projets en dehors du temps du Festival seront développés dans différents endroits de la Métropole et notamment dans certains quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Notre volonté est aussi d’investir des lieux qui ne sont pas conçus pour le spectacle vivant. Pourquoi ne pas donner une représentation dans une piscine ou un stade de football ? Ce sont en tous cas des pistes pour changer les habitudes et décaler les regards. Il y aura également des projets d’éducation artistique et culturelle tout au long de l’année qui aboutiront au temps fort du Festival. En parallèle, nous voulons insister sur la notion de pluridisciplinarité. Certes nous venons tous les deux du monde de la musique et il y a beaucoup de concerts à Fourvière, mais nous tenons à ce que les différents types d’arts vivants se côtoient et se mélangent. À la Philharmonie de Paris, Vincent a déjà tenté de créer du lien entre les comédien.ne.s et les musicien.ne.s, de décloisonner les arts.

Lors de votre passage à la Philharmonie de Paris, vous étiez responsable d’orchestres de jeunes. Qu’envisagez-vous pour eux aux Nuits de Fourvière ?

E. D. : J’ai travaillé pendant cinq ans au développement du projet Démos (Dispositif d’éducation musicale et orchestrale à vocation sociale). Il s’inspire de plusieurs initiatives lancées en Amérique Latine et notamment de ce qu’a fait la fondation El Sistema au Venezuela. Même si leurs problématiques ne sont pas les mêmes que les nôtres, nous avions repris leur idée de faire de la musique classique un outil au service du développement social. Concrètement, Démos rassemble aujourd’hui une cinquantaine d’orchestres de jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Chacun d’entre eux est composé de groupes de quinze enfants qui ont entre 7 et 12 ans. Nous leur confions un instrument, ils se réunissent quatre heures par semaine dans les centres sociaux qu’ils ont l’habitude de fréquenter et apprennent à jouer ensemble avec l’aide de musicien.ne.s professionnel.le.s. Toutes les six semaines, les sections de bois, de cordes et de cuivres se retrouvent en orchestre symphonique d’une centaine de personnes pour interpréter une même partition. L’idée n’est pas d’en faire des musicien.ne.s professionnel.le.s mais que la musique soit un outil au service de leur construction. Quand les intervenant.e.s des structures sociales, les musicien.ne.s professionnel.le.s et les encadrant.e.s sont uni.e.s autour des enfants, il se passe quelque chose d’incroyable : leur confiance en eux, leur capacité d’écoute et leur attention redoublent. Les adultes en ressortent aussi grandis. Ils peuvent être étonnés de voir Beyoncé au même niveau que Dvorak dans la playlist de certains jeunes du projet. Cela met à mal les préjugés. La jeunesse est bien sûr un enjeu fort de notre projet. Nous souhaitons faire venir les participant.e.s du projet Démos sur la scène de Fourvière et proposer une programmation dédiée aux familles qui n’existe pas en tant que telle. Il nous faudra contourner les problématiques inhérentes au site, éviter le soleil, trouver les bons créneaux, les bons endroits. Il est important pour nous que les jeunes soient acteur.rice.s de l’événement et plus seulement spectateur.rice.s. Cela pourrait passer par la mise en place d’un conseil des jeunes impliqué dans la programmation. Le festival Réel de Villeurbanne est une vraie source d’inspiration sur ce sujet. Ses quatre jours ont entièrement été conçus et organisés par des volontaires qui avaient entre 12 et 25 ans. À Fourvière, des collégien.ne.s de Vénissieux et de Vaulx-en-Velin vivent déjà le Festival à travers les spectacles, les ateliers et les sessions de découverte des métiers proposés dans le cadre de l’Académie des Nuits. Nous souhaitons donner une nouvelle dimension à ce projet en le prolongeant pendant l’année scolaire. Des amateur.rice.s de tout âge pourront aussi participer à certains spectacles et nous aimerions impliquer les habitant.e.s dans une fête de fin de Festival. Mais tout cela est encore en cours de préparation et c’est un peu tôt pour rentrer dans les détails. Certaines évolutions seront visibles dès la prochaine édition du Festival, d’autres se construiront au fil des années.

Face à l’urgence environnementale, les festivals doivent se doter d’une organisation durable au plus vite. Comment concilier rapidité et pérennité ?

E. D. : C’est une question qui est extrêmement importante pour moi depuis des années. Le milieu de la Culture est très en retard par rapport à ce qui se fait ailleurs. Je pense que nous nous sommes beaucoup cachés derrière des enjeux de création pour prétendre que nous étions à l’abri. Or, à mon avis, il y a beaucoup de choses qui sont faisables sans mettre en péril la création. Non seulement nous devons être plus sobres, mais nous avons aussi un rôle à jouer pour rendre la transition désirable, pour ne pas qu’elle ait l’air d’une contrainte, qu’elle puisse faire rêver. L’art doit avoir un rôle d’alerte et les Nuits de Fourvière peuvent être un moteur d’éveil des consciences autant qu’un acteur du changement. Nous allons commencer par faire un bilan carbone grâce à un outil que la Métropole a développé pour les structures culturelles. C’est quelque chose que j’avais déjà fait en 2021 à l’Auditorium de Lyon. Deux ans plus tôt, une “green team” y avait émergé d’elle-même. Avec le comité de direction, nous nous étions appuyés sur cette équipe pour restructurer la maison et ainsi avancer de façon concrète, efficace et efficiente. Nous savons déjà que, généralement, plus de 50 % des émissions de gaz à effet de serre des festivals viennent des transports. Cette part est moins importante pour un événement urbain comme le nôtre que pour ceux qui se trouvent à la campagne, mais nous allons malgré tout encourager les modes de déplacement doux et le covoiturage. Ce sera complété par un travail sur la nourriture et les boissons pour les artistes et le public. Une collaboration devra aussi être engagée avec les autres festivals, les lieux de spectacle et les syndicats pour rationaliser certaines tournées. Le travail en réseau est essentiel à ce niveau. Il faut savoir que les Nuits de Fourvière sont un petit festival. Nous accueillons peu de spectateur.rice.s par rapport à une grande partie des festivals pop de l’été où jouent des artistes similaires. Si réduire les jauges n’est pas une option, nos équipes font déjà attention à louer du matériel son et lumière économe. C’est par les cahiers des charges des marchés publics que nous passons, tout est mesuré pour faire en sorte d’avoir une consommation électrique minimale. Chez nous, les artistes viennent en général avec leurs décors donc nous n’avons pas la même problématique que l’Opéra de Lyon qui a créé un dispositif spécifique. Mais nous serons vigilants sur ces questions de recyclage et d’écoconception. Par ailleurs, un travail est en train d’être mené pour obtenir une certification événementielle durable, la norme ISO 20121.

Aurez-vous les moyens de vos ambitions ?

E. D. : Les Nuits de Fourvière sont le festival de la Métropole de Lyon qui finance 25 % du budget. Au moment de notre nomination, ses responsables nous ont rassurés sur la stabilité de cette subvention. Un autre quart de nos moyens provient du mécénat et des achats de prestations dans le village entreprises. C’était un enjeu important dans la transition menée par Dominique Delorme. Avant son départ, nous avons rencontré des mécènes afin de voir s’ils souhaitaient continuer l’aventure avec une nouvelle direction. Nous sommes sortis rassurés de ces échanges. Visiblement, notre projet intéresse ceux qui soutiennent le Festival depuis longtemps. J’espère que nous pourrons maintenir ces relations sur le long terme. Enfin, 50 % du budget proviennent de la billetterie. Il nous revient donc d’avoir un projet permettant de maintenir ces grands équilibres, avec des concerts de pop, des spectacles populaires qui permettront de réinvestir de l’argent dans la création. Le fait de disposer de scènes de différentes tailles nous donne l’opportunité de présenter des spectacles qui s’adressent à des publics de tailles variées, tout en veillant à la qualité de chaque œuvre. Car au bout du compte, c’est cela le plus important.

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