Aulnoye-Aymeries à cœur ouvert

Toutes les photos sont de © Stephen Dock

En plein cœur du parc naturel régional de l’Avesnois bat le cœur d’Aulnoye-Aymeries. Un village de près de 9 000 âmes régies par un maire historique – Bernard Baudoux, élu en juin 2022 Président de l’Agglomération Maubeuge-Val de Sambre – qui s’est employé à réanimer son territoire à bout de souffle avec une conviction : la puissance de la Culture. C’est ainsi que l’impeccable et élégant regard de Rudy Ricciotti vient de réhabiliter – et par la même de sauver – une charpente métallique de type Eiffel où se fabriquaient autrefois des tourelles de chars. Reconverti en Pôle des Cultures Actuelles, le site s’inscrit dans le paysage avec autant de grâce que de fonctionnalité.

Façade nord, parvis et accès public principal

Façade nord, parvis et accès public principal

Du combat avec la matière

On ne se lasse jamais de l’écouter. Avec ses mots qui sont des lames tranchantes d’une redoutable précision, il sculpte l’espace : “Ce sont les mots qui doivent gouverner la modélisation. La modélisation n’est pas un acte de robot.” L’esprit Ricciotti c’est l’attention aux métiers, une architecture de la recherche développement, l’invention joyeuse et périlleuse, un travail de pensée qui intègre le vocabulaire d’ingénierie et d’artisanat, la quête perpétuelle de la beauté. “La seule chose qui rassemble toutes mes réalisations est l’attention que je porte aux métiers. […] La main d’œuvre qualifiée est porteuse de mémoire et de cohésion sociale. […] Quand vous avez compris la culture du bâtiment, vous avez un autre rapport à l’artefact, au faire, vous avez un rapport beaucoup plus attentif.” Il en appelle à sa découverte du secret de la géométrie grâce au professeur Jean, “la géométrie est l’art de raisonner juste sur des figures fausses” et au combat avec la matière. Pudique tapi derrière des apparences chahuteuses, il a la drôlerie et l’élégance des tristes. Ricciotti est un être vibrant qui reconnaît volontiers que cette quête poétique est consécutive à une anxiété existentielle. Il est en lutte contre une modernité tardive qui sécrète des discours de rupture comme renoncement à l’obligation de faire. Il travaille en ce moment à la conception d’une verrière en béton monumentale sur le modèle d’une aile de libellule ; à São Paulo il a moulé des lianes dans la forêt vierge et les a réalisées avec des chutes de béton. Chaque aventure compte une innovation technologique, chaque nouvelle conception sonne juste et s’inscrit comme un organisme vivant.

Ancienne halle industrielle SAMP réhabilitée

Ancienne halle industrielle SAMP réhabilitée

Ils ne se couchent que pour mourir

Nous avons sauvé cette charpente métallique de type Eiffel qui était une usine où se fabriquaient des tourelles de char.” Dans un territoire écrasé par des mutations industrielles violentes, la jeunesse, sans espérance, s’enfuit. Bernard Baudoux, maire communiste, s’attriste de cet exil des forces vives et parie sur le renouveau par la Culture. Inspiré par Léo Ferré à l’ouverture du théâtre qui porte son nom, il se répète comme un mantra une phrase gravée en lettre d’or dans les cœurs : “Ici les gens sont debout, ils ne se couchent que pour mourir”. L’idée germe chez Baudoux de créer un rendez-vous pour la jeunesse, un festival, en été. Il faudra quelques coups d’essais pour que naissent Les Nuits Secrètes avec la complicité active d’Olivier Connan, actuel directeur du Festival, que Baudoux a l’intelligence et l’humilité d’écouter. Régi par une association, le Festival se développe d’année en année et devient le fer de lance d’une politique culturelle qui aboutira à la construction du Pôle des Cultures Actuelles. Bernard Baudoux, infatigable, trouve l’argent pour financer son ambition en activant un pacte territorial ouvert aux territoires qui cumulent les difficultés. Au travers de contractualisations spécifiques, des moyens sont offerts aux collectivités pour les aider à rebondir. C’est ainsi qu’un pacte pour la réussite des territoires et de leurs habitants de la Sambre-Avesnois-Thiérache facilite la construction de projets majeurs dont la construction du Pôle.

Bâtiment A, grande scène - Photo © Patrice Morel

Bâtiment A, grande scène – Photo © Patrice Morel

Sauvegarder une charpente Eiffel

Christophe Kayser, qui a suivi le projet, l’affirme : avec Ricciotti, la livraison est toujours fidèle aux dessins. Entre 2015 et 2022, ce qui devait être un Pôle pour les Musiques Actuelles a muté en Pôle des Cultures Actuelles et il a fallu renoncer à quelques ambitions dont un restaurant et un centre documentaire. Le premier geste a été la sauvegarde de la charpente Eiffel, résine méthacrylate et polycarbonate rouge, pour abriter les festivaliers et ressusciter une halle pouvant accueillir jusqu’à douze mille personnes. Tout a commencé par cette réhabilitation. La halle se découvre à l’arrivée depuis la voie de chemin de fer. Élégante et aérienne, elle signe l’espace. À ses abords, dans deux étendues liées par un passage couvert, tout en transparence, deux cubes en béton lasurés, percés de carrés et rectangles de lumière, s’inscrivent une salle de spectacle de 400 places, un espace club, un studio d’enregistrement et de production, une résidence d’artistes, des salles de répétition, une surface couverte, des espaces administratifs et de logistique.

Grande scène, accès au niveau du club

Grande scène, accès au niveau du club

L’ensemble a été impeccablement réalisé par des entreprises locales et le chantier a été suivi côté scénographie par Thierry Saclier (Theatre Projects). La belle pensée est celle d’avoir rendu indépendants les studios d’enregistrement et de répétition et d’avoir créé une résidence avec cinq chambres permettant d’accueillir sans surcoûts d’hébergement des équipes en résidence. Comme toujours dans les espaces dessinés par Ricciotti, un soin particulier est apporté à la lumière et à la perspective. Les studios et les espaces intérieurs ouvrent sur des vues perspectives et appellent la lumière. Les circulations sont fluides et l’orchestration des espaces témoigne d’une réflexion juste et approfondie tant par rapport à la demande initiale qu’au regard de l’utilisation générale d’un tel lieu.

L’espérance au cœur des débats

Sobres à l’intérieur, les lieux et les espaces ne perdent pourtant pas leur élégance. Avancer vers l’avenir en conservant la mémoire industrielle et les racines ouvrières. Le projet de Bernard Baudoux de “réécrire la ville sur la ville” en misant sur la reconversion d’un site et en modélisant un outil de production à la main d’un événement tel que Les Nuits Secrètes est éblouissant d’intelligence. Et il est épatant dans le chemin tracé pour réanimer un territoire meurtri par l’effondrement de l’industrie.

Loge collective - Photo © Patrice Morel

Loge collective – Photo © Patrice Morel

Bernard Baudoux : Je ne veux plus que nous mangions un centimètre carré de terres agricoles. Nous avons planté 4 500 arbres. Nous avons imaginé un lieu qui pouvait servir au moment des Nuits Secrètes et qui pourrait être vivant et ouvert toute l’année. C’est essentiel pour la jeunesse de créer ce Pôle des Cultures Actuelles et c’est essentiel pour l’histoire de l’ensemble des habitants. Nous avons perdu 25 000 emplois industriels dans la région. Tout s’est cassé la figure à Aulnoye et aujourd’hui nous sommes en plein renouveau. Nous avons repris le train du développement et recevons de nombreuses demandes pour venir vivre ici. Il faut replacer l’espérance au cœur des débats ; les gens en ont besoin. Dans ce nouveau lieu, le mariage du contemporain avec notre histoire industrielle est remarquable. Cela me touche énormément. J’étais ému lorsque j’ai vu le travail. Ce mariage réussi nous interpelle. Dans un siècle, que restera-t-il de notre histoire industrielle ? Que gardons-nous de ces histoires humaines ? Nous traversons une crise terrible et je veux raconter aux habitants que l’histoire industrielle n’est qu’une séquence. Nous sommes le fruit de deux mille ans d’histoire. S’ils parviennent à percevoir qu’il existait des choses avant, alors il sera moins complexe de leur laisser espérer qu’il y aura aussi un après.

Coupe longitudinale de la nouvelle construction - Document © Rudy Ricciotti

Coupe longitudinale de la nouvelle construction – Document © Rudy Ricciotti

Pôle des Cultures Actuelles

Ainsi, à côté d’une prairie verdoyante, s’impose en douceur le nouveau Pôle des Cultures Actuelles où le mot musique a été balayé au profit de Culture. Voilà bien un projet, des rencontres et une réalisation qui nous conduisent à l’espérance. Les mots et la signature Ricciotti, la hauteur de vue d’un homme politique concret qui croit aux forces de la Culture et à l’exigence, qui ne cherche rien d’autre que de soigner son territoire. Ni l’un ni l’autre ne se laissent aveugler par les faux-semblants de la modernité. Et le résultat est là dans toute la beauté d’une simplicité qui considère l’humain. À cette heure, un appel est ouvert sur la recherche d’un chef de projet qui pourra, aux côtés des Nuits Secrètes, construire l’avenir de ce Pôle des Cultures Actuelles. Nul doute que des fleurs vont y éclore à l’un ou l’autre de ces printemps, et qu’elles fleuriront la route d’un avenir plein d’espérance.

Plan de masse, plan de niveau rez-de-chaussée - Document © Rudy Ricciotti

Plan de masse, plan de niveau rez-de-chaussée – Document © Rudy Ricciotti

 

 

  • Surface : 4 084 m² SU, 4 626 m² SDP, extérieure ou sous halle : 13 956 m²
  • Calendrier :
    • Concours lauréat : avril 2012
    • Démarrage chantier phase 1 : janvier 2018
    • Livraison phase 1 : juillet 2018
    • Démarrage chantier phase 2 : septembre 2019
    • Livraison : juillet 2022
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