Systèmes de tirs pyrotechniques

Analyse aux Masters de feu de Compiègne 2022

Feu d’artifice Sugyp - Photo © Anthony Rosier

Feu d’artifice Sugyp – Photo © Anthony Rosier

Le monde de la pyrotechnie englobe autant de diversités en matière de production d’œuvres que d’artistes et d’artificiers passionnés, amateurs ou professionnels, qu’en termes de matériels utilisés pour la réalisation d’un spectacle pyrotechnique. Le festival Les Masters de feu, qui se tenait à Compiègne le 17 septembre dernier, est une compétition internationale où se confrontent plusieurs équipes. Cette année, quatre concurrents étaient en lice pour le Master d’argent : la société Carat Pyrotechnie représentant la France, Sugyp représentant la Suisse, Hermanos Caballer Pirotécnicos pour l’Espagne et enfin Privatex-Pyro pour la Slovaquie. Ce concours était organisé par la société Master & Events Factory, avec le soutien de la ville de Compiègne. Arteventia, https://www.arteventia.fr/ quant à elle, ouvrait et clôturait l’événement avec également deux propositions pyrotechniques hors concours : la première écrite par un jeune concepteur lauréat d’un concours d’écriture de feu et la seconde comme point d’orgue à ce spectacle féérique.

Nous nous sommes particulièrement intéressés à la mise en œuvre de ces feux pyromusicaux en pointant notre regard sur les systèmes de tirs utilisés lors de cette soirée. Les équipes ont un thème – ici “Autour du monde –, un budget alloué et très peu de contraintes en termes de produits : être homologué CE et ne pas dépasser le calibre de 200 mm. La zone de tir est délimitée comme suit : 150 m de long et 4 m de large pour les façades (mono coups, chandelles, compacts, …) et 100 m de long pour les bombes. Une zone de préparation de 50 m2 est attribuée à chaque équipe afin de procéder au montage de leurs effets. Concernant le matériel utilisé dit “inerte” (batteries de mortiers, supports pour les artifices), les compagnies sont libres et n’ont pas de restrictions quant aux angles de tirs choisis. En matière de consoles de tir, il existe de nombreux systèmes – filaires et/ou à radiofréquences – avec des spécificités propres. Chaque société choisit et utilise son système en fonction de ses besoins.

Feu d’artifice Carat Pyrotechnie - Photo © Anthony Rosier

Feu d’artifice Carat Pyrotechnie – Photo © Anthony Rosier

Entretien avec Adrien Teixeira, responsable technique chez Arteventia

Pouvez-vous nous présenter les différentes consoles de tir ?

Adrien Teixeira : Pour ce concours, nous avons cinq sociétés différentes et autant de systèmes de tirs : FDS pour Hermanos Caballer Pirotécnicos, Pyromac pour Arteventia, Pyrodigit pour Carat Pyrotechnie, Galaxis pour Sugyp et Firemaster pour Privatex-Pyro. FDS est un système de tir typiquement valencien, filaire, avec ici le choix d’avoir plusieurs tables de tir afin de pouvoir scinder les différentes parties du spectacle, de symétriser en cas de coupure d’un côté ou de l’autre et c’est traditionnellement ce système qui est choisi à Valence pour Las Fallas.(1) Il est sécurisant mais il contraint à tirer plusieurs longueurs de câbles allant de la console de tir aux modules disposés sur le terrain.

Le système filaire a pour avantage de ne pas être perturbé par des éléments extérieurs et, à moins d’un câble défaillant ou qui aurait brûlé, l’information passe de la table de tir jusqu’aux modules posés sur le terrain sans interférences.

Systèmes de tir pyrotechnique - Document © Séverine Monnet

Systèmes de tir pyrotechnique – Document © Séverine Monnet

A. T. : Nous avons donc ici plusieurs tables de tir, reliées à des boîtiers dits “esclaves” qui reçoivent le time code et déclenchent les effets pyrotechniques sur la musique. Nous trouvons des boîtiers de seize lignes fonctionnant en hexadécimal de 0 à F sur lesquels viennent se brancher les bombes, chandelles, mono coups et autres effets.

Le time code permet l’autonomisation des systèmes de tirs et le synchronisme entre le son et les artifices. Il permet un calage au millième de seconde et assure une synchronisation entre le son et “l’image”. Il est utile pour synchroniser sons, lumières, lasers, flammes, …

A. T. : Finalement, l’artificier arme son système mais c’est l’envoi du time code qui va déclencher le feu. Ici, c’est le sonorisateur en régie qui demande confirmation de l’armement des boîtiers à l’artificier puis qui envoie le time code. La bande son et le feu se déclenchent simultanément. La table de tir dispose d’une piste stéréo : à droite le time code, à gauche la bande son.

Schéma de pyrotechnie filaire - Document © Séverine Monnet

Schéma de pyrotechnie filaire – Document © Séverine Monnet

Comment le réseau est-il réparti sur le terrain ?

A. T. : Pour la société Arteventia, le système utilisé est Pyromac : nous avons des récepteurs radio (Pyromac 7) qui eux disposent de deux boîtiers de seize lignes (slim 16) et peuvent en commander jusqu’à trente. Ces derniers sont répartis sur le terrain de sorte qu’il est possible de venir y brancher les différents effets pyrotechniques. Le système fonctionne en double radios simultanées : une haute et une basse fréquence, ce qui permet d’augmenter la réception et de contrer une éventuelle perte de fréquence. Le système Pyromac peut également fonctionner en filaire mais ici nous avons fait le choix du HF. La “télécommande” ou table de tir (master compact) envoie du temps, un chronomètre, aux boîtiers programmés sur le terrain. Ces derniers ont juste besoin d’écouter du temps. Nous trouvons donc une table de tir, des boîtiers “esclaves” sur le terrain qui servent simplement de liaison HF, puis nous redistribuons en filaire sur la zone de tir dans les boîtiers seize lignes. Il n’y a aucun câble à tirer entre la table de tir et les boîtiers. Ici, nous avons décidé de séparer la façade en trois tranches et celles-ci sur trois réseaux différents afin de ne pas perdre tout le spectacle si un câble venait à brûler.

Pour adresser les boîtiers, il faut venir les brancher physiquement sur la table de tir, ce qui limite ainsi les changements d’adresses inopinés pendant leur manipulation. Effectivement, il n’y a aucun bouton ou molette susceptible d’être touché puisque les boîtiers en sont dépourvus.

Mortiers de la société Hermanos Caballer - Photo © Séverine Monnet

Mortiers de la société Hermanos Caballer – Photo © Séverine Monnet

Nous avons également pu échanger avec Éric Raynaud et Vincent Dupouy de la société Carat Pyrotechnie. Ils utilisent le système HF italien Pyrodigit qui a la particularité d’avoir des modules directement intégrés sur les racks de mono coups. Cela facilite l’installation de ces derniers puisqu’il ne s’agit plus de câbler un à un les effets avec du bifilaire (l’allumeur étant intégré directement au rack) mais simplement de les poser et de faire un quart de tour de sécurité avec l’effet dans le rack. Tous les racks dits ”fast single shot” ont un module incorporé et sont raccordés entre eux avec un câble XLR4 (deux broches pour le signal, deux pour l’alimentation du boîtier).

Éric Raynaud : Nous pouvons gérer jusqu’à trente-deux modules de quinze lignes. Le système est doté d’une petite télécommande externe permettant de venir se câbler directement à chaque module, de lui attribuer une adresse et de tester les lignes. Pyrodigit est un système composé de deux réseaux qui envoient de la console jusqu’à ces boitiers AFC32, qui eux envoient ensuite les ordres sur tous les petits modules. Le défaut de notre système est qu’une fois le feu lancé, nous ne pouvons pas scinder et couper une partie des effets mais simplement arrêter tout le feu en cours. L’autonomie de ces boîtiers est de 24 h en veille. Ici, nous avons fait le choix de ne pas tirer en time code car nous avons une carte son intégrée à la console qui fait que cela part quand nous appuyons sur “play”.

Master Compact Pyromac utilisé par Arteventia - Photo © Séverine Monnet

Master Compact Pyromac utilisé par Arteventia – Photo © Séverine Monnet

Rencontre avec Jean-Pascal Guinand de la société Sugyp

Jean-Pascal Guinand : Le système de tir Galaxis dispose de modules de réception constitués de cents lignes, dotés d’une programmation interne. Nous avons une console de commande à écran tactile et pouvons tirer en time code, en semi-automatique, automatique ou manuel ; mais l’idée est qu’il y ait une programmation du spectacle dans les modules. Galaxis travaille avec des séquences ; il y a au mieux une séquence toutes les 0,3 seconde. Si cela doit aller plus vite, le boîtier prend le relais avec des retards électroniques à l’intérieur. Une programmation du script dans la console va envoyer des ordres de tirs (séquence 1, séquence 2) aux boîtiers sur le terrain qui écoutent et exécutent les ordres en fonction de ce qu’ils ont dans leur mémoire. Dans l’absolu, nous pourrions avoir un nombre illimité de boîtiers sur le terrain.

Pyromac 7 boîtier esclave, utilisé par Arteventia - Photo © Séverine Monnet

Pyromac 7 boîtier esclave, utilisé par Arteventia – Photo © Séverine Monnet

Quelle est la portée de votre système de tir ? À quelle distance maximale pouvez-vous être pour déclencher le feu d’artifice ?

J.-P. G. : En termes de réception et de distance, pour les tests, nous n’avons pas besoin de rajouter d’antennes mais nous avons des amplis HF ou des antennes directionnelles si nécessaire. À Dubaï, nous avons tiré à 18 km du pas de tir grâce à une antenne directionnelle positionnée au 113e étage du Burj Khalifa avec une réception de 95 % sur les boîtiers. Tout le système est complètement étanche, nous ne le protégeons que des retombées incandescentes. Par contre, nos modules de réception font cents lignes donc nous ne travaillons pas de la même manière qu’avec des petits modules que nous pouvons mettre partout sur le terrain. Nous avons fait le choix du HF car nous travaillons beaucoup sur des barges en mer ; de plus, cela nous permet de voir et d’apprécier le spectacle sans avoir le nez dans un chrono ou sur le script en permanence. Cependant, c’est un système matriciel qui ne nous permet pas de tirer deux lignes en même temps sur un boîtier ; nous devons donc être vigilants au montage en série ou nous pouvons décaler du temps au 1/100e entre les deux lignes. Ce système est bidirectionnel : les modules nous renvoient l’état des batteries, la réception, la température, le taux d’humidité, … Pour faire l’adressage et les réglages de fréquences, il y a des petits points aimantés et nous pouvons entrer dans le menu à l’aide d’un stylet magnétique. Il n’existe donc pas de switch ou de molette, ce qui lui confère une étanchéité optimale. Les cents lignes représentent le seul inconvénient car parfois nous aimerions avoir des petits boîtiers de trente lignes de part et d’autre.

Slim 16, utilisé par Arteventia - Photo © Séverine Monnet

Slim 16, utilisé par Arteventia – Photo © Séverine Monnet

Les problèmes d’interférences entre les systèmes sont moindres car tous ont le choix dans une gamme de fréquences donnée (une cinquantaine pour Galaxis par exemple) et sont également protégés par une clé électronique propre à chaque table de tir. En effet, même s’il existait deux systèmes de tir identiques sur le terrain, avec les mêmes adressages, il serait impossible de déclencher les modules de l’autre société qui n’auraient pas été associés à la table de tir. Le seul problème pourrait être des interférences au niveau des fréquences.

Système de tir PYRODIGIT utilisé par la société Carat Pyrotechnie - Document © Séverine Monnet

Système de tir PYRODIGIT utilisé par la société Carat Pyrotechnie – Document © Séverine Monnet

Les systèmes employés sont de plus en plus performants en termes d’envoi et de réception HF ; les possibilités deviennent infinies lorsque nous pouvons avoir un nombre illimité de boîtiers sur un terrain. Les spectacles ont eu lieu devant un public attentif et émerveillé. Le Master d’argent a été attribué à la Suisse, le prix du public à la France. Les technologies évoluent, les fabrications d’effets pyrotechniques également avec des bombes à changement de couleurs et de nouvelles formes encore jamais vues qui naissent dans le ciel. Les artificiers ne cessent de faire rêver petits et grands, de façon toujours plus spectaculaire. Le rendez-vous est pris pour le Master d’or en 2025.

Système de tir Galaxis utilisé par la société Sugyp - Document © Séverine Monnet

Système de tir Galaxis utilisé par la société Sugyp – Document © Séverine Monnet

 

Notes

(1) Fête populaire de la région de Valence dont l’apogée se situe entre les 15 et 19 mars, jour de la Saint Joseph. Spectacle, parade montrant les costumes traditionnels et personnages en papier mâché

 

 

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