Le Théâtre Vidy-Lausanne

Une architecture silencieuse

Rénovation, modernisation, nouvelle extension - Photo © Mathieu Gafsou

Rénovation, modernisation, nouvelle extension – Photo © Mathieu Gafsou

Le Théâtre de Vidy, appelé le théâtre du bord du lac, n’a jamais aussi bien porté son nom. Aujourd’hui, le reflet de l’eau sur les revêtements argentés des nouveaux volumes vibrant sous la lumière renforce encore davantage la relation du Théâtre avec son environnement remarquable. Le Théâtre Vidy-Lausanne ouvre ses portes après une rénovation et un agrandissement. Voici un théâtre construit pour une durée de six mois, qui se pérennise depuis presque soixante ans, notamment grâce à sa création artistique. Cette architecture organique et vivante représente une approche du patrimoine en évolution constante. Silencieux, le nouveau projet est un modèle d’intervention intelligente et pertinente.

Lors de la construction du Pavillon en bois du Théâtre de Vidy, nous avions publié dans l’AS 217 deux articles : “Le pavillon du Théâtre de Vidy“ ainsi que “D’un centre de création à un autre, rencontre avec Vincent Baudriller”. Ce dernier, directeur du Théâtre, avait évoqué le défi de résoudre une équation compliquée, celle d’un double patrimoine, pavillon de l’Expo 64, et un outil performant pour la création contemporaine. Comment améliorer tout en respectant l’esprit de l’architecture de Max Bill ? Pour Matthieu Jaccard, architecte et historien d’art qui collabore avec le Théâtre de Vidy, “elle illustre de manière exemplaire le défi de l’adaptation d’un bâtiment à forte importance patrimoniale face à l’évolution des besoins d’un domaine artistique”.

Salle 23, studio de répétition - Photo © Patrice Morel

Salle 23, studio de répétition – Photo © Patrice Morel

Cinq étapes pour cinq chantiers

Le Théâtre de Vidy représente cinq approches de l’architecture théâtrale, par quatre architectes sur trois générations et s’inscrit ainsi dans l’histoire de l’architecture. L’appellation des salles avec leurs dates témoigne de cette succession d’interventions afin qu’un théâtre construit dans une pensée provisoire devienne permanent. Tout commence avec l’Expo 64 à Lausanne, moment essentiel dans l’affirmation d’un aménagement du territoire suisse. Des travaux de comblement importants permettent de gagner du terrain sur le lac et configurent ainsi une partie du littoral lausannois. Le point d’orgue de l’Exposition est le pavillon Éduquer et créer de l’architecte Max Bill, qui a développé une structure de préfabrication modulaire métallique à grande échelle sur une trame de 5 m x 5 m, réutilisable après la manifestation. Le Théâtre de Vidy, dernier témoin de cet événement, inscrit à l’intérieur de cette infrastructure, est le seul élément saillant de cette nappe de 18 000 m2. Les premières idées d’espace théâtral modulaire de Max Bill étaient novatrices. Grâce à son système constructif, il proposait un lieu avec des jauges entre 300 et 800 places grâce à des parois coulissantes. Trop coûteux, le choix de la Ville a été d’aménager un théâtre avec une jauge de 400 places, modifiant alors son implantation. À l’origine, la scène était face au lac, le volume pivotait pour se retrouver perpendiculaire au lac. La recherche de la pureté géométrique conditionne aussi le bâtiment qui voit sa cage de scène tronquée au niveau de la coulisse côté jardin et une hauteur de salle diminuée dans sa partie haute. Afin de préserver le Théâtre, Charles Apothéloz, fondateur de la compagnie des Faux-Nez et figure importante du théâtre à Lausanne, intervient pour le maintenir en tant que salle de répétition, le temps de construire une nouvelle salle de théâtre. Comme cette construction n’aura jamais lieu, le CDL (Centre dramatique de Lausanne), créé par Charles Apothéloz, s’installe dans le Théâtre de Vidy. La Ville entame alors les premiers travaux ; et de 1975 à 1999, le Théâtre profite de différentes rénovations et améliorations. Les travaux les plus importants datent de 1985-1986 et 1999, où la rénovation se voulait dans le plus grand respect de l’architecture de Max Bill, la plus invisible possible.

Salle 64 Charles Apothéloz - Photo © Patrice Morel

Salle 64 Charles Apothéloz – Photo © Patrice Morel

En 1976, sous la direction de Franck Jotterand, une salle polyvalente avec une scène de 9 m x 9 m, nommée La Passerelle et destinée à la dramaturgie contemporaine et aux nouvelles formes, est aménagée.

Les arrivées de Matthias Langhoff comme directeur en 1989 puis de René Gonzalez en 1991 ouvrent le Théâtre à de nouvelles formes telles que le cirque contemporain. Une salle de répétition est réalisée en 1996 par Rodolphe Luscher, baptisée aujourd’hui Salle 96, René Gonzalez. L’architecte propose alors un volume surélevé totalement vitré dans un souci d’atténuer la présence volumétrique et trouver une relation avec les arbres du parc. Il est complété par un escalier et une passerelle qui le relient au bâtiment principal. Ce lieu ne correspondra pas aux besoins d’une salle de répétition car les dimensions ne sont pas celles d’un plateau et les vitres deviennent très vite gênantes, nécessitant une occultation permanente. Elle sera utilisée comme une deuxième salle de représentation. À cela va s’ajouter l’implantation d’un chapiteau qui sera remplacé par le Pavillon en bois.

Salle 64 Charles Apothéloz, accès décors - Photo © Patrice Morel

Salle 64 Charles Apothéloz, accès décors – Photo © Patrice Morel

En 2013, lors de son arrivée à la direction, Vincent Baudriller fait un état des lieux avec Christian Wilmart, son directeur technique. Le constat est alarmant : le lieu nécessite, d’une part, des mises aux normes (sécurité, accessibilité, isolation) et, d’autre part, l’outil est à repenser spatialement et techniquement. La ville de Lausanne met en place trois étapes de chantier : la Kantina, le Pavillon et le bâtiment historique. L’anniversaire des cinquante ans du Théâtre avec l’exposition Expo 64, La naissance d’un théâtre affirme la singularité de cette architecture. À cette occasion, quelques travaux dans la cuisine et le foyer la Kantina améliorent l’accueil.

En 2017, Salle 17, le Pavillon est construit par Yves Weinand et la recherche du laboratoire IBOIS de l’EPFL. Son implantation reprend les premières idées de Max Bill qui avait imaginé, à cet endroit, l’installation du Centre d’arts plastiques contemporains.

Façade nord, éclairage nocturne - Photo © A. Rebetez

Façade nord, éclairage nocturne – Photo © A. Rebetez

Un projet dans la continuité

L’intervention sur le bâtiment historique et sur la salle, nommée aujourd’hui 64, Apothéloz, a été le chantier le plus important avec la réorganisation du foyer, des pôles technique, administratif et artistique ainsi que la construction d’une salle de répétition. Après un appel d’offre, l’agence d’architecture PONT12 a été choisie avec Kanju à la scénographie. PONT12 est une agence connue pour ses interventions dans les programmes de lieux de représentation comme le très beau projet du Théâtre de Carouge (AS 242). “Le discours que nous avons tenu a convaincu. Tout s’est fait progressivement et en bonne entente. Le lieu est superbe et il ne fallait pas faire d’erreur”, explique François Jolliet, architecte. Les études commencent en 2018 et le chantier a duré de septembre 2020 à janvier 2023. François Jolliet analyse la place du Théâtre de Vidy dans le parcours de Max Bill : “Nous pouvons comparer ses deux réalisations importantes, l’école d’Ulm et le Théâtre de Vidy. L’école d’Ulm, dont l’usage a cessé en 1968, est réhabilitée. La substance reste d’origine mais pas l’usage, tandis qu’à Vidy, l’usage du Théâtre est resté extrêmement fort et constitue la pérennité du patrimoine. Nous avons posé la question du degré de protection qu’il fallait attribuer à ce bâtiment. Je fais partie de la commission du patrimoine. La trame et la présence de l’architecte sont suffisantes pour lui attribuer un caractère très fort et préserver le bâtiment. Nous avions une responsabilité par rapport à Max Bill qui était que notre intervention soit aussi intéressante que l’origine.” La commission du patrimoine était présente à chaque décision et s’il fallait transgresser la trame, elle était expliquée et acceptée. “C’est un système de construction qui correspond à une décennie particulière. Le ciment Eternit qui donne la dimension des 5 m de portée est très spécifique de cette époque.” L’intervention architecturale s’installe dans la discrétion en commençant par le dessin des volumes et le choix des revêtements de façade, les mêmes panneaux métalliques que ceux du théâtre historique, avec des reflets argentés. “L’avantage des programmes de théâtre réside dans leurs volumes opaques et fermés. D’ailleurs chez Max Bill, la structure et le revêtement sont plus importants et pas spécialement des figures comme la porte et la fenêtre. Nous avons conçu un bâtiment abstrait avec une seule ouverture marquant l’entrée du théâtre.” Les volumes qui touchent le spectacle sont couverts d’inox et la salle de répétition a pris le même langage. L’inox d’origine, en 1 mm collé sur du Pavatex, était fragile. Ce matériau est contraint avec des phénomènes de dilatation dans la tôle. Celui d’aujourd’hui est de 3 mm.

Salle 64 Charles Apothéloz, nouvelle configuration - Photo © Mathieu Gafsou

Salle 64 Charles Apothéloz, nouvelle configuration – Photo © Mathieu Gafsou

Le volume de la salle de répétition

François Jolliet évoque la référence de Max Bill à la culture japonaise et son influence dans son approche architecturale. “Lors de l’étude de faisabilité, le bureau d’études interroge l’agrandissement du Théâtre. Sa suggestion a été que par le potentiel du lieu, il est possible de laisser ouverte toute extension et de régulariser l’existant avec un rectangle propre. Nous n’avons pas eu cette attitude. La trame de Max Bill est diverse mais pas proliférante, elle sait s’arrêter et ne va pas jusqu’à l’infini. C’est à l’image du tatami dont la trame est tenue. Un palais comme Katsura s’arrête très précisément. Il utilise la trame et joue avec les volumes sans avoir peur de faire des additions.

Le nouveau volume vient compléter le dessin général du Théâtre et sa composition, dans une certaine continuité. Il crée une nouvelle relation du Théâtre avec le lac. En s’implantant perpendiculairement à la rive, il vient fermer la cour des arts. Max Bill avait déjà imaginé un volume abritant un musée d’art contemporain à cet emplacement. Le geste de l’implantation de la salle de répétition est simple : accolée à la structure d’origine, elle est inscrite dans la trame. En liaison directe avec la cour des arts, le péristyle crée un seuil avec l’extérieur. Cette extension de 20 m x 17,50 m contient une grande salle de répétition aux dimensions du plateau de la salle Apothéloz, ainsi que les nouveaux locaux techniques, ventilation, espaces de stockage. Le plateau est de 17,50 m x 15 m de profondeur avec une hauteur sous gril de 10,50 m, contenant une passerelle mobile. Le plancher est en bois sur lambourdes. À cause des ateliers accessoires et costumes situés au-dessus de la salle de répétition, un espace avec une altimétrie différente crée un recul de 5 m. La salle possède une grande ouverture, avec une double occultation. Grâce à la grande fenêtre en hauteur côté ouest, il est possible de profiter du soleil couchant éclairant la cour.

Salle 64, nouvel espace scénique en exploitation - Photo © Mathieu Gafsou

Salle 64, nouvel espace scénique en exploitation – Photo © Mathieu Gafsou

Repenser les lieux

À l’intérieur du bâtiment historique, les différents pôles (public, artistique, administratif et technique) ont été repensés, les liaisons et flux réorganisés dans une concertation permanente avec les utilisateurs, investis dans la programmation et sur le chantier. Comment marquer l’entrée du théâtre ? “L’implantation du Pavillon avec sa grande ouverture vers le Théâtre et le lac installe une première relation avec l’entrée du Théâtre. Nous avons élargi les voies, végétalisé et créé une grande percée vers le lac, une ouverture sur le paysage. Nous avons décalé l’entrée qui devient le seul élément vitré entre deux volumes opaques.” Davantage monumentalisée, elle est dans l’axe d’une nouvelle sortie vers la cour et le lac. Ce décalage permet aussi d’agrandir la billetterie et de créer un mur de rayonnage pour la librairie. L’espace d’accueil retrouve un bureau. Le vestiaire, avec des casiers en libre service, et les sanitaires ont été réaménagés. La Kantina, d’une dimension de 13 m x 27 m, est un vrai carrefour, lieu de rencontre des différents pôles du Théâtre. Un nouveau mobilier est conçu par Baraki Architecture & Ingénierie, les tables ont été construites par les Ateliers du théâtre pour 160 places assises. Totalement ouverte sur la cour et le lac, la terrasse est très prisée par le public. De nouvelles chaises longues sont dessinées par l’ECAL (École cantonal d’art de Lausanne). Les loges, initialement implantées dans les sous-sols et souffrant des odeurs du reflux du lac, sont remontées au premier étage et retrouvent ainsi la lumière et la vue sur le lac. Six loges de quatre personnes sont aménagées à proximité des ateliers de couture et accessoires et des studios son/vidéo. Le premier étage a été rationalisé pour créer des liaisons dont une directe avec le niveau haut de la salle de représentation. Les régies des deux salles qui existaient dos à dos ont été renforcées dans leur accessibilité par l’espace des loges. Grâce au décalage de l’implantation des loges et des bureaux, l’espace se dilate, permet une respiration dans le couloir et marque l’entrée du foyer commun, vitré sur la circulation et en transparence sur le lac. Dans le grand atelier de costumes, nous retrouvons une belle reprise en sous œuvre complexe de Max Bill puisqu’un poteau a été enlevé. En perçant des fenêtres, de nouvelles salles de travail ont été créées. De nouveaux bureaux sont aménagés dans la continuité de l’espace des loges et en liaison avec la cage de scène.

Coupe perspective de la salle Charles Apotheloz. Les éléments en rouge indiquent les zones de travaux - Document © PONT12 architectes

Coupe perspective de la salle Charles Apotheloz. Les éléments en rouge indiquent les zones de travaux – Document © PONT12 architectes

Le Théâtre devient un outil

– La salle 64 – Charles Apothéloz

La salle Apothéloz a été entièrement démontée et remise à neuf, en corrigeant les volumétries de la cage de scène et de la salle. Le plafond trop bas de la salle a été réhaussé. Agrandie d’une trame de 5 m, la jauge de la salle est passée de 385 à 430 places et des régies ouvertes ont pu être intégrées. La courbe de visibilité a été revue. Les fauteuils de 56 cm de large sont en quinconce au milieu et alignés sur les côtés. La hauteur de 1,10 m de la scène était problématique. En réhaussant le niveau 0 de la salle, la hauteur de la scène a été ramenée à 90 cm. L’entrée de la salle Apothéloz a été décalée dans le foyer pour aménager une pente douce afin de rattraper le nouveau niveau du parterre. Tous les sièges sont rabattables. Des accroches sont installées dans la salle de théâtre et donnent ainsi la possibilité d’une polyvalence. Les issues de secours de la cage de scène permettent d’augmenter le nombre de personnes sur le plateau. Le premier rang se replie dans la trappe. De nouveaux panneaux sur les parois de la salle sont micro perforés. Un passage au niveau haut de la salle a été rajouté mais qui n’est pas visible de la scène. Cette circulation crée une liaison avec les loges et les bureaux et donne sur un escalier de secours extérieur.

La hauteur de la cage de scène, qui était plus basse côté coulisses jardin, retrouve la bonne hauteur et sa symétrie. La structure métallique est apparente. Le plateau fait 25 m de mur à mur et sa profondeur, du proscenium jusqu’à l’arrière-scène, est de 16 m. Le cadre de scène mobile varie de 14 m à 12 m avec une hauteur de 6 m. Une partie du plateau profite de dessous de scène à 2,40 m. Les sous-sols servent de circulation cour/jardin, de loges de changement rapide ainsi que de locaux de stockage aménagés.

Vue 3D - Document © PONT12 architectes

Vue 3D – Document © PONT12 architectes

La salle 76 – La Passerelle a aussi bénéficié d’une remise à neuf de la passerelle technique et des réseaux scéniques, d’un nouveau gradin rétractable, d’une jauge de 98 places, de loges et de sanitaires.

Le Théâtre ouvre ses portes avec un mois de programmation, représentation d’un paysage artistique très divers et notamment Cosmic Drama de Philippe Quesne sur le plateau de la salle 64 – Apothéloz, une production techniquement exigeante que les nouveaux aménagements de salle et de scène permettent dorénavant d’accueillir. Le Théâtre devient enfin un outil dans le respect de son architecture et à la hauteur de ses ambitions créatrices.

 

 

Générique

Rénovation, modernisation et agrandissement du Théâtre Vidy-Lausanne

  • Directeur : Vincent Baudriller
  • Maîtrise d’ouvrage : Ville de Lausanne, Direction de la Culture et du développement urbain, Direction Logement, environnement, architecture
  • Maîtrse d’œuvre :
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