Nouvelle SMAC vendéenne
“Quai” pour quai de la gare et “M” pour musique, la nouvelle SMAC de la Roche-sur-Yon se glisse entre les voies ferroviaires et la ville. Sa grande expressivité en fait un signal architectural fort, presque graphique. Une réelle aventure humaine et l’une des premières réalisations de Compagnie architecture, fondée par Chloé Bodart et Jules Eymard.
Le contexte
La salle mythique de concert Le Fuzz’Yon aura marqué la vie culturelle des Yonnais et d’autres amoureux des musiques actuelles venant parfois de loin. Gérée par l’association Fuzz’Yon, cette salle de 300 places debout arrivait à bout de souffle après trente-six années d’existence dans un bâtiment devenant vétuste. L’activité de l’Association se divisait également avec un autre lieu accueillant quatre studios de répétition et une école de musique. Sentiment d’éparpillement, envie d’offrir un meilleur accueil au public et aux artistes, des actions toujours plus foisonnantes et ambitieuses ont mené Benoît Benazet, directeur et programmateur, à plancher pendant plus de seize années sur la conception d’une nouvelle SMAC pouvant tout rassembler, tout en gardant l’âme chaleureuse du Fuzz’Yon. Le projet est soutenu et porté par la Communauté d’agglomération de la Roche-sur-Yon, désirant marquer le territoire par un geste culturel fort.
C’est sur une parcelle aux abords de la voie ferrée et du parking de la gare, anciennement occupée par un hangar de la SNCF, que le choix s’est posé. Directement visible depuis la gare, cet emplacement avait effectivement de nombreux avantages mais impliquait aussi un challenge de taille, notamment sur le plan acoustique et pour le déploiement des surfaces demandées.
Le jury réagit au coup de cœur pour la proposition de Compagnie architecture qui dégageait un langage plastique unique tout en répondant au programme établi. Forte d’expériences comme celle de La Sirène de la Rochelle, Compagnie architecture engage des propositions retournant parfois le programme. La contrainte de surface, les architectes l’ont prise à bras le corps en optimisant et mutualisant au maximum les espaces avec une attention sur l’accueil général du lieu. “Le résultat est un bâtiment très compact avec une emprise au sol de 1 500 m² pour une surface développée totale de 2 826 m² sur trois niveaux”, explique Chloé Bodart. Les discussions sont rendues possibles grâce à une grande complicité avec la maîtrise d’usage. Cette réalisation illustre encore une fois le besoin d’une connivence entre la maîtrise d’usage et la maîtrise d’œuvre, pour aller au-delà de la réalisation architecturale en soi et permettre à tout un chacun de s’approprier un lieu. Une autre spécificité marquant ce projet est la mise en place d’une permanence architecturale pendant toute la phase du chantier. Assurée par trois étudiants en architecture, c’est une réelle extension de l’agence d’architecture, un moyen habile et humain pour créer du lien entre architectes, entreprises, ouvriers, bureaux d’études, usagers et habitants.
La ligne plissée
Que l’on arrive de l’est, de l’ouest, du nord ou du sud, c’est une ligne plissée qui signe le bâtiment. Ce plissé parcourant l’extérieur et l’intérieur du lieu sera la ligne conductrice du geste architectural, “une sorte de ruban qui se déroule, un dialogue entre plusieurs matières, couleurs et modes constructifs”.(1)
Les lignes rappellent les ondes sonores, font vibrer les façades et invitent le public à se poser sur chaque élément marqué par la couleur rouge. La tôle ondulée de la toiture en shed (toiture en dents de scie) évoque l’ancienne zone industrielle ; les auvents triangulaires en tôle laquée en façade sud identifient les différentes entrées possibles pour le public ; les bandes colorées rouge et noire habillent le parvis dans toute sa longueur. Implanté en limite séparative, le bâtiment avait la contrainte d’avoir un mur aveugle en façade est. “Nous avons décidé de faire intervenir un artiste, Malte Martin, qui a proposé une interprétation graphique de notre plissé sur toute la hauteur du bâtiment, un signe qui finalement le complète et le rend encore plus identifiable.” La signature est travaillée jusqu’au bout car à l’intérieur, les lignes se retrouvent dans le mobilier, sur les revêtements muraux, les ombres portées de la toiture, …
La matérialité
Le bâtiment comporte une grande complexité acoustique et constructive pour être exemplaire en termes de sonorité intérieure et de respect du bruit extérieur. “Étant sur une zone sismique, la désolidarisation de l’ensemble des salles et des studios d’enregistrement par rapport à l’enveloppe extérieure était nécessaire. Tout fonctionne avec des principes de boîte dans la boîte, avec des complexes extrêmement larges et épais (bétons de 30 cm avec des couches d’isolants, plus les absorbants intérieurs)”, explique Chloé Bodart. Le matériau choisi pour répondre à ces exigences est le béton. “Mais nous le mettons là où c’est nécessaire. Tout ce qui permet d’être des lieux de vie et qui relie ces espaces de diffusion est en bois”, poursuit l’architecte. C’est d’ailleurs le bois qui a séduit dans la proposition architecturale. Le bois apparent habite les salles de diffusion, élance la façade sud avec une majestueuse charpente en bois extérieure et des terrasses filantes. Le Quai M devient une tour d’observation tournée sur la ville.
Tout laisser à nu, c’est une autre signature des architectes qui assument l’exposition de l’acte constructif. “Cela ne permet aucune erreur ni retouche sur place. […] Cela nécessite un vrai respect des autres entreprises pour les ouvrages terminés”, (2) enchérit Arnaud Bourasseau, conducteur de travaux chez LCA construction bois.
Un double accueil généreux
L’entrée du bâtiment s’effectue par le parvis en façade sud, avec deux accueils marqués par les auvents rouges. Si une entrée est dédiée aux utilisateurs des studios de répétition, la seconde concerne les espaces de diffusion. Dû à un défaut de réalisation, les toitures des auvents perdent leur fonction d’abri mais marquent cependant clairement les différentes entrées du public. Dans le prolongement, une fenêtre billetterie donne également sur l’extérieur mais la signalétique plus timide la rend peu identifiable.
Passées les portes, le premier élément allant à la rencontre des spectateurs est un premier bar circulaire élégamment habillé en caoutchouc dont le motif reprend le plissé des architectes. Ce premier hall regroupe un espace vestiaire, merchandising et billetterie. L’aspect général est minéral avec un revêtement sol et mur en béton. Cette première zone d’accueil lumineuse et respirante prend de la hauteur en se déployant au R+1. Un double escalier courbe invite en effet le public à continuer la balade au premier étage pour arriver sur un deuxième espace bar. Celui-ci débouche sur une terrasse périphérique avec un retour en façade qui est pour l’instant très utilisée comme bar ou fumoir. Ce double accueil laisse une grande liberté de circulation au public qui peut ainsi accéder à la grande salle de diffusion Delta par les gradins en R+1 ou bien par la fosse en rez-de-chaussée, mais aussi à la plus petite salle, le Club, depuis le R+1. “Nous nous sommes aperçus que la connexion entre les deux halls fonctionne très bien. En bas, nous sommes plus sur un lieu de passage, en haut les gens viennent plus se poser“ assure l’architecte.
Les studios
Le fonctionnement des studios de répétition se distingue des espaces de diffusion, notamment sur le plan des amplitudes horaires. Initialement prévus au R+2, les architectes proposent de les redescendre en rez-de-chaussée avec une entrée dédiée donnant directement sur le parvis. L’accueil est chaleureux avec une zone détente commune aux cinq studios. Ils sont alignés, de tailles et volumétries différentes, entre 30 et 46 m², pour permettre d’accueillir des groupes aux esthétiques musicales variées. Désolidarisés les uns des autres et séparés par des sas acoustiques (servant pour certains d’espaces de stockage), tout assure la simultanéité de leur usage. Très colorés, avec pour chacun une tonalité différente, leur ambiance y est cosy. Le béton reste apparent et nous retrouvons la ligne plissée marquée en soubassement des murs par un panneau plein en pin non peint. Le haut du mur est un habillage absorbant en laine de verre avec un recouvrement en tissu.
La salle Delta
Quand nous entrons dans la grande salle du Quai M, c’est l’odeur boisée qui nous surprend. Travaillé comme un décor en bois, cet écrin sonore étonne par sa grande charpente laissée apparente, redescendant pour porter les gradins et ses bergeries. “Nous ne voulions pas une boîte noire totalement absorbante. Pour nous, la volonté était d’avoir une salle reconnaissable, identifiable, que ce soit un vrai atout avec justement cette structure, cette volumétrie, ce rapport à la matière”, explique l’architecte. En plus de se distinguer des autres SMACs, la géométrie de la structure participe au renvoi du son. Toutes les parties basses des murs marquées par le fameux plissé sont en bois plein, un médium teinté dans la masse de couleur bleu intense. La partie haute des murs et la sous face de la couverture intègrent quant à elles les absorbants acoustiques. “Nous avons un rapport équilibré entre une réverbération et une absorption, lui donnant une acoustique très spécifique”, ajoute l’architecte. Cette charpente très claire aurait l’unique désavantage de poser quelques difficultés de réflexion pour les techniciens éclairagistes.
“Plusieurs salles ont inspiré l’écriture de mon projet : l’Ancienne Belgique à Bruxelles, le Terminal 5 à NYC, l’Aeronef de Lille”(2), raconte Benoît Benazet. Des salles reflétant l’envie de conserver la grande proximité avec le public et qui caractérisent le Fuzz’Yon. Avec une fosse de 228 m² gradinée, une scène fixe de 150 m² (15,90 m de large, 9,40 m de profondeur) surélevée de 1,10 m, et enfin le balcon s’avançant sur la fosse par les bergeries, le rapport scène/salle est maîtrisé. “Le principe dans la salle est de trouver plusieurs niveaux d’assises permettant d’améliorer la visibilité et permettant aussi aux artistes d’avoir une vue avec beaucoup de gens dans la salle”, complète Jules Eymard.
Le besoin de modularité avait été exprimé dès le programme par Guillaume Suzenet, directeur technique. En configuration debout, la jauge maximale s’élève à 874 places avec 684 personnes dans la fosse, 152 au balcon et 38 dans les deux bergeries. Pour des concerts plus petits, seule la fosse reste accessible : la salle est partitionnée en ajoutant un rideau noir au niveau du balcon. Pour des configurations assises, qui ne sont pas forcément l’idéal au vue des grandes altimétries, la salle accueille environ 340 places.
Les passerelles techniques ceinturent la salle avec un accès depuis le balcon, empêché au public, et un accès en arrière-scène directement en R+2. La charpente de la salle continue de se révéler au travers des structures truss pilotées par un système de palans naviguant sur fers filants. L’arrière-scène de la salle Delta est tamponnée par un sas équipé de deux grandes portes acoustiques. Tout est de plain-pied et dans l’axe pour un accès facilité au quai de déchargement et à l’aire logistique en façade ouest. Enfin, l’arrière-scène est optimisée avec un ascenseur/monte-charge, un espace de stockage et un atelier d’environ 60 m2.
Le Club
Le Club, d’une jauge de 198 places, est lui dédié aux résidences, concerts de plus petites jauges ou autres petites formes. Situé en R+1, il était initialement pensé au rez-de-chaussée pour avoir une arrière-scène commune avec la salle Delta. Ce changement de niveau donne une priorité d’accès aux studios de répétition depuis le parvis et permet une simultanéité d’usage avec la salle Delta. Sa forme suit les voiles plissés extérieurs, resserre légèrement la fosse et trompe ainsi l’œil sur la jauge supportée. Malgré une grande hauteur sous plafond, la proximité de la scène avec le public et le revêtement mural lui confèrent un côté plus intimiste. Une passerelle technique fixe palisse le fond de salle en R+2. Ainsi, la circulation des techniciens est facilitée avec un accès direct aux deux salles de diffusion par le même niveau. L’installation des équipements scéniques suit le même principe que la salle Delta avec un système de fers filants, palans et truss.
Une lanterne sur la ville
La compacité du bâtiment génère finalement une fluidité et une intelligence dans l’organisation des espaces. En façade ouest, faisant face aux habitations, sont distribués 4 loges généreuses en R+1 ainsi que les bureaux en R+2, s’ouvrant sur des balcons filants. Au sud, l’espace catering, déployé en R+2 et accessible pour le personnel et les artistes, a été vu large. Encore une fois, l’optimisation est de rigueur en cherchant à mutualiser espace de réunion, catering et bibliothèque. Se dessine ainsi un espace atypique de 150 m2 complété par une terrasse. Illuminé le soir, il devient ainsi une lanterne au sommet du bâtiment.
Retrouvez l’ouvrage Écouter Voir sur le site librairie-as.com
Notes
(1) Julia Vallvé, Écouter et accompagner, Éditions B42
(2) Propos recueillis par Julia Vallvé, tirés du livre Écouter et accompagner, Éditions B42
- Maîtrise d’ouvrage : Agglomération de la Roche-sur-Yon
- Maîtrise d’usage : Fuzz’Yon
- Architecte mandataire : Compagnie architecture, Chloé Bodart, Jules Eymard, Léa Bouthier, Pénélope Flechet, Amélie Jaudeau, Anna Legrand, Tiphaine Sirio
- BET acoustique : Acoustex
- Scénographie technique : Daniel Sourt
- Intervention artistique : Malte Martin
- Équipements scéniques : Melpomen
- BET structure : Ligne B.e.
- BET fluides : T1E Ingénierie
- Économiste : Hoeco
- Conduite d’opération : Agglomération de la Roche-sur-Yon
- Bureau de contrôle : Qualiconsult
Calendrier
- Études : de février 2018 à décembre 2019
- Travaux : de décembre 2019 à février 2022
- Livraison : avril 2022
- Surface de plancher : 2 826 m2
- Montant des travaux : 5 830 000 € HT