Il grandit à Carpentras, suit une formation art plastique au lycée avant de rejoindre l’École régionale d’acteurs de Cannes avec pour ambition, à la sortie, de s’inscrire aux Beaux-Arts de Marseille en section vidéo et installation. Il abandonne les Beaux-Arts au profit du CNSAD (Conservatoire national supérieur d’art dramatique) à Paris où il crée ses premiers spectacles avec Vincent Macaigne. Les noms de Nihil Bordures (composition), Julien Boizard (création lumière et direction technique), Anaïs Cartier (administration, production) et Mehdi Toutain-Lopez (vidéo) sont gravés à côté du sien dans le marbre du noyau dur qui a présidé à la création du singulier Collectif MxM dont l’ADN est la performance filmique. Rencontre avec Cyril Teste.
Panorama(s) sensible(s)
Au moment où nous écrivons ces lignes, La Mouette va être représentée au Théâtre national de Bruxelles, promenant sur les routes une équipe de vingt-cinq personnes. Salomé est en répétition au Wiener Staatsoper où Cyril Teste s’est entouré d’une dizaine de collaborateurs fidèles. Fidélio va être repris à l’Opéra de Nice. En l’espace d’un mois, quatre projets signés MxM coexistent. Teste tient à nommer “laboratoire” cet endroit où se dessinent les pistes d’avenir et les récits nouveaux. Un laboratoire pour définir une manière de travailler. Le Collectif puise, depuis sa création, sa force et son inspiration dans le mouvement et dans la fusion créative des arts et des techniques. Ici, nous ne scindons pas art et technique. Le technicien est créateur et l’émulation collective est un Graal. Enfants de l’an 2000, Cyril Teste et sa bande réinvestissent les friches culturelles et se nourrissent à l’écriture de plateau. MxM naît du désir d’être libre et de ne pas attendre l’autorisation pour créer. La technique s’impose. Les manières de travailler, de faire les mondes s’ajustent, se façonnent, s’élaborent en direct. D’abord, Teste interroge tout à toute vitesse. Il veut créer ses méthodes. Il sait que les révolutions artistiques sont nées avec l’apparition des outils et techniques.
Il cite Cassavetes, Bergman, Vinterberg, … Il s’enivre à l’âme des troupes, s’empare de la vidéo et des nouvelles technologies comme un des attributs de la machinerie scénique. Il décale tout, pense concret avec l’outil et le monde qui l’entourent. Il mélange les médias, crée des terminologies, s’immerge et laisse infuser les pratiques. Il se refuse à être un sociologue, un philosophe ou un historien et nomme précisément l’endroit de l’artiste, de sa vision et de ses obsessions. Il dessine sa carte sensible comme un savant fou. Ses plateaux répondent à l’injonction d’une grammaire cinématographique appliquée au théâtre et se fixent des règles narratives strictes. Il scrute ses obsessions dont il n’a souvent – il le reconnaît volontiers – aucune conscience et construit des paysages en leur honneur. Multiplicité des langages, richesse du vocabulaire scénique, obsessions narratives, les performances filmiques du collectif MxM sont uniques en leur genre et leur grammaire immanquablement reconnaissable malgré l’apparente diversité des formes. Il se dit homme de théâtre et non faiseur de spectacle. Sans cesse il interroge ce vieil art pour le réanimer, lui (re)donner un sens, le faire résonner avec les grands récits du temps présent.
Aux frontières de l’illusion
Tout commence avec Alice Underground, inspiré de Lewis Caroll, créé au CNSAD, qui questionne déjà les frontières de l’illusion et contient les éléments fondateurs de leur déploiement artistique. La rencontre avec Ariel Garcia Valdès à l’ENSAD est déterminante. Avec lui, il expérimente et crée la performance filmique. Au parc Boffet à Montpellier, au prétexte d’une fête, d’une famille, d’une nuit dans un jardin, caméra au poing ou posée dans un angle, Park n’est ni théâtre ni cinéma. C’est un long métrage tourné, monté et réalisé en temps réel sous les yeux du public et en décor naturel. Tous les ingrédients sont là, les expérimentations débutantes ne cesseront de se parfaire. Il apprend à travailler en décor naturel avec les comédien.ne.s. Shot/Direct, anatomie du terrorisme et de ses commentaires médiatiques à partir des textes de Patrick Bouvet, lecture/multimédia et concert/installation ancrent la démarche esthétique et politique du Collectif. Suivent les lectures essentielles de Falk Richter (Electronic City et Nobody) ou Pauline Peyrade (Ctrl X) avant le retour aux répertoires Hamlet, Fidélio, La Mouette et le passage par les adaptations de films Opening Night et Festen. Son rapport à l’espace est fondamental et constitutif de ses recherches. Il s’affirme plasticien, cite volontiers Rothko, Bruce Nauman et Bill Viola. Une création chez MxM, ce sont des êtres au travail en parallèle dans leur domaine et c’est un temps long d’infusion et de création (environ deux ans). Tout commence dans ce lieu inspirant qui est devenu un camp de base : la Maison Jacques Copeau à Pernand-Vergelesses. Là, l’équipe technique uniquement se réunit pour poser les premiers jalons.
Travailler le geste
Discussions autour d’une table, autour d’un verre, moment informel, l’entrée dans les projets varie en fonction de leur nature : adaptation, opéra, … Ce sont souvent les images qui ouvrent le bal. La création de La Mouette a débuté avec deux captures d’écran tirées des films de Cassavetes. L’importance du rituel à la Maison Copeau nourrit ce premier temps de travail où chacun dépose sa matière (fragment de citation, atlas, extrait de film, tableau, …). Progressivement, des liants et des liens se créent. Puis les équipes se mettent au travail par cellules : le texte avec les dramaturges et collaborateurs artistiques – là encore, nous retrouvons des fidèles telles que Marion Pelissier, Leila Adham ; la musique avec Nihil Bordures ; la vidéo, la lumière, la scénographie avec Julien Boizard, Mehdi Toutain-Lopez, Hugo Arcier, Valérie Grall ; le jeu. Chaque cellule dessine son paysage sensible, réfléchit, fusionne les imaginaires. À l’issue de cette première période, retour en Bourgogne où le brassage des idées et des projections se frotte au concret et au réel avant un passage par la maquette. La modélisation passe par des projections à l’aide de mini projecteurs Pico. Essais de projections, storyboards animés, c’est l’étape d’une maquette 3D animée. Les cellules fouillent leurs gestes et nourrissent leurs inspirations à force de réalité avant de commencer à se rencontrer. Les comédien.ne.s travaillent le texte en décor naturel. Six à huit mois avant la création, tout le monde se réunit une quinzaine de jours pour la première fois sur un plateau. Là, tout s’écrit ensemble, tout est interrogé. Teste est un intuitif parfaitement structuré. Il élabore ses méthodes et ses cadres, apprivoise les espaces et le sens, infuse sa sensibilité dans toutes les strates de la création. Amoureux du cinéma de troupe, il a créé sa famille théâtrale aux racines bien ancrées, la barre tendue vers la modernité.
Disparaître dans le sujet
Scénographie paysage, dispositif scénique et écriture cinématographique sont les trois modalités qui correspondent aux grands axes de recherche. Avec cela, Teste écrit sa grammaire et se promène de l’installation interactive aux créations avec toujours ce rapport aussi puissant à l’artisanat qu’à la projection digitale. Son expérience de professeur au Fresnoy lui permet de travailler sur des projets de réalité virtuelle et l’image de synthèse. C’est ainsi que naît Éden, expérience immersive et interactive en réalité virtuelle avec Hugo Arcier. C’est ainsi également que naît Panorama, initié par la fondation Hermès avec des étudiant.e.s en école d’art. C’est ainsi enfin que se façonne en ce moment même la Neuvième École, en préparation d’un pavillon à la Quadriennale de Prague où il travaille avec Nina Chalot et Céline Pelcé. Challenger le présent des images, introduire des écrans à l’intérieur des dispositifs, des écrans intradiégétiques, c’est appréhender l’espace de manière très différente. Comment apparaît un gros plan ? Comment disparaît-il ? Sur quel support ? L’image devient l’espace et la question que pose sans cesse Teste avec ses dispositifs est : comment l’image fait-elle espace ? Comment génère-t-elle de(s) espace(s). “Il y a plusieurs manières de regarder un paysage. Lorsque nous nous promenons en forêt, il faut se poser la question de la manière que nous avons d’être dans le paysage. Je ne regarde pas la scène, je suis à l’intérieur. La beauté est tout autour de nous disent les Amérindiens. Pour être précis, il faut disparaître dans le sujet, s’effacer. J’ai appris de Cassavetes qu’il fallait saisir les énergies. Pas l’humeur. L’énergie. Je ne suis pas un messager. Disparaître dans le sujet est la plus juste façon de se dissoudre dans le sensible. C’est tout simplement là où nous sommes vivants. Je n’ai aucune envie d’apporter des réponses à ce que je fais. Je le fais être vivant. Cela me torture, me bouleverse, mais je ressens la moindre particule à l’intérieur de moi. Je sens la vie battre. Comme ceux qui partent en apnée dans les profondeurs : ils ne sont pas des messagers mais viennent chercher, dans les profondeurs, quelque chose pour eux et, lorsqu’ils reviennent au monde, ils nous ont permis d’accéder à ces profondeurs. Ils nous passent quelque chose. Je ne suis pas un messager, je suis un passeur.” Dans ses choix de répertoires, effacées dans ses sujets, nous lisons ses obsessions, les terres friables du masculin, l’absence du père, la difficulté de se définir. Pudique et précis, sa quête est organique et son entreprise impeccable. La création de Platonov est en cours : “En une nuit, il y a une vie. C’est quantique. Dans Platonov, il y a tout. La mémoire d’un amour jeune, toute la belle ambiguïté des amitiés amoureuses, la maltraitance, … Cet homme ne saisit aucun présent dans la relation. Soit il anticipe, soit il a peur, soit il regrette. Il est suspendu.” Il est peu de dire qu’elle est attendue avec impatience.