Interview de son président
Toutes les photos sont de © Réditec
C’est à la veille des 8e rencontres Réditec (Réunion des directions techniques) que nous interrogeons Jean-Jacques Monier, président de l’Association. L’occasion d’évoquer la rencontre nationale mais également de revenir sur l’origine de la structure, son évolution et ses projets. Une interview tout sourire où nous découvrons – entre autres – que Réditec soufflera bientôt ses trente bougies.
C’est à deux pas de l’Opéra de Lyon, sous un magnifique soleil de septembre, que nous rencontrons Jean-Jacques Monier, un président nouvellement retraité du Théâtre national de Strasbourg qui nous avoue être débarrassé du stress “pour la première fois de sa vie”. Débordant d’énergie, il répond à nos questions avec un enthousiasme communicatif.
Réditec a bientôt trente ans. Pouvez-vous nous parler de sa création ?
Jean-Jacques Monier : Cela s’est passé juste ici, à Lyon, dans un bureau de l’Hôtel de ville. Nous sommes en 1993 ; j’étais alors directeur technique du TJA (Théâtre des Jeunes Années devenu depuis le TNG – Théâtre Nouvelle Génération) et je venais d’être convoqué par la Ville en compagnie de six autres directeurs techniques. Le TJA côtoyait l’Auditorium, le Théâtre de Lyon (aujourd’hui Théâtre du Point du Jour), l’Opéra de Lyon, la Maison de la danse, le Théâtre des Célestins et le Théâtre de la Croix-Rousse. Il était question de discuter de la gestion du personnel municipal mis à disposition dans nos théâtres. La réunion a été plutôt houleuse car nous nous sommes rendus compte que les syndicats et la Ville dialoguaient entre eux mais sans jamais associer les directeurs techniques aux débats. On nous parlait de réforme du personnel municipal et nos sept théâtres devaient faire front commun. Il nous était nécessaire de travailler ensemble et d’apprendre à mieux nous connaître. C’était le point de départ ! Nous avons pris l’habitude de déjeuner tous les sept de manière régulière et avons défini trois règles : toujours décrocher le téléphone lorsque l’un d’entre nous appelle, se prêter du matériel et s’inviter dans nos théâtres. C’était une collaboration généreuse et très détendue qui se voulait informelle. Informelle, c’était vraiment le mot clé ; nous y tenions beaucoup !
À l’époque, nous nous étions donné un petit surnom : le G7 ! Il n’a pas tenu très longtemps. Le réseau “informel” a vite pris de l’ampleur. Il ne s’agissait pas d’un calcul ou d’une stratégie. Par affinités et au fil des rencontres, le groupe lyonnais s’est rapproché de directeurs techniques basés en Bourgogne ou à Paris. Très vite, nous avons également réalisé que des réseaux équivalents avaient vu le jour à Nantes et en Normandie. Le rapprochement s’est fait naturellement et les échanges entre nos maisons se sont densifiés.
En 2006, la réforme des règles relatives à la défense contre l’incendie des ERP de type L est dans les cartons. Regis Vasseur, directeur technique de l’Opéra de Nantes, après une remarque de l’UDS (Union des scénographes), sollicite la sous-commission à la sécurité pour faire entendre notre voix. Nous réalisons alors que sans structure légale, il nous sera impossible de faire valoir notre point de vue. Le commandant en charge de la sous-commission nous le fait comprendre de façon très claire ! À l’issue d’un vote très formel, nous décidons ainsi de nous doter d’une structure légale et créons l’Association professionnelle des responsables techniques du spectacle vivant. C’est toujours le nom officiel de Réditec ! J’en suis alors le secrétaire et Régis Vasseur son premier président.
Réditec représente aujourd’hui plus de trois cents adhérent.e.s. Nous sommes loin de la logique très informelle des débuts ?
J.-J. M. : Non, au contraire, nous nous attachons à conserver l’esprit d’origine. C’est vrai qu’aujourd’hui Réditec rassemble trois cents directeur.rice.s techniques et régisseur.se.s généraux.ales d’horizons divers : théâtres, compagnies, fonctionnaires, intermittents, permanents, … Pourtant, nous cultivons la proximité entre nos membres qui est l’un des intérêts majeurs de l’Association. Les cadres de la direction technique rencontrent tous les mêmes problèmes. Nous favorisons l’échange de bonnes pratiques et le partage d’expérience. C’est la force de Réditec : il n’y a pas de “petits” et de “gros” mais uniquement des professionnels qui collaborent entre eux.
Le site Internet joue un rôle essentiel dans ce partage d’expérience. Le “foyer” est un forum où chacun peut exposer ses problèmes : un souci avec les blocs de secours, une console ou un logiciel, … Si vous avez une question, soyez certains qu’un autre membre de Réditec a la réponse.
Nous proposons également des groupes de travail où chacun peut s’investir en fonction de ses disponibilités. C’est un moyen efficace pour développer son réseau et faire avancer la réflexion.
Cette cohésion entre les membres a été essentielle durant la Covid. C’est arrivé si vite, la perte de repères était totale. Nous nous sommes mobilisés pour avoir des bases réglementaires, des positions de principe, … Le collectif s’est imposé comme un socle sur lequel reconstruire le travail. Durant la crise, nous sommes passés de deux cents adhérent.e.s à trois cents ! C’est assez significatif du besoin d’informations et de solidarité professionnelle auquel nous étions confrontés.
La seule évolution de fond depuis la création de l’Association est notre visibilité. Notre action est plus lisible et nous nous sommes imposés comme des interlocuteurs crédibles. Aujourd’hui, la compétence des membres de Réditec est reconnue et nous sommes sollicités par les pouvoirs publics, les collectivités locales ou les laboratoires de recherche universitaire. Notre expertise et nos conseils sont demandés. Les réflexions de fond qui sont menées dans divers domaines de la direction technique sont précieuses et appréciées.
L’hypothèse de devenir un syndicat professionnel a été clairement écartée. Nous sommes une association professionnelle mais notre voix pèse désormais dans les débats.
Demain s’ouvrent les 8e rencontres nationales de Réditec. Ce colloque fait désormais partie du paysage institutionnel ?
J.-J. M. : Oui, nous sommes assez satisfaits. Demain, c’est plus de cent soixante-dix directeur.rice.s techniques et régisseurs généraux qui se rassembleront aux Subsistances pour faire avancer la réflexion. Depuis plusieurs années, nous avons pris l’habitude de travailler avec des universitaires, des ergonomes, des chercheurs, … Ces 8e rencontres seront ouvertes par Micha Ferrier-Barbut, une sociologue spécialiste des ressources humaines dans le secteur de la Culture. Nous lui avons confié le soin de dresser un état des lieux des pratiques managériales des directions techniques. Nous donnerons ensuite la parole à Jean-François Thomelin qui est directeur général de l’Actualité de la scénographie, Géraldine Mercier, directrice des études de l’Ensatt, et Annabel Fay, administratrice d’Auvergne Rhône-Alpes Spectacle Vivant, pour parler de la crise de l’attractivité qui secoue actuellement la profession. Nous avons besoin de comprendre l’origine de la crise ainsi que son ampleur.
Dès le milieu de matinée, les participant.e.s rejoindront des tables rondes sur le management, le recrutement, la formation, le leadership, … L’après-midi sera consacré à des ateliers. Nous souhaitons vraiment que les directeur.rice.s techniques et les régisseur.se.s contribuent à la réflexion et s’emparent d’outils. Ces rencontres s’inscrivent dans une dynamique très participative. C’est pour nous l’occasion de faire évoluer les mentalités et surtout de provoquer la rencontre : plus de proximité, plus de réseau, plus de partage !
Nous espérons également qu’à l’issue de ces rencontres les directeur.rice.s techniques et les régisseur.se.s puissent se sentir mieux armés en matière de management. Cette orientation est assez nouvelle. Il y a désormais une visée pratique et immédiate réclamée par nos adhérent.e.s. C’est pourquoi des consultants en management ont été associés à cette journée.
Réditec renforce ainsi un axe central dans la dynamique de la structure : la transmission. Améliorer les méthodes de travail, capitaliser l’expérience et la diffuser largement à tous ses membres.
Pourquoi cette thématique “tous managers” ? C’est assez inattendu. Est-ce en phase avec les attentes des directeur.rice.s techniques ?
J.-J. M. : Cette question du management est aujourd’hui au centre des interrogations de notre profession. C’est une tendance lourde identifiée depuis plusieurs années. Nous sommes de plus en plus managers et de moins en moins techniciens. Paradoxalement, très peu d’entre nous sont formés à la gestion du personnel. Il existe un sentiment de fragilité partagé par la plupart des directeur.rice.s techniques et régisseur.se.s. L’étude de Micha Ferrier-Barbut montre un réel besoin d’accompagnement et de partage sur le sujet. Nous ne pouvons pas gérer des équipes et nous sentir démunis en matière de management. Nous avons besoin de formation à la gestion des émotions, des conflits, au travail avec les jeunes générations, … Les responsables techniques ont besoin de gagner en confiance. 87 % des professionnels interrogés ne se sentent pas légitimes comme managers. C’est tout de même un besoin écrasant à prendre en compte !
Paradoxalement, si ce besoin est palpable, il n’y a pratiquement jamais de question sur ce thème dans le “foyer”, c’est probablement une forme de pudeur ou de timidité. Les directions techniques ne s’autorisent pas à dire “Je ne sais pas faire, j’ai besoin d’aide”. Nous sommes censés être des experts en tout ! Les rencontres nationales visent à faire bouger cet état d’esprit.
Réditec doit jouer son rôle sur ce thème et venir en aide aux directeur.rice.s techniques et aux régisseur.se.s. À nouveau, c’est l’échange de bonnes pratiques qui nous permettra d’avancer. Il faut être innovant sur ce sujet. J’aimerais favoriser les “vis ma vie” par exemple : que des cadres de la direction technique puissent travailler en immersion dans le théâtre des collègues pour adopter des outils ou suggérer des changements.
Quels sont les projets à l’issue de ces rencontres ? Quels sont les grands enjeux pour Réditec ?
J.-J. M. : Dans un premier temps, nous allons nous approprier l’étude de Micha Ferrier-Barbut. Il y aura également la publication des actes des 8e rencontres prévue pour les BIS 2023 (Biennales internationales du spectacle) et une prochaine table ronde aux JTSE (Journées Techniques du Spectacle et de l’Événement). Ces chantiers devraient nous occuper tout l’automne.
Nous poursuivons par ailleurs notre travail avec Chloé Langeard, enseignante-chercheuse à l’Université d’Angers qui mène une étude sur les directions techniques. Il n’y a pratiquement aucuns travaux sur ce sujet !
À plus long terme, nous avons encore quelques batailles à gagner. L’activité de la Réditec repose sur le militantisme d’un bureau et de quelques adhérent.e.s très investi.e.s. Il faut mobiliser, encore et toujours ; rassembler pour gagner en efficacité. L’adhésion à Réditec est ouverte à tous les cadres de la direction technique ; permanents et intermittents sont les bienvenus. Le coût de l’adhésion annuelle est de 50 €. Pour des questions d’indépendance, seules les personnes physiques peuvent adhérer ; il s’agit d’une adhésion en nom propre.
Il nous faut ainsi présenter l’Association et convaincre ; convaincre les intermittents du spectacle de l’intérêt d’adhérer et faire en sorte que les artistes ne nous perçoivent pas comme un groupuscule défendant des intérêts corporatistes.
Enfin, et surtout, plus de femmes doivent nous rejoindre. Aujourd’hui, 80 % des adhérents de Réditec sont des hommes. Cette statistique est à l’image de notre profession. Peut-être que féminiser les rangs de Réditec permettra de sensibiliser les jeunes générations. Nous avons besoin de plus de femmes au sein des directions techniques.
Dans les prochains mois, je vais me rendre en régions pour rencontrer les adhérent.e.s. Les relais locaux sont précieux pour susciter les envies et les nouvelles adhésions. Lors de ces rencontres, je rappelle toujours l’histoire de Réditec : tout est parti de bonnes bouffes et d’éclats de rire. Que partout en France les directeur.rice.s techniques et les régisseur.se.s généraux.ales fassent la même chose ! C’est aussi simple que cela ! Il faut rompre l’isolement et favoriser le contact. C’est l’essence même de Réditec.
Pour adhérer à Réditec : https://reditec.org/adherer/