Un mouvement de roque
La restructuration de l’Espace Grüber du TNS (Théâtre national de Strasbourg) s’inscrit dans un large projet de réaménagement étalé sur plusieurs années et initié par Stanislas Nordey en 2015. Sous la volonté engagée de la nouvelle direction, ce lieu – qui n’a pas vocation à être un théâtre à proprement dit – devient un bel outil de création revisitant les formes et en inventant de nouvelles. La particularité et la grande force du TNS sont bien sa dimension théâtre-école disposant de salles multiples totalement complémentaires dont la modularité et la technicité sont les maîtres-mots.
Un lieu non institutionnel
La situation géographique et l’historique de l’Espace Grüber en font déjà un lieu particulier. Situé non loin du TNS et à la limite de la Neustadt – zone classée au patrimoine de l’UNESCO – cet ancien bâtiment militaire construit par les Allemands en 1870 se déploie le long d’une rue passante et tient pour voisin direct l’Armée. Cette précédente appartenance se lit notamment dans la continuité des façades en briques rouges et soubassement en grès des Vosges. L’Espace Grüber est confié au TNS en 1997 et devient propriété du ministère de la Culture en 2002. Originairement pensé comme un lieu de répétition avec ses deux salles, il devient très vite un lieu de représentation venant en complément des salles existantes du TNS. Des travaux d’extension s’opèrent en 2005. Or, les travaux ont été faits à l’économie et ne viennent pas appuyer la fonctionnalité du lieu : espace d’accueil du public dérisoire, impossibilité de faire jouer les deux salles en même temps, capacité d’accroche complexe et zone de dépôt inaccessible. En somme, un lieu morcelé arrivant vite à ses limites.
Le mouvement de roque
Le programme de l’opération se façonne en écoute attentive de tous les utilisateurs du site, assurant ainsi une qualité et une construction des échanges saluées par chaque membre de l’équipe de maîtrise d’œuvre. “L’idée n’était pas de refaire un théâtre”, explique Jean-Jacques Monier, directeur technique du TNS. Il s’agissait de retrouver de vrais espaces d’accueil du public, résoudre les problématiques acoustiques pour permettre aux deux salles de cohabiter et enfin améliorer le stockage et les systèmes d’accroche. Le projet architectural de l’Atelier Fabre/Speller remet la technique au cœur d’une composition plus simple et rigoureuse tout en exaltant l’esprit semi-industriel du lieu. Le bâtiment étant contraint par les constructions environnantes, il était impossible de pousser les murs et d’augmenter considérablement en surface. En permutant alors les espaces inutilisés, un mouvement de roque a permis de recréer un noyau central vivant composé de la zone d’accueil public et d’un espace de stockage totalement mutualisé, qui de fait permet d’éloigner et d’isoler les deux salles. “Cela donne un outil de travail très pertinent et très efficace”, conclut Thierry Guignard, scénographe.
Rentrer par les coulisses
Pour tous les usagers, l’entrée s’effectue uniquement depuis la rue. Si auparavant l’accueil se réduisait à un couloir sombre, le lieu se dote désormais d’un vaste espace très lumineux d’environ 226 m2 abritant une billetterie, une bibliothèque, des vestiaires et un bar de 18 m2, et distribuant de manière claire les deux salles que sont le studio et le hall.
Le regard est en effet invité à prendre de la hauteur et à redécouvrir une charpente légère dont les travaux de 2007-2008 avaient déjà permis de refaire l’isolation par l’extérieur. Le revêtement en bois du plafond et la nouvelle paroi boisée sur toute la hauteur du nouveau studio s’épousent ainsi de manière élégante. Le mobilier entre métal et MDF, la signalétique ainsi que les luminaires permettent de rester dans le langage technique du spectacle. Au sol, les larges dalles en béton de tonalité gris souris renforcent le côté brut du volume. Malgré les 12 m de hauteur, l’acoustique est maîtrisée par des plafonds perforés à l’entrée et des panneaux acoustiques absorbants au niveau de la mezzanine donnant sur le noyau central.
Si le public a retrouvé un vrai espace d’accueil capable de recevoir également des expositions, hors représentation le lieu se transforme en une zone supplémentaire de travail pour les techniciens directement reliée au foyer des artistes. Ce dernier, d’une surface de 44 m2, se trouve à un niveau supérieur (+ 1,33 m), en plein alignement avec l’entrée principale et au carrefour du bureau des régisseurs et des six loges complètement réaménagées. “C’est l’idée qu’il y a une vie au centre où les gens se croisent, voient ce qui se fait. Au final, c’est un foyer qui a un esprit d’arrière-scène mais qui redevient un espace de vie du public comme si nous faisions entrer les spectateurs par les coulisses. Je crois beaucoup en ces lieux avec des côtés moins officiels et plus créatifs. Nous sommes plongés directement dans l’ambiance de fabrication d’un théâtre”, nous résume Xavier Fabre.
Le Studio Jean-Pierre Vincent
“Si le studio a perdu en dimension, il a gagné en identité. Avant c’était une boîte quelconque en parpaings ; là c’est devenu un espace en bois dont la volumétrie fait écho à celle de la charpente”, explique Antoine Dervaux, directeur technique adjoint. Passé les sas, nous entrons dans une vraie boîte noire de dimension presque carrée (16 m x 15 m) rendue complètement autonome. Désolidarisé afin d’éviter les transmissions solidiennes, le studio s’ancre dans une nouvelle dalle recouverte d’un plancher de bouleau (triple épaisseur) posé sur lambourdes, elles-mêmes posées sur une couche d’isolant phonique. Les 30 cm de reprise aux murs, avec 50 mm de bois de chaque côté et des billes d’argile au milieu, confèrent au lieu une inertie impeccable. Un quadrillage mural simple construit avec des panneaux acoustiques carrés s’équilibre entre éléments durs et absorbants. “Pour parfaire cette ambiance sonore, un complexe plutôt dur et réfléchissant au plafond assure un bon retour vers le public”, nous explique Federico Cruz-Barney du studio acoustique DAP.
La salle s’équipe d’une résille fixe à une hauteur de 6,40 m pouvant supporter jusqu’à trois tonnes de charges et au travers desquelles nous devinons les anciennes charpentes rappelant l’esprit du lieu. 1 m sous le gril, une lisse périphérique d’une capacité de 80 daN par ml renchérit la possibilité d’accroche. Enfin, de multiples boîtiers audiovisuels distribués au plateau et en partie haute répondent aux besoins essentiels de modularité de l’espace et à sa typologie scène intégrée. Tout a été pensé pour garantir une grande souplesse. Les différents dégagements (sas depuis le foyer d’accueil, accès vers les coulisses/loges et accès décor de plain-pied) sont portés à trois unités de passage ; l’entrée du public peut s’effectuer des deux côtés de l’espace et le gradin, d’une jauge usuelle de 134 places assises, permet une dizaine de configurations de jeu différentes. Ce dernier, sur roulettes et coussins d’air, a été conçu et réalisé par les ateliers du TNS. Avec un pas variable de 88, 96 ou 104 cm, la jauge s’ajuste en fonction de la dimension du plateau (jusqu’à 144 places en frontal, 165 en bifrontal et 153 en trifrontal). Ainsi, une fois à l’intérieur, le studio s’efface pour laisser place à un outil scénique complet conservant une forte personnalité.
Le hall Klaus Michaël Grüber
Situé à l’opposé du studio, le hall se présente comme une grande halle dessinée en longueur de 548 m2. La salle de 19,20 m x 28,80 m perd légèrement en longueur mais conserve sa note brute et industrielle. La charpente reste visible, le sol en béton clair est inchangé, les murs en briques sont repeints en noir et les grandes niches au lointain marquent le côté monumental du lieu. Présents avant la restructuration, les deux sas côté rue sont repoussés de 60 cm vers l’extérieur, permettant de réaligner le centre de la salle et le plateau et ainsi de ne plus confondre l’espace.
La problématique principale du hall résidait dans un système d’accroche chronophage et fastidieux puisque tout devait se faire à la nacelle, le gril étant contraint par les fermes sur lesquelles il reposait. La grosse intervention a donc été d’éliminer les surcharges sur la structure du bâtiment par la création de nouveaux éléments porteurs autonomes doublant la charpente existante. Six portiques de types fermes à la Polonceau viennent désormais enchâsser l’ancienne ferme portant de grands fers filants et ramenant les charges au sol. Une solution déjà apportée par le programmiste qui permet une surcharge jusqu’à une tonne par fer longitudinal, soit six tonnes par portique. Quarante-huit palans (plus deux en réserve) motorisés et pilotés par une commande générale sont distribués sur les six travées, pouvant être déplacés en fonction des besoins scéniques. “Nous avons presque un fonctionnement de faux gril”, explique Xavier Fabre, avec des hauteurs sous accroches variables (5,80 m, 6,80 m ou 8,60 m) selon la largeur des ponts à suspendre. “C’était la solution la plus simple. Avec ces palans, suivant ce que demandent les artistes, nous pouvons leur accrocher ce qu’ils veulent et dans le sens souhaité”, ajoute Thierry Guignard.
Ce dispositif évolutif, adaptable et entièrement démontable améliore considérablement les conditions de travail des techniciens pouvant maintenant équiper les poutres au sol. Deux passerelles longitudinales, étroites et discrètes à une hauteur de 3,70 m, parcourent la salle dans sa longueur et viennent se greffer à une mezzanine/régie de 48 m2 située en fond de salle. Des ouvertures y sont pensées pour faciliter les accès depuis le gradin. Plus grand que celui du studio, ce dernier est construit selon le même principe. Ainsi, en configuration frontale, la jauge s’élève à 262 places et peut aller jusqu’à 308 en bifrontal, double parallèle ou trifrontal.
Encore une fois, des BAV sont répartis sur tout l’espace : au plateau, en passerelle et en régie afin de conserver le principe de modularité. Chaque section de garde-corps peut également basculer en arrière, permettant de dégager un peu d’espace entre les lisses inférieures et supérieures et donc accroître les possibilités d’accroche. Sur le plan acoustique, la modification principale a été le traitement des doubles sas pour mieux isoler le hall de la rue. La maîtrise d’ouvrage a fait le choix de garder l’esprit du lieu et de ne pas ajouter pour le moment de panneaux ou mousses acoustiques. À voir si la demande tend à évoluer avec les éléments métalliques actuels.
Limitées par les bâtiments environnants, les circulations sur l’arrière du hall sont toutefois bien repensées. La remise à niveau a en effet permis de simplifier tous les flux : l’accès vers les loges est décalé pour arriver en rez de plateau, l’atelier désormais de plain-pied est rendu plus fonctionnel pour les techniciens, enfin la zone de déchargement est accessible depuis les sas avec un accès décor privilégié en fond de scène. En fonction des configurations, il est toutefois possible de manoeuvrer via le sas relié à la nouvelle aire de stockage centrale et mutualisée pour les deux salles. Sa surface généreuse de 94 m2 permet d’accueillir le matériel de transit, les gradins et les différentes machines élévatrices. La zone a une double fonction puisqu’elle fait également office de tampon acoustique grâce à ses imposantes portes coulissantes coupe-feu 2 h. “Finalement, c’est la salle où nous avons le moins travaillé pour le public mais où nous avons beaucoup amélioré pour le scénique”, note Jean-Jacques Monier.
Les surfaces supplémentaires
Ayant trop souffert du manque de stockage, les quelques m² ajoutés à l’intérieur du bâtiment y sont dédiés. Ainsi au R+1 sont dessinés des espaces dédiés aux draperies et au stockage de matériel sensible. S’ajoute à cela un petit atelier pour la réparation (lumière/son/vidéo), les vestiaires du personnel et enfin les locaux techniques et de ventilation. L’alternative économique et intelligente au monte-charge est assurée par une ouverture du garde de corps de la mezzanine permettant ainsi l’accès avec engin élévateur depuis le foyer.
La bonne synergie entre l’Eurométropole et le Théâtre a conduit à la création d’un parvis (aménagement hors travaux) en devanture, entraînant une réduction des voies de la rue et offrant des possibilités de stationnement et de déchargement pour les deux salles. “Un plus que nous n’avions ni imaginé ni rêvé”, livre Jean-Jacques Monier.
La restructuration de l’Espace Grüber a été racontée comme une très belle aventure humaine : des maîtrises d’ouvrage et d’usage confondues très présentes, des échanges directs et constructifs, une maîtrise d’œuvre à l’écoute. C’est aussi une opération qui n’a pas recherché un effet architectural mais a permis qu’apparaissent, dans un ancien lieu militaire, des espaces de création avec une grande liberté d’interprétation et d’ambiance. Le traitement de la signalétique extérieure prévue durant les beaux jours identifiera la signature d’un théâtre à l’avant-garde.
- Maîtrise d’ouvrage : Théâtre national de Strasbourg
- Direction technique et suivi de travaux : Jean-Jacques Monier et Antoine Dervaux
- AMO : Tout un programme, Florent Diringer
- Architecture : Atelier Fabre/Speller
- Scénographie : Thierry Guignard
- Acousticien : Studio DAP, Federico Cruz-Barney
- Intégrateurs AV : Lagoona Strasbourg
- BE Structure/Fluides/Électricité/OPC : Artelia – Région Est
- Économiste : Keul Éco, Fabrice Keul
- SU : 1 600 m2
- SHO : 2 009 m2
- Budget global opération HT : 3,610 M€
- Calendrier :
- Concours, mémoire technique : juin 2018
- Début du chantier : juin 2020
- Fin des travaux : septembre 2021
- Livraison : février 2022
- Réseau fibre : monomode et multimode, les deux en étoile à partir du nodal
et réseau cuivre (Ethernet) en étoile - Lumière :
- Éclairage : 2 x 110 kW (380 V, 250 A), une dizaine de lignes DMX
- 210 circuits de 3 kW
- 4 circuits de 5 kW
- 29 liaisons de 18 kW
- Audio :
- Transformateur d’isolement, onduleur
- Courant fort : 12 départs de lignes (10 x 3 kW et 2 x kW)
- Courant faible : 56 lignes HP
- 16 liaisons intercom
- 13 lignes pour réseaux d’ordre et écoute de scène
- Vidéo : 12 lignes courant fort (3 kW) sur 3 liaisons filaires