Berceau de la Comédie de Caen
Toutes les photos sont de © Ilka Kramer
Afficher une complémentarité claire entre ses différents plateaux implantés sur deux communes différentes Hérouville et Caen ; réaffirmer un projet artistique fort pour aller plus loin dans son théâtre ambitieux, populaire et politique ; recréer un lieu vivant et d’échanges pour les artistes du théâtre contemporain. Tels sont les enjeux, de taille, du projet de rénovation du Théâtre des Cordes pour la Comédie de Caen, Centre dramatique national depuis 1972.
Remise à niveau
De par son histoire revendicatrice et ses multiples transformations, le Théâtre des Cordes est bien marqué dans l’esprit des Caennais. Tout commence dans le contexte de 1968, lorsque Jo Tréhard est écarté de la direction du Théâtre-Maison de la Culture de Caen et décide d’ancrer la Comédie de Caen en toute indépendance dans une ancienne salle paroissiale en plein cœur de la ville, à quelques rues du Château. Elle est donc vite aménagée en salle de représentation d’environ 400 places. Une deuxième transformation du lieu s’opère en 1993 afin de mieux déterminer les espaces et donner une meilleure ligne théâtrale : bâtiment rehaussé, installation d’un gril, création de loges et espaces d’accueil.
Cette troisième rénovation s’inscrit dans un projet de remise aux normes, d’accessibilité et de modernisation plus global concernant l’ensemble des bâtiments du CDN, dont les premières réflexions émergent en 2010. Après de longues négociations, la Comédie de Caen convainc la Ville et l’Agglomération de financer un peu plus des 20 % encadrés par le Contrat de plan État-Région afin d’effectuer un réel changement car le bâtiment arrivait à bout de souffle. Le programme de l’opération est précisé en juin 2016 : “Il s’agissait aussi d’améliorer l’accueil des publics, des artistes, des techniciens (loges, foyers) et de l’ensemble du personnel sur les deux équipements de la Comédie de Caen“, explique Lôrent Creveuil, directeur technique. En réponse à ces besoins, l’équipe de l’agence Architecture Maria Godlewska, associée à Thierry Guignard pour la scénographie, se démarque par une proposition forte : remettre tout le bâtiment au niveau rue. “Cela impliquait des travaux plus importants mais avait l’avantage d’avoir tout de plain-pied, de redonner une vraie unité et une ligne architecturale au bâtiment”, livre Jacques Peigné, directeur délégué.
Théâtre en rez-de-rue
D’autre part, cette nouvelle transformation avait pour objectif d’améliorer la lisibilité du Théâtre dans l’espace public. Ainsi vient l’idée de déployer l’équipement en transformant les places de parking de la parcelle située en façade nord en nouvelle extension du Théâtre, permettant ainsi de s’aligner avec les habitations environnantes mais également d’intégrer une nouvelle salle de répétition et résidence pour les artistes, et de fait d’améliorer les espaces d’accueil du public. De hauteur modeste, le nouveau volume en forme de L masque en grande partie l’ancien bâtiment sans intervenir par un geste écrasant. La nouvelle façade, très simple, se compose d’une succession de grands panneaux préfabriqués en béton de 2,50 m de large. L’imitation de la roche et les reliefs peu profonds du motif travertin permettent une intégration réussie de l’équipement situé dans un secteur classé. L’étendue en façades nord et ouest a, par ailleurs, entraîné la démolition du bâtiment annexe, ancien lieu de stockage de décors et costumes, permettant la découverte d’un magnifique mur en pierre venant ancrer davantage le bâtiment dans son contexte architectural. En façade, des lignes obliques viennent casser la géométrie des panneaux en béton pour laisser place à de hautes baies vitrées marquant la transparence recherchée du lieu. Le revêtement se complète par une partie signalétique dont les supports sont réalisés par une résille métallique dessinée par la répétition du logo de la Comédie de Caen ; une touche subtile annonçant un style épuré.
Un nouvel accueil
L’entrée publique s’effectue en façade nord par de simples doubles portes vitrées et un petit sas. Si dans l’ancien bâtiment le Théâtre souffrait d’un bar difficilement accessible et acoustiquement pénible, le nouveau hall de 107 m2 est un lieu d’accueil rendu très agréable par une hauteur sous plafond de 4,40 m, une belle luminosité et un aménagement permettant une lecture simple de ses espaces : une petite billetterie de 11 m2 dans l’alignement de l’entrée principale et un espace bar/café délimité par un mobilier chaleureux et convivial. Enfin, la sobriété des différents revêtements (belle alliance entre béton, carrelage gris souris, bois) permet aux équipes d’adapter leur lieu au style de chaque saison. Le hall est directement lié à la nouvelle salle de création du Théâtre, le Labo. Les deux espaces sont séparés et protégés des activités respectives par une large cloison mobile acoustique (coupe-feu) permettant un affaiblissement de 52 dB. Cette séparation se compose de panneaux coulissants facilement manutentionnables et stockables dans une niche à structure métallique ; ce système contribue à la perméabilité du lieu et à la multiplication des possibilités d’usage du hall qui peut ainsi atteindre une surface d’environ 230 m2 pour permettre un effectif de 300 personnes debout.
Le Labo
Le Labo, salle de 124 m2 d’une capacité de cinquante personnes assises, est pensé pour accueillir des artistes en recherche, en création mais aussi en formation continue ; un espace qui manquait beaucoup aux équipes de Théâtre. “Les centres dramatiques sont des lieux de création mais aussi des lieux permettant aux équipes de travailler, chercher, se rencontrer. Cette dimension-là est moins visible par le public mais est importante pour la vie d’une maison comme la nôtre. Nous ne sommes pas essentiellement un lieu de diffusion”, pointe Jacques Peigné. D’un point de vue technique, le Labo se dote d’un équipement simple : une résille couvrant la totalité du plafond et une régie ouverte de 16,50 m2 au balcon, permettant aux équipes de travailler sur les deux niveaux. Son plancher clair posé sur lambourdes et son revêtement mural et acoustique dans les tons sable permettent une bonne liaison avec le hall d’accueil. “À l’origine du projet, nous devions rehausser le bâtiment et prévoir le Labo à l’étage, ce qui permettait d’avoir plus d’espace pour le public. Mais, très vite, nous nous sommes retrouvés devant des contraintes budgétaires”, explique Maria Godlewska. Néanmoins, cette solution intelligente de mutualisation coïncide avec l’esprit de favoriser les rencontres et d’envisager, à terme, une évolution de la salle en configuration ouverte pour la diffusion de petites formes. Cela impliquerait des installations supplémentaires notamment un système d’occultation des parties vitrées.
La grande salle
– Ouverture et modularité
La grande salle est dorénavant accessible à cour et à jardin depuis le hall. Passés les sas d’entrée, c’est une nouvelle black box de 418 m2 qui s’offre aux spectateurs. La salle a une note industrielle, rappelant la FabricA d’Avignon, donnée par les tons carbone et la succession de poteaux très rythmée sur toute la longueur. Le décloisonnement de la salle, par la démolition des maçonneries sur les extérieurs des poteaux, a permis de gagner 4 m de mur à mur et de porter l’ouverture de 11 m à 15 m, soit une surface de plateau minimum de 150 m2 (10 m x 15 m). Ce dégagement recrée des couloirs de circulation latérale et met en évidence les piliers qui, de fait, élèvent la salle et lui confèrent une dimension plus monumentale. “Au début, j’avais un peu peur d’avoir des poteaux sur le plateau. Mais finalement ils s’intègrent très bien au niveau de la scénographie et cela ne gêne pas du tout”, souligne Lôrent Creveuil.
Dans une volonté d’un outil plus souple, les coulisses à cour et à jardin sont laissées découvertes, donnant directement sur les espaces de stockage. “Cela nous a permis de recevoir des spectacles un peu plus gros en termes de scénographie. Nous installons des pendrillons au besoin”, ajoute le directeur technique. La modularité de la salle se joue avec l’installation d’un gradin télescopique (hors budget de l’enveloppe de la maîtrise d’œuvre) qui offre une jauge de 278 places assises – jauge un peu plus élevée que précédemment sans perdre le rapport scène/salle. En version concert – tribune complètement rétractée – la salle peut accueillir 462 personnes debout.
– Modernisation
Remettre tout de plain-pied signifiait également gagner 1 m de hauteur sur l’ensemble du bâtiment et porter la hauteur sous gril de 7 m à 8 m. Le gril, unique équipement scénique totalement conservé après rénovation, se déploie sur l’ensemble de la salle. Il se caractérise par la présence de quatre rehausses créées pour gagner ponctuellement environ 70 cm en hauteur ; éléments qui auraient pu être lissés afin de rendre le gril plus praticable pour les techniciens. Or, très attachée à ce système, la maîtrise d’usage a préféré les maintenir et ajouter des mini-échelles pour les enjamber. L’installation d’un faux gril au-dessus a par contre permis de soulager l’ancien gril de toute la machinerie (moteurs, câbles, poulies de guidage) et ainsi d’améliorer la sécurité des techniciens. Les accès au gril sont fonctionnels et s’effectuent soit depuis le fond de salle soit en fond de scène. Des passerelles en R +2 contournent l’ensemble de la salle et se lient directement à la régie ouverte en fond de salle. Les travaux supposaient également une modernisation et une remise aux normes des porteuses : “Nous sommes passés de trente-deux porteuses (seize électriques et seize manuelles) à trente-huit porteuses toutes électriques”, explicite Lôrent Creveuil. Trente-huit porteuses à vitesse fixe, avec un support de charge limité à 250 kg impliquant alors un renforcement de la charpente existante. Un nombre qui nous semble peut-être un peu excessif par rapport à l’usage de la salle qui, pour l’instant, joue essentiellement en configuration frontale. Une configuration bi-frontale est envisagée dans un second temps, mais les investissements de cette dernière rénovation ne permettent pas encore de s’y projeter.
– Renforcement
Toute l’acoustique du bâtiment était à refaire. Le plus gros défi s’est notamment concentré sur la charpente pour renforcer l’isolation vis-à-vis de l’extérieur. Un travail minutieux a été réalisé par la pose d’un complexe d’isolants de 60 cm sous la couverture en ardoise existante et conservée. À l’intérieur de la salle, sur les parois latérales, en fond de salle, en fond de scène et au plafond, une série de bandeaux acoustiques absorbants distribués suivant la distance à la scène. “Nous avons travaillé la quantité et la répartition de l’absorption pour obtenir une acoustique claire et précise, en gardant une réverbération suffisante”, précise Maxime Troly, du bureau d’études acoustique Studio DAP.
Création complète d’un réseau numérique son et vidéo, de circuits lumière passés de 54 à 126 (120 x 3 kW), de retours vidéo répartis dans les loges, redistribution des lignes, … Somme toute, le Théâtre des Cordes est une black box très équipée. “Cela va être un lieu très pratique à utiliser avec une jauge assez intéressante pour des spectacles de moyenne envergure”, conclut Thierry Guignard.
Des circulations fonctionnelles
La rénovation a clairement fait gagner en fonctionnalité et en accessibilité. La mise à niveau du bâtiment a naturellement impliqué la suppression du quai de déchargement précédent, un choix compensé par la création d’une plate-forme élévatrice de 4 m2 (hors coût des travaux), toujours sur le flanc ouest du Théâtre, unique solution possible étant donné les impositions du bâtiment et du terrain. Les loges sont distribuées au rez-de-chaussée et au R +1 au lointain de la salle avec une nette amélioration des conditions grâce à la création d’ouvertures en façade sud et d’un espace buanderie/loge maquilleuse. Au total, vingt comédiens peuvent cohabiter ; les équipes se croisent et peuvent créer du lien.
Garder l’âme originale
“Cette opération s’inscrit en effet dans une démarche environnementale en préservant et en réutilisant des parties du bâtiment et de nombreux matériaux. Le résultat est une économie d’émission de CO2 et de budget. Néanmoins, cette démarche demande des études complémentaires, notamment pour les vérifications des surcharges, afin d’obtenir les validations des bureaux de contrôle, …”, soulève Maria Godlewska. Inauguré en septembre 2021 après un chantier de rénovation que nous comprenons long, technique et soumis à de fortes contraintes budgétaires, le Théâtre rue des Cordes redonne de multiples possibilités intéressantes tout en gardant son âme originale.
- Maîtrise d’ouvrage : Ville de Caen
- Architecte mandataire : Architecture Maria Godlewska, ingénieur architecte, et Elizabeth Farkas, architecte
- Scénographie : Thierry Guignard
- Acoustique : Studio DAP, Maxime Troly
- BET Fluides, HQE : Louis Choulet Ingénierie, Thibault Charles et Vincent Vauquoy
- Économiste : Cabinet Grandfils, Guillaume Marie
- BET Structure : Batiserf Ingénierie, Pierre Bisotto et Tristan Bernard
- OPC : ICSAS Ingénierie, Damien Bouvet
- Tribune : Master Industrie
- Serrurerie et machinerie scénique : Tambè CEMS
- Parquet : VTI Menuiserie Scénique
- Surface : 1 376 m2 SDP
- Budget : 3,861 M€ HT
- Calendrier :
- Concours : juin 2016
- Début du chantier : septembre 2018
- Livraison : septembre 2021