L’ébauche d’un nouveau souffle
Si l’édition 2020 avait fait l’objet de trois tentatives d’adaptation successives avant d’être annulée à cause des contraintes sanitaires liées à la Covid-19, la Fête des Lumières 2021 a réussi à se dérouler grâce à une collaboration accrue entre la Ville de Lyon, la préfecture et les services sanitaires. Selon Julien Pavillard, directeur du Festival, le changement d’exécutif à la mairie de Lyon a permis de réorienter la programmation du Festival, notamment en privilégiant le sens artistique dans le choix des projets, en essayant de s’ouvrir à de nouveaux publics et en développant la Fête des Lumières “à hauteur d’enfants”.
Le Parc Blandan a été transformé par le Groupe LAPS en terrain de jeu lumineux pour petits et grands via la réalisation de dix installations interactives s’inspirant de jeux tels que la marelle, le puissance 4, … Les Subsistances ont accueilli le chorégraphe Jordi Galí pour un projet participatif, 20 Watts, mettant à contribution pour sa réalisation et son exploitation des personnes en réinsertion. Dans le but de soutenir la jeune création et de faire émerger de nouvelles formes d’écriture en projection vidéo architecturale, une collaboration a été initiée avec le Video Mapping Festival des Hauts de France pour inviter quatre jeunes créateurs à produire des formats courts sur la façade de la gare Saint-Paul. Mais plutôt que de passer en revue l’ensemble de la programmation, attardons-nous plutôt sur deux projets attractifs par leur originalité.
La Vague de Sébastien Lefèvre
Habitué de la Fête des Lumières depuis l’édition 2010, Sébastien Lefèvre a créé sur la place Bellecour La Vague, une sculpture lumineuse monumentale réalisée à partir de drapeaux suspendus éclairés depuis le sol. Dans la continuité d’Oriflammes en 2012 (constituée d’un millier de fanions colorés suspendus sur cent-vingt mâts répartis de chaque côté du pont Lafayette) et de Sous le vent en 2014 (d’immenses kakémonos blancs fixés aux haubans du pont Schuman permettant une mise en valeur du volume formé par les quatre grandes arches du pont), cette œuvre reprend le principe de voiles animées par le vent et éclairées par des sources à changement de couleurs.
– L’ébauche du projet
Afin d’occuper le vaste espace de la place Bellecour, il a eu l’idée de créer un volume de 80 m de large x 20 m de haut, constitué de 362 drapeaux et totalisant une surface de toile de 1 700 m2. Pour l’appel à projet, il a assuré lui-même la direction technique et a été épaulé côté production par son collaborateur de longue date, Frédéric Gangneux (Le Pilote productions ). Une fois le marché obtenu, l’équipe s’est étoffée (direction technique, bureau d’études, …) jusqu‘à comporter plus de trente-cinq collaborateurs au moment du montage et de l’exploitation. Après les plans et vues 3D produits pour le dossier d’appel à projet, une maquette a été réalisée pour bien se rendre compte des proportions et de la forme exacte. Puis, des tests avec deux “chaînes de drapeaux” accrochées sous un pont ont permis de valider la matière (de la toile Trevira) et de conforter l’idée de ne pas lester les drapeaux pour garder un mouvement naturel et éviter de surcharger la structure.
– Le dispositif
L’ossature est assurée par une tour centrale en échafaudage de 20 m de haut, deux tours de 15 m réalisées à partir d’une base en échafaudage surmontée d’un mât en structure triangulée de 500 mm et deux lests béton, le tout disposé en forme de fer à cheval. Une “ligne de faîtage” relie les cinq éléments ; elle est réalisée en longes de 2 m à boucles cousues reliées entre elles par des maillons rapides. Un assemblage par des nœuds façon tête d’alouette pris les uns dans les autres permet de faciliter le montage, de limiter le nombre de pièces mises en œuvres et de gérer les espacements avec précision. Les chaînes de drapeaux, elles-mêmes constituées de longes de 3 m à boucles fermées, sont suspendues à chaque maillon via des bloqueurs d’escalade permettant de monter ou d’affaler chaque ligne séparément – précaution utile en cas de fort vent, l’ensemble ne pouvant pas résister à des rafales de plus de 60 km/h. Elles sont tirées en diagonale et reprises au sol sur des petits lests. Les drapeaux sont surmontés d’une barre, au centre de laquelle est soudé un anneau permettant un point d’accroche unique qui favorise le mouvement au vent. Seul bémol : en cas de pluie, les toiles ont tendance à se coller entre elles, altérant l’esthétique de l’ensemble.
– La mise en lumière
Cette sculpture virevoltante est mise en lumière depuis le sol par un réseau de cent-un projecteurs à LEDs haute puissance RGBW de chez SGM. Les kakémonos les plus près du sol sont éclairés par des SGM Q-7 dont le faisceau de 110° permet une large couverture lumineuse, les autres par des SGM P-6 munis de lentilles 45°, 19° ou sans lentille (10°) en fonction de leur hauteur, ce qui permet une couverture cohérente sur toute la voilure.
Pour la programmation, Sébastien Lefèvre a choisi de travailler seul avec un jeu qu’il connaît bien, un ETC Congo, plutôt que d’utiliser une console plus sophistiquée nécessitant l’emploi d’un pupitreur. L’idée étant de générer des mouvements d’intensité et de couleurs de lumière sur les drapeaux, il a commencé par faire quelques essais via les “effets dynamiques” du jeu. Ce procédé s’est avéré trop long et inadéquat pour obtenir le résultat escompté. Après ces essais infructueux, son choix s’est porté sur la fonction “effets d‘image” du Congo qui permet de faire défiler sur une matrice des images importées pour générer les changements lumineux, tout en choisissant les mouvements (défilement, rotation, zoom, …) appliqués aux sources. Il a alors reproduit le positionnement des projecteurs dans l’interface de matriçage du jeux d’orgues puis réalisé des images colorées sur le logiciel Photoshop, une méthode beaucoup plus intuitive que la première.
Toute la programmation a été effectuée en amont de l’arrivée sur site grâce à une visualisation 3D du rendu par le logiciel Capture, idéal pour anticiper le positionnement et le réglage des projecteurs, même si l’image produite s’avère plus saturée et contrastée que le rendu réel. Une fois sur place, des retouches de conduite ont été nécessaires pour améliorer certaines teintes. Là encore, la retouche des images sur Photoshop s’est avérée plus efficace qu’une programmation fastidieuse.
Les déclenchements de la séquence lumière sont assurés via des commandes OSC envoyées par le logiciel Chataigne qui assure également la restitution de la bande son : un assemblage de 8 minutes de morceaux et d’extraits de flûte en solo de Jocelyn Mienniel, compilés et montés par Sébastien Lefèvre pour produire de courtes séquences répondant aux mouvements lumineux.
Quatre points de diffusion, perchés à 2 m de haut sur la tour centrale et sur les tours latérales, permettent une diffusion homogène du son à l’ensemble des spectateurs.
Au final, l’œuvre impressionne par sa taille, les mélodies répétitives et le son aérien de la flûte se conjuguent harmonieusement avec le flux du vent et les déferlantes de lumière colorée.
Fourvière en toute sobriété
Le projet Visions proposé par Luminariste (Benjamin Nesme et Marc Sicard) a été retenu pour la mise en valeur de la Colline de Fourvière. Pour ce site, la Fête des Lumières imposait une forme moins animée que d’habitude, permettant de créer un moment zen pour les spectateurs durant leur parcours en ville, en contraste avec les autres propositions. Avec la crise sanitaire, l’objectif était aussi de ne pas entasser les gens devant une boucle de projection qui durerait 5, 6 ou 7 minutes. Pensée comme une œuvre qui fonctionne avec son environnement, elle se regarde depuis le quai Saint-Antoine, en face, afin d’englober du regard tous les monuments des alentours. Elle consiste en une image statique projetée sur une grande façade de bâtiments d’habitations situés sur le quai Romain Rolland, entre la cathédrale Saint-Jean-Baptiste et le Palais de justice. Pas de bande son pour rythmer la projection, elle se contemple agrémentée des sons de la ville.
– Réalisation artisanale assistée par ordinateur
Marc Sicard, le concepteur graphique du binôme, a dessiné sur papier une série de figures fantasmagoriques en s’inspirant des symboles associés à chacun des bâtiments composant le panorama. Nous retrouvons, disséminés dans l’image, des roseaux, des criquets, des ailes ou des agneaux, associés à la figure de Saint Jean-Baptiste, la balance, le glaive et le Code civil en référence au Palais de justice ; le tout esquissé à la manière des peintres symbolistes du XIXe siècle. Ces dessins ont ensuite été scannés pour composer la fresque par ordinateur, elle-même dissociée en quatre images s’imbriquant les unes dans les autres afin d’être projetée, au final, par quatre projecteurs.
À rebours de la course technologique des créations numériques actuelles, nos deux artistes ont décidé d’utiliser des projecteurs ETC Pigi munis de lampes au xénon de 6 kW. Ces sources, utilisées jadis pour faire de l’éclairage architectural animé à l’aide de défilants d’images, ont été remplacées au fil du temps par les vidéoprojecteurs numériques. Les films argentiques qu’ils utilisaient ne sont quasiment plus produits de nos jours. Un repérage sur site a été effectué dans le but de déterminer les emplacements des machines et de prendre des clichés des bâtiments depuis ces emplacements, pour ensuite calculer à l’aide d’un logiciel de CAO les déformations à apporter aux images finales.
Loin de se contenter de faire des tirages argentiques, l’équipe de Luminariste a décidé de pousser un peu plus loin encore l’aspect artisanal en confiant la réalisation des images au maître verrier Jean Mône, de l’Atelier Vitrail Saint-Georges. Afin de transformer les traits de crayon des dessins en traits de lumière, les plaques de verre sont d’abord noircies par de la grisaille composée d’oxydes métalliques et de verre pilé. Puis un négatif des images, imprimé sur des transparents, est utilisé par le vitrailliste pour reproduire celles-ci sur les plaques à l’aide de différents accessoires, en les grattant, ajoutant des lavis de peinture, … afin de jouer sur les contrastes, les teintes et la texture de l’ensemble. Le tout est enfin recuit au four à 700° pour fixer le dessin. Un bureau d’études verrier a dû être consulté pour choisir le verre capable de résister à la chaleur de la projection, au choc thermique lors de l’allumage et à la cuisson. Puis une phase de prototypage a été réalisée pour s’assurer de la compatibilité entre le verre des plaques et celui des particules appliquées avec la grisaille. Enfin, chaque diapositive a été réalisée en double exemplaire afin de parer à une éventuelle casse.
– Le souci du détail
La production et la direction technique ont été déléguées à GL Events qui avait déjà pratiqué ce site et ce genre de matériel sur de précédentes éditions de la Fête des Lumières. Une fois sur place, au-delà du calage de la projection, un soin particulier a été apporté à l’éclairage de l’ensemble du site. Benjamin Nesme a ainsi sillonné les rues de la Colline pour éteindre certains lampadaires et composé les états lumineux de la Cathédrale Saint-Jean (en disjonctant certaines sources), de la Basilique de Fourvière (en profitant du dispositif mis en place par la Région pour sa mise en lumière du mois de décembre) et du Palais de justice (dont l’éclairage pérenne est piloté via quatre univers DMX).
Le panorama observé depuis la rive d’en face est très réussi ; l’aspect presque monochrome de la projection s’accorde parfaitement avec les lumières de la ville et des monuments environnants, le foisonnement de détails invite l’œil à se promener dans l’image. Il est aussi possible de traverser la Saône pour s’approcher afin d’apprécier la finesse des détails et la précision du rendu lumineux, complètement différent de celui des projections numériques.
À quelques pas de là, le mapping projeté sur la façade de la Cathédrale Saint-Jean par le collectif AV Extended saura rassasier les spectateurs en manque d’animation. Étourdissant l’œil par sa puissance lumineuse, sa précision et sa vélocité, il a reçu le prix du public avec Iris. Avec 80 000 spectateurs quotidiens, il reste en dessous de la projection de la Place des Terreaux qui, nous racontant en cinq phrases et seize millions de couleurs la légende aztèque du lapin dans la lune, culmine à 200 000 visiteurs chaque soir. Si les mappings vidéo sont toujours aussi plébiscités par le public, la direction du Festival entend dépasser ses attentes pour aller vers des propositions moins évidentes et faire que la Fête ne soit pas seulement une vitrine technologique. Les prochaines éditions continueront à apporter plus de sens, à faire découvrir de nouveaux lieux, à faire travailler les artistes sur des temps plus longs ou encore à développer des coproductions avec d’autres festivals.
Listing technique La Vague
Lumière :
- 1 jeu d’orgues ETC Congo Junior
- 101 projecteurs LEDs haute puissance SGM dont :
- 45 Q-7 (110°)
- 35 P-6 avec lentille 45°
- 13 P-6 avec lentille 19°
- 8 P-6 sans lentille (10°)
Son :
- 1 console numérique Yamaha QL1
- 6 enceintes d&b AL60
- 4 subs d&b V-SUB
- 2 enceintes d&b V7 pour retour régie
- 3 amplis d&b D80
Structure :
- 1 tour de 20 m constituée de 5 mailles de 2 m de côté
- 2 mega towers de 15 m
- 4 lests 1 T
- 2 lests de 1,5 T en extrémité de faîtage
- 94 lests de 150 kg pour les chaînes de drapeaux
- 325 longes polypropylène de 4 mm à 2 boucles cousues de 3,35 m et 2,90 m
- 46 longes polypropylène de 10 mm deux boucles cousues de 2 m
- 47 bloqueurs Wild Country mini Ropeman 2
- 362 drapeaux en Trevira dont :
- 248 toiles de 1,5 m x 4 m
- 39 toiles de 1,5 m x 3 m
- 75 toiles de 1,5 m x 2 m
Listing technique Visions