Quinze ans d’écoresponsabilité
Serge Dorny quittera ses fonctions de directeur général de l’Opéra national de Lyon en septembre prochain. La maison avait notamment lancé, sous son impulsion, une ambitieuse politique de développement durable. Parmi les programmes entamés pendant ce mandat figure un important volet consacré à l’écoconception des décors, faisant aujourd’hui de l’établissement rhodanien l’un des plus avancés sur ce sujet en Europe. Le nouveau directeur de la maison lyonnaise, le metteur en scène Richard Brunel, prendra ses fonctions en septembre, avec le désir de mener à bien les actions engagées en faveur de l’écoresponsabilité et de pousser plus loin les réflexions autour de l’“opéra de demain”.
Avec une fréquentation dépassant les 200 000 spectateurs par an et un personnel représentant quatre cents équivalents temps plein (dont une centaine d’intermittents) pour un budget annuel de 38 M€, l’Opéra national de Lyon est l’une des plus importantes institutions culturelles françaises non parisiennes. L’établissement fut aussi l’un des premiers de cette envergure à s’être engagé dans une ambitieuse politique de développement durable dès 2007, sous l’impulsion de son directeur, Serge Dorny.
“La politique de développement durable de l’Opéra de Lyon s’est déployée avec des projets phares, notamment autour des aspects scéniques, mais pas uniquement”, précise Claire Hébert, directrice générale adjointe. “Cette question est abordée sous plusieurs angles : l’écoconception des décors, des costumes, des accessoires, la vie et le stockage de nos productions, l’énergie ou la gestion des déchets ou encore la politique d’achat que nous menons auprès de nos fournisseurs.” L’Opéra de Lyon a par ailleurs, depuis longtemps, mis en avant une ambitieuse politique d’ouverture aux publics, notamment vers ceux qui sont les plus “éloignés” de lui et de ses programmations. “La volonté de proposer un opéra pour tous fait partie des axes sur lesquels Serge Dorny a travaillé dès 2003 avec la mise en avant de la notion ‘d’opéra citoyen’ et la création d’un pôle de développement culturel”, complète Claire Hébert.
L’écoconception en partage
Serge Dorny passera le flambeau au metteur en scène Richard Brunel, en septembre prochain. Le nouveau directeur général souhaite continuer à alimenter la dynamique impulsée par l’Opéra autour de l’écoresponsabilité, et ce notamment en inscrivant les enjeux définis au fil des années par la maison dans “une feuille de route un peu plus opérationnelle”, commente Claire Hébert. Adhésion à une norme, définition de nouvelles actions concrètes en matière de RSE (Responsabilité sociale des entreprises) sont des pistes évoquées.
Mais, pour l’Opéra de Lyon, ce processus d’amélioration continu doit également passer par le partage d’expérience ainsi qu’au sein d’une “filière”. “Nous devons aborder ces réflexions portant sur ‘l’opéra de demain’ avec d’autres maisons. Nous avons constitué un groupe de travail informel avec l’Opéra de Paris, le Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, le Théâtre du Châtelet et le Théâtre de la Monnaie à Bruxelles pour imaginer des solutions pratiques et partageables que nous pourrions mettre en place, en particulier lorsque nous sommes coproducteurs”, détaille Claire Hébert. Ce programme collaboratif vise notamment à créer du matériel et des éléments de décor “répertoires”. Comme l’explique Jean-Charles Scottis, responsable des Ateliers de décors de l’Opéra de Lyon, “l’idée est que chacun des lieux puisse disposer des mêmes objets afin d’éviter de les transporter lorsqu’un spectacle est donné dans l’un ou l’autre des établissements. Ces objets sont conçus ensemble. Nous travaillons par exemple sur la mise au point de poutres triangulées en aluminium ou sur l’élaboration d’escaliers modulaires. Mais cela peut aussi passer par l’achat d’éléments standards comme des praticables ou des échafaudages”. Une démarche plus aisée à lancer dans le cadre de coproductions mais qui a vocation à s’étendre au-delà, et en particulier à l’échelle internationale.
De fait, l’Opéra de Lyon est aussi engagé dans un projet consacré à la réduction de l’empreinte écologique des décors d’opéras en Europe et en Afrique du Nord. Cette initiative baptisée OSCaR (Opera sceneries circularity and resource efficiency) est financée par l’Union européenne. Elle regroupe trois maisons d’opéras – Lyon, Göteborg et Tunis – en lien avec des experts et des structures ressources : la Cité du design de Saint-Étienne, le CIRIDD (Centre international de ressources et d’information pour le développement durable), la chaire UNESCO de l’ESCI-UPF sur l’analyse du cycle de vie et le changement climatique et AdMaS (centre de recherche sur les matériaux de construction). “OSCaR est organisé en deux grandes phases. La première, qui a été menée par la chaire UNESCO et a fait l’objet d’un rapport, a exploré les pratiques actuelles en matière d’écoconception de décors dans le secteur de l’opéra en Europe. Nous entamons désormais la deuxième phase du projet. Pilotée par la Cité du design de Saint-Étienne, elle vise à identifier d’autres façons de faire via des méthodologies utilisées par des designers”, indique Thierry Léonardi, ancien responsable de la politique développement durable de l’Opéra de Lyon qui accompagne désormais l’institution sur les sujets environnementaux comme consultant.
En tant que pionnier français de l’écoconception de décors et d’éléments scéniques aux côtés du Festival d’art lyrique d’Aix-en-Provence, l’Opéra de Lyon est l’un des éléments moteurs de ces groupes de travail et d’échange. Voici cinq ans que ses ateliers sont activement et efficacement investis dans des actions favorisant réutilisation, réemploi et recyclage. Le but étant bien sûr de générer le moins de déchets possible mais également de trouver des solutions techniques afin que les décors prennent moins de place dans les camions lorsqu’ils sont transportés dans le cadre des tournées. L’Opéra de Lyon applique les principes de l’écoconception à l’ensemble des décors qu’il réalise (soit une dizaine par an). Jean-Charles Scottis revendique par ailleurs un taux de recyclage de 98 % des déchets générés par ses ateliers. “Notre objectif est de pouvoir utiliser au maximum des éléments que nous avons déjà fabriqués ou achetés”, commente-t-il. “Nous récupérons par exemple des ponts triangulés en aluminium que nous employons dans de nombreuses circonstances, notamment pour réaliser des structures.” Structures que les ateliers peuvent aussi composer en recourant à des échafaudages de la marque Layer, éléments démontables et modulables.
Laboratoire scénographique
Les Ateliers de l’Opéra de Lyon sont une véritable structure de recherche et développement. Jean-Charles Scottis et son équipe expérimentent et inventent constamment. Car concilier exigence artistique et impact environnemental maîtrisé demande parfois une bonne dose d’ingéniosité. Citons, par exemple, le spectacle Guillaume Tell, opéra de Rossini monté à Lyon en 2019 avec une mise en scène de Tobias Kratzer. Une gigantesque photo de panorama montagnard en noir et blanc habillait le fond de scène. Cette image était progressivement recouverte de peinture noire durant la représentation, au fur et à mesure de l’avancée du récit. “Chaque soir, il fallait enduire une surface de 12 m x 8 m avec de la peinture à l’eau à usage unique. Nous avons donc proposé au scénographe d’utiliser de la glaise de poterie à la place. Nous pouvions récupérer cette matière après avoir nettoyé la bâche à camion haute qualité sur laquelle était imprimée l’image de montagne. Cela nous a tout de même évité de consommer 200 litres de peinture par soir”, relate Jean-Charles Scottis. Les Ateliers ont conçu tout un système de pompage et de filtrage afin de laisser couler la glaise déversée 12 m au-dessus de la scène et pouvoir ensuite la réutiliser. Deux tonnes de terre ont été acquises pour l’occasion. Une matière dont les techniciens de servent encore aujourd’hui, notamment pour concevoir des moulages.
Calculateur d’impact
En s’appuyant sur l’intuition et une grande connaissance des matières et des matériaux, les Ateliers cherchent et, souvent, trouvent. Toutefois, comme dans tous laboratoires, les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des attentes. Il y a quelques années, l’Opéra a ainsi tenté d’utiliser du carton pour concevoir des éléments de décor (armoires, estrades, …), avant de s’apercevoir que ce matériau léger et recyclable avait un panel d’applications limité. “Pour la réalisation de grandes surfaces, il faut le renforcer par une structure bois. Or, pour le recyclage, il faut séparer le carton du bois, ce qui n’est pas si simple. C’est aussi une matière difficile à peindre”, détaille Jean-Charles Scottis. “Mais nous n’avons pas laissé tomber le carton pour autant. Nous continuons à l’utiliser pour concevoir des petits objets. Nous avons même spécialement créé un outil pour le plier. Le carton a beaucoup de qualités. Mais nous nous sommes simplement rendus compte que nous ne pouvions pas tout faire avec.”
Les Ateliers de l’Opéra de Lyon se sont également dotés d’un outil informatique destiné à calculer les impacts environnementaux des différents produits et matériaux qu’ils utilisent ou sont susceptibles d’utiliser pour concevoir leurs décors. L’application mise au point par le bureau d’études interne à l’Opéra, en collaboration avec une agence d’ingénierie environnementale, se présente sous la forme d’un tableur renseignant quatre catégories d’impacts : impact carbone, impacts sur la santé humaine, impacts sur les écosystèmes et impacts sur l’épuisement des ressources. “Le logiciel est amené à évoluer et à être partagé. Il doit encore être complété avec d’autres fonctionnalités. C’est avant tout un outil d’aide à la décision”, commente Thierry Léonardi. Jean-Charles Scottis aimerait notamment que soit adjoint au tableur une entrée permettant d’évaluer le prix des éléments de décor, et ce même si le responsable des Ateliers affirme n’avoir jamais eu à faire de choix entre “coûts financiers et coûts écologiques”.
Vers une économie d’énergie
Mais l’impact de la maison ne se résume bien sûr pas à sa production de décors. Identifiable par son imposante coupole noire qui s’élève au-dessus des immeubles alentours, l’Opéra de Lyon est d’abord l’un des bâtiments les plus emblématiques de la capitale des Gaules. Construit en 1831 puis rénové – ou plutôt complètement réhabilité – par Jean Nouvel en 1993, cet ensemble classé “Immeuble de grande hauteur” comprend aujourd’hui 14 000 m2 répartis sur dix-sept niveaux. “C’est un bâtiment très sensible aux variations thermiques en raison de son importante surface vitrée. Nous avons besoin d’énormément de calories pour le réchauffer l’hiver et de beaucoup d’énergie pour le rafraîchir l’été. Celui-ci consommait 3,1 gigawatts par an en 2010”, précise Damien Grole, directeur d’exploitation des bâtiments de l’Opéra. Des consommations importantes que l’institution a fait baisser de 25 % en remplaçant des groupes de production thermofrigorifiques ou “thermo frigo pompes” (ensemble de pompes pouvant aussi bien assurer le chauffage comme le rafraîchissement d’un bâtiment). Des économies réalisées pour répondre aux exigences du décret “tertiaire” de 2019. Le texte impose des objectifs graduels d’efficacité énergétique aux bâtiments tertiaires dont les surfaces excèdent 1 000 m2. L’Opéra doit ainsi réduire ses consommations d’énergie de 40 % en 2030, de 50 % en 2040 et de 60 % en 2050 par rapport à celles de l’année de référence définie par le décret (2010). Il devra donc poursuivre ses investissements en matière de sobriété. “Notre but est désormais de mieux prendre en compte l’activité du bâtiment pour optimiser le chauffage et le rafraîchissement des espaces en fonction de leurs occupations”, annonce Damien Grole. “Les économies d’énergie passent forcément par la partie scénique qui représente environ un tiers des consommations globales du bâtiment. Une rénovation du cintre est en cours et va permettre de réduire les consommations. Mais l’un des postes de consommation les plus conséquents demeure l’éclairage scénique. Nous avons déjà remplacé aux deux tiers les lampes à sodium par des projecteurs LEDs. Aujourd’hui, notre priorité est d’identifier les équipements les plus énergivores et de les remplacer afin d’avoir un impact sur nos dépenses d’énergie dans les quatre ans”, complète-t-il. Les consommations d’énergie représentaient le troisième poste d’émission de gaz à effet de serre dans le bilan carbone réalisé par l’Opéra en 2009. Mais le premier émetteur était alors de loin les déplacements des spectateurs ; il est fort peu probable que la situation ait significativement changé depuis dix ans.
Pour Claire Hébert, afin de pouvoir agir efficacement sur ce sujet, il convient “de bien connaître” les publics de l’Opéra “et de savoir d’où ils viennent. Ils viennent évidemment de la Ville de Lyon, de la métropole, mais aussi du territoire régional, national voire international, pour une partie d’entre eux”, précise-t-elle. “Par ailleurs, il s’agirait pour nous de pouvoir être acteurs des réflexions portées par les pouvoirs publics sur l’évolution des plans de transport ou encore de la place de la voiture en cœur de ville. Il y a également une autre façon de voir les choses : Richard Brunel va lancer, la saison prochaine, le modèle d’un opéra itinérant permettant, via des formats plus légers, d’aller dans des endroits un peu éloignés du centre de Lyon.”
Si vous ne pouvez pas vous rendre à l’opéra, celui-ci viendra peut-être à vous.