Le Pôle, espace culturel et sportif du Pays d’Alby-sur-Chéran (Haute-Savoie), a remporté le prix national de la construction bois 2018 dans la catégorie “Apprendre-se divertir”. En grande partie construit avec des matériaux biosourcés (bois de résineux, isolation paille), il réunit différents programmes dans un seul et même complexe, le tout en mêlant audace architecturale et respect du site, le bâtiment faisant face aux montagnes du massif des Bauges.
Souvent par souci d’économie, certains projets architecturaux proposent un seul et même espace pouvant être alternativement utilisé comme salle de spectacle ou comme gymnase. Pour, le plus fréquemment, ne convaincre à l’usage ni des artistes ni des sportifs. Le Pôle a pris le parti de contenter tout le monde en proposant à la fois un volume dédié aux arts vivants et un autre à différentes pratiques sportives. Entre les deux, une troisième entité est destinée à l’enseignement musical. C’est aussi là que se trouve l’accueil de l’équipement. Une entrée commune qui permet aux uns et aux autres de se croiser, de se rencontrer et, pourquoi pas, de passer des gradins du gymnase à ceux de l’auditorium. Le tout possède pour décor les pentes abruptes de l’impressionnant massif des Bauges. Un paysage qui incite nécessairement à l’humilité et à la contemplation. D’où la volonté des concepteurs d’adopter une démarche exigeante en matière d’écoconstruction. Le bâtiment a d’ailleurs fait l’objet d’une démarche HQE (Haute qualité environnementale).
Un site exceptionnel
Ce complexe atypique fut livré en 2017 mais sa genèse remonte aux débuts des années 2010. La Communauté de communes du Pays d’Alby souhaite alors se doter d’un équipement d’envergure. Ce territoire, situé entre Annecy, Rumilly et Aix-les-Bains, ne possédait alors pas de centre culturel digne de ce nom ni de salle de sport importante. Alors que le collège d’Alby-sur-Chéran (2 500 habitants) n’avait, lui, pas de gymnase à sa disposition. Par ailleurs, l’école de musique locale ne bénéficiait pas de lieu fixe et était contrainte à l’itinérance. Des éléments qui se superposent alors à une demande sociale. “Les salles de spectacle les plus proches se situent à Annecy, Chambéry ou Rumilly. Les gens avaient envie d’assister à des propositions artistiques plus près de chez eux et sans nécessairement prendre leur voiture ou devoir se garer en ville”, rapporte Christiane Dubonnet, chargée de la programmation et de la médiation culturelle au Pôle. D’autre part, la vie artistique locale est plutôt dynamique avec, notamment, la présence d’associations et de compagnies alors en recherche de lieux pour se produire et travailler. Le projet est lancé par la Communauté de communes du Pays d’Alby. Mais cette dernière finit par disparaître, absorbée par la Communauté d’agglomération d’Annecy suite à la Loi NOTRe portant sur la Nouvelle organisation territoriale de la République de 2015. Un Syndicat intercommunal du Pays d’Alby réunissant sept communes a ensuite été mis sur pied pour gérer l’établissement. S’ajoute à cela le fait que deux autres communes ont signé une convention pour pouvoir bénéficier de l’espace culturel et sportif. Aujourd’hui, son auditorium accueille une programmation pluridisciplinaire à l’année (théâtre, danse, musique, jeune public) faisant intervenir des artistes d’envergure nationale, régionale ou locale.
Le projet a été réalisé par l’agence d’architecture grenobloise r2k. L’intégration de l’édifice dans le paysage fait partie des arguments qui ont convaincu le jury du concours. “Pour les architectes, c’était une évidence de placer le bâtiment devant les montagnes. Le gymnase et l’auditorium forment comme deux blocs de bois disposés de chaque côté. Au centre, le hall d’entrée comprend une large surface vitrée qui permet de bénéficier d’une vue panoramique sur le massif des Bauges”, décrit Amandine Gibert, chargée de communication du Syndicat intercommunal du Pays d’Alby. “Nous avons en partie enterré le gymnase et l’auditorium pour que les usagers du collège situé à proximité puissent conserver leur vue sur la montagne. Nous sommes tombés sous le charme de ce site. C’est un endroit particulier que nous souhaitions mettre en valeur. Nous avons donc travaillé sur la transparence et proposé un volume original, en partie traité en gradin, notamment pour amoindrir la hauteur du bâtiment et apporter de la lumière”, explique Véronique Klimine, architecte et cogérante de r2k. Les maîtres d’œuvre ont eu à cœur de restituer le paysage aux usagers du Pôle. Les surfaces vitrées dégagent de larges panoramas sur les sommets alentours tandis que l’architecture à la fois singulière et respectueuse du site entreprend un dialogue joyeux avec l’environnement dans lequel elle s’insère. Les différentes entités du complexe ne sont pas parallèles et sont légèrement en forme de “V”. Une façon de s’ouvrir sur le paysage et de lui tendre les bras. D’autres éléments ont permis à r2k de remporter le concours. “Le fait de réunir des programmes différents a été très apprécié par le jury. Tout comme l’idée de ne pas construire de nouveaux parkings pour les spectateurs mais d’utiliser celui du collège”, poursuit Véronique Klimine. Un élément qui permet de réaliser des économies d’échelle tout en limitant l’impact environnemental du projet.
Trois structures distinctes
La place du bois est aussi un des aspects fondamentaux de cette réalisation. Son utilisation massive (930 m3 en structure, charpente, ossature, revêtement intérieur et extérieur) alliée à la singularité du geste architectural lui ont permis de remporter les prix national et régional (Auvergne-Rhône-Alpes) de la construction bois en 2018. Bois qu’affectionne particulièrement Véronique Klimine, disciple de Roland Schweitzer, architecte et urbaniste pionnier de l’utilisation de ce matériau en France. Pour l’élaboration de l’Espace culturel et sportif du Pays d’Alby, r2k a notamment travaillé avec l’architecte finlandais Olavi Koponen, féru de construction écologique et bois. “Les gens ont en général un rapport chaleureux et positif à cette matière qu’ils relient à la forêt. Puis, bien sûr, c’est une ressource renouvelable, locale et peu coûteuse à transformer”, défend Véronique Klimine. L’ensemble des bâtiments repose néanmoins sur une dalle béton. Les murs de toutes les parties encastrées dans le sol sont également en béton. Mais le bois compose l’ensemble des éléments “immergés” de la section dédiée au sport et de l’auditorium. Leurs structures (poteaux/poutres et charpentes) sont en épicéa de provenance européenne. La structure du gymnase repose sur deux portiques déportés qui s’appuient sur d’impressionnantes consoles. Les poutres franchissent une grande portée de 27 m. Une partie de la structure émergée de l’auditorium est en béton, utilisé pour stabiliser la zone des salles de répétition. Le reste est également en épicéa. “L’acousticien voulait que l’auditorium soit le plus rectangulaire possible. Nous avons élaboré un cadre qui vient se placer au niveau de la scène. Une poutre maîtresse a permis de positionner des poutres préfabriquées pour concevoir l’ensemble de la charpente”, témoigne Véronique Klimine. Au centre du Pôle, la structure de l’école de musique mêle métal et bois. De grosses poutres métalliques horizontales et des poteaux de métal verticaux soutiennent les poutres bois du plancher du premier étage et de la toiture. Le recours au métal permet d’alléger le volume et de réduire l’emprise des porteurs verticaux. Le tout dans l’objectif de faire entrer au maximum la lumière naturelle dans le bâtiment en créant de larges ouvertures.
Bois “cannelé”
Ces trois éléments, à la fois autonomes et intimement liés, questionnent les différents usages du lieu. Cet édifice joyeux réserve volontairement “plein de surprises au visiteur”, souligne Olavi Koponen, architecte associé au projet. Le rose qui habille l’école de musique/hall d’entrée attire d’emblée le regard. Au rez-de-chaussée, l’espace d’accueil traversant est entièrement vitré. Ce lieu de vie et de partage qui distribue d’un côté le gymnase et de l’autre l’auditorium est baigné de lumière. L’endroit est pensé comme “une place couverte”, commente Véronique Klimine. “Nous avons souhaité gommer les limites entre dehors et dedans. C’est pourquoi il n’est pas évident de voir où commence le bâtiment.”
Au-dessus du hall d’entrée se trouve l’école de musique. On y accède par un monumental escalier en métal, bois et béton. L’étage est aussi doté de larges surfaces vitrées, offrant une vue remarquable sur les montagnes. Il comprend un espace d’enseignement musical traité acoustiquement, une salle d’éveil, une salle des professeurs et un studio de danse. À droite de l’entrée se trouve l’auditorium, calibré pour accueillir trente personnes. Le plateau en chêne noir présente une profondeur de 12 m pour une largeur de 16 m et une hauteur sous cadre de 7,25 m. La scène ne comporte pas d’estrade. “C’était une demande de la maîtrise d’ouvrage qui souhaitait que l’on puisse aussi bien y présenter du théâtre que des événements sportifs”, explique Véronique Klimine. Néanmoins, cette salle de spectacle a été aménagée dans les règles de l’art, avec le concours d’un scénographe (I-Scène) et d’un acousticien. “Nous avons travaillé à la fois la correction et la forme de l’espace. Nous avons fait en sorte que les parois ne soient pas parallèles, pour s’affranchir d’un problème d’écho flottant et limiter la surface absorbante aux murs”, déclare Jérémy Boue du bureau d’études acoustiques (Acoustb). Ce qui se ressent à l’usage. “Les artistes qui se produisent ici sont satisfaits de l’acoustique, en particulier les batteurs. Lorsqu’on se situe au dernier rang on entend très bien quelqu’un qui parle sans micro depuis la scène”, assure Christiane Dubonnet, programmatrice du Pôle culturel. Le bois, omniprésent en revêtement des murs et du plafond, y est sans doute pour quelque chose. “Les parois sont habillées avec du bois cannelé. Les formes irrégulières ont des propriétés tantôt réverbérantes, tantôt absorbantes”, précise Véronique Klimine. Autre spécificité : les gradins. Si les places sont bien délimitées par des coussins d’assises et des accoudoirs, les rangées comprennent un dossier unique. Aucun escalier central ne vient rompre cette unité, l’accès aux places ne se faisant que par les côtés. “Les meilleures places se situent au centre”, justifie Véronique Klimine. “Il est aussi par ailleurs plus sympathique pour les artistes de regarder une foule compacte sans être perturbé par une allée en plein milieu de leur champ de vision.” Cette partie “culture” comprend également quatre loges. Entre celles-ci et l’auditorium, on trouve deux grandes salles de répétition de forme carrée. Le tout est complété par une salle de convivialité, un petit hall et un bar situé derrière les gradins. La partie dédiée au sport est un vaste ensemble rectangulaire de 2 170 m2. L’espace principal s’organise autour d’un terrain de jeu largement éclairé par une luminosité naturelle provenant d’une série de verrières triangulaires installées au plafond. Le bois est, là encore, très présent sur les parois. Il confère une indéniable chaleur à l’endroit. Les spectateurs accèdent aux gradins en haut de la salle, par l’intermédiaire d’une coursive rythmée par de larges ouvertures vitrées. Attenant au gymnase, on trouve quatre vestiaires, des sanitaires et une salle pour les arbitres. Derrière le terrain, une salle d’escalade a été aménagée. Le mur de grimpe est lui aussi éclairé par une surface vitrée.
Isolation paille
Les façades de l’espace culturel et sportif sont isolées avec de la paille, une matière biosourcée et renouvelable. “Les ossatures bois demandent des largeurs de murs assez importantes. Les bottes de paille sont idéales pour leur remplissage car elles mesurent 35 cm d’épaisseur”, commente Véronique Klimine. Le chauffage est assuré par une chaudière bois performante. Un labyrinthe thermique est situé sous l’auditorium. Il utilise la relative inertie du sol pour rafraîchir les locaux en été ou les réchauffer en hiver. Le tout permettant au projet d’être éligible aux labels THPE (Très haute performance énergétique) et BBC Effinergie (Bâtiment basse consommation) aussi bien pour la partie tertiaire que pour les logements. “C’est un bâtiment agréable. On s’y sent bien”, confirme Christiane Dubonnet. Le confort thermique et la présence du bois y sont sans doute pour beaucoup. Mais on sera aussi attentif aux nombreux détails qui apportent beaucoup de gaieté à l’ensemble. Entre les copeaux de verre colorés incrustés dans le béton poli des gradins du gymnase ou les moquettes fleuries de l’école de musique, les décorations et les couleurs vives tiennent ici une place fondamentale.
“Les couleurs résonnent autant sur les êtres humains que les matières. Lorsqu’elles sont positives, elles participent de façon importante à la joie que l’on peut ressentir au contact d’un espace. Et il est bien de pouvoir offrir aux usagers des ambiances très colorées dans un lieu dédié à la culture, à l’animation et au sport”, défend Véronique Klimine. Un anticonformisme gai se glisse un peu partout. Les matériaux bruts et naturels se mêlent avec harmonie aux formes surprenantes et audacieuses. “Nous avons créé partout où nous avons pu créer”, lance la représentante de l’agence r2k. On retrouve dans le Pôle comme une signature, un même motif végétal sur les banquettes de l’auditorium, les mousses acoustiques des salles de répétition ou encore sur le revêtement extérieur en zinc de la “boîte rose”. Mais, sur les pignons de l’école de musique, ce sont de véritables plantes qui grimpent sur une résille métallique. Comme pour rappeler que, dans une telle réalisation architecturale, la verdure doit pouvoir aussi dépasser le stade de la représentation.