La scénographie, une relation humaine
“Le TNS a changé ma vie.” Salma Bordes, avec un Bac S mais une grande envie de continuer dans le domaine de l’art, tente les classes préparatoires aux grandes écoles en arts appliqués qui préparent l’ENS de Cachan en deux ans. Le design industriel l’intéressant moins que prévu, elle se présente au concours du TNS (Théâtre national de Strasbourg) alors qu’elle ne connaissait et ne fréquentait que peu le théâtre et est acceptée. Elle réussit aussi l’ENS de Cachan et se retrouve en double cursus.
Un atelier en deuxième année avec Rémy Barché, une grande entente, une confiance qui s’établit et c’est le début de plusieurs collaborations. Le mois suivant, elle fait un stage avec lui dans le cadre du spectacle de sortie de l’ERAC (École régionale d’acteurs de Cannes), Cœur Bleu. “On n’avait pas un budget important et nous devions tout faire nous-mêmes. Nous avons organisé un déplacement en Belgique avec deux comédiens pour chercher un matériau moins cher. C’était une belle expérience de théâtre, une ambiance de petite compagnie.” Il lui propose ensuite de faire la scénographie et les costumes de La Truite, à la Comédie de Reims, alors qu’elle était encore étudiante. “J’ai beaucoup appris sur la place de la scénographie qui se situe entre le metteur en scène, l’atelier et les comédiens.” Alors qu’à la sortie de l’école la plupart des élèves démarre la vie professionnelle en étant assistant, Salma Bordes a un poste de scénographe grâce à Rémy Barché. Elle l’explique ainsi : “Beaucoup de chance, de vraies ententes et une relation humaine qui s’installe. Le théâtre est basé sur les rapports humains. Nous n’avons pas besoin de tout connaître, on peut apprendre sur le tas avec l’aide des autres”. Sa dernière scénographie, Le Traitement, a été présentée au Théâtre des Abbesses. La pièce, écrite comme un scénario, se déroulait à New York et nécessitait la représentation de plusieurs lieux. Après de nombreuses réunions et discussions en amont sur la scénographie, l’idée des plateaux qui se déplacent sur un sol noir et brillant reflétant le décor s’est imposée. Pourtant, au moment des répétitions, le metteur en scène met en doute l’idée du sol. “J’étais encore plus certaine de cette idée alors que c’était la sienne, puisque je l’avais intériorisée. Je l’ai finalement convaincu de le garder.” La création scénographique était accompagnée d’une vraie création au plateau, portée par les régisseurs, pour la manipulation et les déplacements. “Nous avons travaillé avec un petit atelier et deux artisans de manière plus intime et plus informelle, alors qu’à l’opéra, ce sont des plus grandes équipes, avec plusieurs intermédiaires. Il faut être souple.” En mai 2018, elle va créer, toujours avec Rémy Barché, la scénographie de l’opéra Les p’tites Michu, à Nantes, qui partira en tournée au Théâtre Louis Jouvet à Paris.
“Le TNS crée des opportunités de travail.” C’est ainsi qu’elle rencontre, par le biais d’une élève régisseur, Géraldine Martineau pour sa deuxième mise en scène La Mort de Tintagiles au Théâtre de la Tempête. “Elle avait des images que le texte renvoyait, elle ne transposait pas à la scène, elle m’exposait son rêve et je devais imaginer à partir de cela une scénographie qui ne soit pas illustrative tout en étant proche du texte.” Leur collaboration continue pour une adaptation de La Petite sirène au studio de la Comédie-Française l’année prochaine.
Pour le spectacle de sortie du TNS, 1993, mis en scène par Julien Gosselin, Salma Bordes crée les costumes. Elle continue à collaborer avec les sortants du TNS comme avec Pauline Haudepin sur Les terrains vagues, dans le cadre des cartes blanches que Stanislas Norday a instaurées à l’école, spectacle pour lequel elle a aussi participé à la composition musicale. La pièce sera présentée à Cavaillon en mai, puis au TNS et au Théâtre de la Cité internationale à l’automne.
Les projets ne manquent pas pour Salma Bordes. Elle aime travailler avec les équipes et se sent épaulée. Son cursus à l’ENS l’amènera sûrement à enseigner les arts appliqués en parallèle un certain temps, mais elle préfère avant tout exercer le métier de scénographe. “La scénographie est l’écrin d’un spectacle, il ne faut pas qu’elle le raconte mais elle doit le porter et lui permettre de se déployer.” Et elle termine en disant : “Maintenant j’emmène mes parents au théâtre !”