Les théâtres historiques

La rénovation des théâtres historiques a longtemps soulevé son lot de contradictions, d’oppositions et de controverses. Après une période où les théâtres historiques ont été totalement restructurés, la mise en cause de cette attitude a freiné des projets trop radicaux. Plusieurs colloques ayant pour thème les théâtres historiques ont mis en débat la relation entre l’outil et le patrimoine, entre une conservation et une évolution. Que faire de cette richesse patrimoniale ? Rénover, réhabiliter, restructurer, requalifier ? Ces théâtres, pour la plupart des théâtres municipaux, prennent place dans une politique culturelle locale et nationale et, en les rénovant, ils doivent aussi répondre à des contraintes économiques. Construire un théâtre coûterait moins cher que de le rénover mais l’intérêt de ces théâtres réside ailleurs.

Une définition d’un théâtre historique

Qu’est-ce qu’un théâtre historique ? Doit-on désigner uniquement les théâtres à l’italienne, conçus entre les XVIIIe et XXe siècles, comme des théâtres historiques ? Nous pouvons nous référer à des théâtres qui ont été classés aux registres des monuments historiques ou au moins inscrits à l’inventaire. Mais dans le cas d’une réhabilitation, nous pouvons nous interroger sur l’élargissement de cette définition à des édifices plus contemporains par la place qu’ils occupent dans l’évolution de l’esthétique du théâtre. Comme l’expliquait Guy-Claude François(1) : “J’ai besoin de ce compromis sémantique pour mieux appréhender le rapport entre ‘la Dramaturgie’ et les théâtres historiques mais… Je crois qu’il existe deux sortes de théâtres historiques : celui qui appartient à l’Histoire et celui qui a une histoire. Celui dont l’histoire l’a inscrit dans l’Histoire”.

Il existe en France plus de 400 théâtres anciens, construits pour la plupart à la fin du XIXe siècle, dans l’élan soulevé par le Palais Garnier. Un peu moins d’une centaine sont en ordre de marche à cause de leur plateau étroit, de leur visibilité réduite et des aménagements techniques dépassés.

Les particularité des théâtres à l’italienne – une typologie d’architecture

Le théâtre à l’italienne ou le théâtre à la française sont des typologies d’espaces de représentations dotés d’un certain nombre de codes et de particularités. Ce que nous désignons dans nos théâtres comme le théâtre à l’italienne serait un héritage des théâtres venant d’Italie mais réinterprété à la manière française. Cette architecture, qui prend ses racines dans le théâtre romain, dans le théâtre d’illusion de la Renaissance et qui s’est imposé comme un modèle au XVIIIe siècle, est surtout devenu un pivot urbain comme on le constate dans le Grand-Théâtre de Bordeaux ou à l’Odéon-Théâtre de l’Europe.

Les théâtres à l’italienne sont des théâtres de centre-ville, des lieux identifiables dans l’imaginaire collectif. Cette fonction théâtrale centrale structure l’urbanisme. Situés dans le cœur historique des villes, les théâtres à l‘italienne constituent pour elles un patrimoine précieux.

Aujourd’hui, ces théâtres sont à nouveau des lieux urbains symboliques comme aux XVIIIe et XIXe siècles. Ils veulent changer leur image de théâtres figés dans l’Histoire pour se replacer dans la création contemporaine.

L’architecture de la salle est composée d’une forme de fer à cheval avec balcons et loges, un parterre en pente, un plateau en pente séparé de la salle par un cadre de scène et muni de dessous et de cintres disposant d’une machine traditionnelle. Le premier balcon a la forme d’amphithéâtre et les loges princières ne se retrouvent pas dans l’axe de la scène, mais à la jonction du cadre de scène et du plateau.

Une évolution de la qualification des théâtres anciens

Les différents colloques organisés sur le thème de l’architecture théâtrale ont posé la question de la place du théâtre à l’italienne dans la création contemporaine. Ces débats sont représentatifs des changements d’approche, d’attitude et d’intérêt face à ce patrimoine.

– 1948 : Rapports du lieu théâtral avec la dramaturgie présente et à venir, à la Sorbonne à Paris ;

– 1961 : Lieu théâtral dans la société moderne à Royaumont ;

– 1980 : Victor Louis et le Théâtre à Bordeaux ;

– 1985 : Théâtre et architecture à Lille à propos de Louis-Marie Cordonnier ;

– 1991 : Arqueologia e recuperçao dos espaços teatrais, à la Fondation Calouste Gulbenkian à Lisbonne ;

– 1993 : Quel avenir pour les théâtres historiques ? au Puy-en-Velay ;

– 1998 : Colloque européen Théâtre en ville – théâtre en vie organisé par l’association des théâtres à l’italienne au Théâtre de l’Odéon à Paris ;

– 2008 – Rénover un théâtre organisé par l’association des théâtres à l’italienne au Théâtre de l’Odéon à Paris.

Dès le colloque de 1948, le concept de modernité dans l’architecture théâtrale est exprimé par cette formule : à nouvelles techniques, nouvelles architectures. Le théâtre à l’italienne devient le lieu de mémoire à l’image du Traité de scénographie de Pierre Sonrel.

Le colloque de 1961 condamne à mort le théâtre à l’italienne. C’est l’ère des théâtres populaires en rupture avec les théâtres rouge et or alors que le colloque du Puy-en-Velay s’interroge sur l’avenir des théâtres historiques. Les polémiques autour des premières réhabilitations comme l’Opéra de Lyon ou le Théâtre de Besançon sont soulevées comme en témoignent les articles de Daniel Rabreau et Pierre Vaisse dans l’AS n°67.

En 1994, Patrice Martinet crée l’association des amis des théâtres à l’italienne. Longtemps décriés et condamnés, ils ont été réévalués. Ces édifices font aujourd’hui l’objet d’une autre attention avec une volonté de la part du ministère de la Culture de soutenir la réhabilitation des théâtres municipaux et de revitaliser un réseau potentiel d’établissements homologues capables de générer et de faire tourner des productions artistiques adaptées.

Les mesures conservatoires

Il existe sept règlements auxquels sont confrontés les théâtres historiques : le Code du patrimoine, le Code de l’urbanisme, le Code de la construction et de l’habitation, le Code du travail, l’ordonnance 1945, la loi du 11 février 2005 concernant l’accessibilité au cadre bâti, la réglementation des établissements ERP.

Une ordonnance du 13 octobre 1945, modifiée par la loi du 18 mars 1999, donne au ministre, après consultation d’une commission professionnelle spécialisée, le pouvoir d’interdire ou d’autoriser la désaffection des lieux théâtraux. Cette ordonnance qui, dans ses intentions, protège davantage l’outil de travail que l’architecture théâtrale, n’a pas suffi à préserver certains lieux de mémoire de la destruction. L’inscription à l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques permet une certaine vigilance de l’Agence des Bâtiments de France sur tout ou partie d’un édifice. Le classement impose la conservation à l’identique des éléments concernés et la maîtrise d’œuvre par un architecte habilité. La loi sur les secteurs sauvegardés, votée le 4 août 1962, modifiée par l’ordonnance de 2005, donne une nouvelle dimension à la protection et à la mise en valeur du patrimoine. Elle répond à un double objectif : l’un patrimonial, l’autre urbain. Il s’agissait pour André Malraux de concilier deux impératifs : “Conserver notre patrimoine architectural et historique et améliorer les conditions de vie et de travail des Français”.

Comme l’explique Michèle Kergosien(2) : “Face à la rénovation d’un théâtre historique, les deux cas de figure les plus courants, s’agissant d’un théâtre protégé au titre des monuments historiques, sont : soit cette rénovation porte sur un immeuble classé, soit cette rénovation porte sur un immeuble autre que classé c’est-à-dire inscrit ou adossé à un classé”. Dans le cas d’un immeuble classé, les travaux sont conduits par l’architecte en chef des monuments historiques.

Comment réhabiliter ?

Un inventaire des théâtres anciens éclairerait les débats sur la question des protections et définirait l’intérêt patrimonial. La question du patrimoine est centrale mais pas uniquement. L’objectif n’est pas de faire des musées mais de donner une nouvelle vie en conservant les qualités de leur identité, recréer un lieu en phase avec les attentes des artistes et des techniciens pour un spectacle aujourd’hui. Dans la rénovation d’un théâtre, il est très difficile d’identifier ce qui doit être conservé de ce qui ne doit pas l’être, ce qui relève du patrimoine et de sa conservation ou ce qui relève du fonctionnement d’un outil théâtral d’aujourd’hui.

Le problème de la rénovation est récurrent : l’équipement scénographique a évolué ainsi que les normes de sécurité. La programmation des travaux commence souvent pour une mise en sécurité des lieux mais devient souvent beaucoup plus ambitieuse. Une négociation commence alors entre la dimension patrimoniale, l’importance historique et esthétique du lieu, mais aussi sa fonctionnalité. Une réhabilitation devrait aboutir à un lieu adapté aux contraintes d’utilisation du spectacle vivant d’aujourd’hui. L’ère des toiles peintes est révolue et la scénographie a changé. L’espace de la scène impose des rénovations assez lourdes, le plateau est exigu, le cadre de scène présent. À partir du moment où on intervient sur la scène, la courbe de visibilité de la salle change, ce qui conduit à briser l’ordonnancement intérieur de la salle. L’implantation de la régie, les passerelles techniques sous le plafond de la salle, l’adaptation acoustique sont des éléments qu’il faudrait gérer dans le rapport avec l’histoire du lieu. La réhabilitation se passe aussi par la réduction de la jauge, ce qui soulève économiquement quelques problèmes. Entre le confort du public et un équilibre économique, le projet se complique.

Mais la question à se poser serait : quel est le nouveau sens que l’on veut donner à un théâtre et quelle est la définition de l’engagement artistique qui va orienter la qualité instrumentale d’un bâtiment théâtral, la programmation architecturale et scénographique ?

Restructurer ou réhabiliter

Chaque projet a sa particularité. En 1968, le Théâtre de la Ville garde sa façade d’origine mais la salle a été totalement refaite. En 1990, le Théâtre d’Angoulême respecte le tracé original de la salle avec trois étages en balcons. À Morlaix ou au Puy-en-Velay, il a fallu composer avec la machinerie ancienne alors qu’à l’Opéra de Monaco ou au Théâtre des Célestins, la cage de scène a été totalement vidée pour mettre des équipements informatisés, au même titre que les équipements modernes qui ont été installés à l’Opéra Garnier en 1996. Les volumes des salles des théâtres comme Sète et Bayonne ont totalement été repensés. Les chantiers sont complexes. La phase de diagnostic du Théâtre d’Arras a finalement duré un an et la reprise en sous-œuvre a réservé une surprise : la découverte d’une importante réserve archéologique.

Les chantiers importants comme La Comédie-Française, l’Opéra Garnier, le Théâtre National de Strasbourg, l’Opéra Comique, l’Odéon-Théâtre de l’Europe et aussi le Théâtre des Champs-Élysées ou le Théâtre de l’Athénée ont été les exemples les plus significatifs des rénovations. Mais ils ont aussi quelque peu éclipsé la nécessité des réhabilitations des théâtres municipaux. Depuis plusieurs années, la politique des villes s’est penchée sur l’avenir de leurs théâtres municipaux et la nature des différents travaux engagés.

Nous nous sommes intéressés aux nombreux théâtres anciens qui ont bénéficié de travaux et nous allons publier une série d’articles relatant de ces diversités d’approches architecturales et scénographiques à l’intérieur d’un cadre historique.

(1) AS n° 67

(2) Rénover un théâtre, p. 50

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