Début juillet en Avignon, la DGCA rapporte que la création artistique (arts visuels et spectacle vivant) pèse globalement pour 1,3 % des émissions de CO₂ de la France. Si cela représente deux fois plus que le transport aérien intérieur en France, la SNBC 3 (Stratégie nationale bas carbone) émise par le Gouvernement lui demande de réduire ses émissions d’ici 2030 de près de 50 %. Alors “que souhaitons-nous collectivement protéger, abandonner, changer pour nous adapter ?”, demande le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique publié en juin dernier. Une question à laquelle tente de répondre l’étude “Jouer à 50°”, qui entrevoit l’adaptation future au changement climatique à l’Odéon – Théâtre de l’Europe. Anne-Shifra Lévy-Grinbaum, responsable RSO (Responsabilité sociétale des organisations) et adjointe à la direction des bâtiments de l’Odéon depuis 2022, présentera cette étude au public et aux professionnel.le.s demain, vendredi 19 septembre 2025. Entre une volonté de préservation de son patrimoine et le devenir d’un théâtre-refuge climatique, quelle direction le monde de la Culture doit-il prendre ?

Quelles ont été les motivations menant à la fabrique de cette étude ?

Anne-Shifra Lévy-Grinbaum : “Jouer à 50°” actionne une nouvelle dynamique du volet environnemental de notre troisième plan d’actions RSO à l’Odéon – Théâtre de l’Europe. En prévoyant un plan déplié en trois années – de 2025 à 2028 –, il s’agit de couvrir quasiment l’intégralité du mandat de notre nouveau directeur, Julien Gosselin. Jusqu’à maintenant, la partie environnementale se concentrait surtout – et c’est partagé par toutes les institutions – sur la partie atténuation de nos émissions. Nous nous demandions encore comment réduire notre impact pour ne pas trop contribuer au réchauffement climatique. Nous ne nous étions pas encore penchés sur le changement climatique qui arrive et une information particulièrement marquante : une France à + 4° d’ici 2100. Nous ne pourrons pas maintenir nos activités telles quelles. Nous avons alors émis le souhait de prendre en compte la question de l’adaptation de l’Odéon – Théâtre de l’Europe dans ce nouveau plan d’action.

 En 2023, la Mission d’information et d’évaluation du conseil de Paris publiait le rapport “Paris à 50°C” qui pose un diagnostic des vulnérabilités à l’échelle de la Ville de Paris. Quel rôle le spectacle vivant et la Culture peuvent-ils jouer dans la logique du réchauffement climatique ?

Anne-Shifra Lévy-Grinbaum : Nous nous retrouverons très vite dans une situation très difficile qui pourrait s’apparenter à celle de la crise de la Covid-19 par plusieurs aspects. Nous allons sans doute réapparaître à un moment comme non-essentiel lorsqu’il faudra gérer ces crises sur tous les fronts. En étant un lieu qui reçoit des publics, nous jouons ainsi un rôle essentiel, notamment de socialisation. D’un point de vue beaucoup plus pragmatique sur le réchauffement climatique, les cinémas sont communément perçus comme des lieux refuges. Ce rapport ose se dire que les théâtres, autant que les cinémas, peuvent être perçus comme cela. Mais afin qu’ils le deviennent, il est de notre responsabilité d’adapter notre programmation en journée, également en soirée. Devenir un lieu refuge ouvert à tout le monde, ne signifie pas tout revoir à zéro, mais s’adresser aux étudiant.e.s qui vivent dans des espaces exigus sous les toits au sixième étage, ou bien à des personnes âgées qui ne veulent pas bouger trop loin de chez elles. Cela veut dire proposer une programmation culturelle et artistique de qualité et de proximité mais également des services annexes. Il y a beaucoup de lieux culturels qui intègrent des espaces de librairie ou de restauration, des conférences. L’enjeu se résumerait ainsi à étudier comment nous pouvons mobiliser toutes ces perspectives rapidement de manière souple et vraiment s’adapter à chaque crise, car une canicule ne s’annonce pas plusieurs mois avant de voir le jour.

Faire du théâtre un lieu refuge à l’heure du réchauffement climatique est une expérience que l’Espagne notamment développe même dans des lieux existants.⁽¹⁾ Cela demande certes un effort de programmation, certainement de communication envers les publics, mais également une refonte de l’espace urbain qui le concerne. Qu’en est-il pour le l’Odéon ? Quelle est selon vous la marche à suivre ?

Anne-Shifra Lévy-Grinbaum : Nous sommes au début de ces chantiers qui représentent évidemment d’énormes défis. Ils prendront des années, le temps sera nécessairement trop court par rapport à l’urgence dans laquelle nous sommes mais il s’agit déjà d’établir une communication entre des institutions qui ne discutent pas tellement ensemble habituellement. L’Odéon – Théâtre de l’Europe est un établissement publicet notre tutelle, c’est le ministère de la Culture. Dès lors qu’une action mène à la modification du bâtiment ou de la Place de l’Odéon, la Direction générale des patrimoines et de l’architecture du ministère de la Culture ainsi que les Architectes des Bâtiments de France sont impliqués. De son côté, la Ville de Paris identifie des îlots de chaleur urbaine et mène une politique volontariste de rénovation énergétique des bâtiments comme la démarche “Embellir votre quartier”. Il s’agit de consultations menées en lien avec les habitant.e.s et les parties prenantes, afin d’envisager ce qui peut être mis en place : ajout d’espaces ombragés, végétalisés voire permettre une mobilité douce grâce à l’installation de stationnements vélos. Tout cela implique de mettre en relation l’ensemble de ces acteurs, qui ont des missions différentes, et cela demande du temps.

Vous allez présenter cette étude au cours d’un événement intitulé “Quelle culture à +4° ?” qui aura lieu à l’Odéon demain. Comment avez-vous construit cette présentation publique ?

Anne-Shifra Lévy-Grinbaum : L’événement de demain est conçu en association avec nos différents partenaires dans une perspective nationale. ARVIVA, qui vient de sortir sa propre étude intitulée “S’adapter maintenant pour ne pas subir demain”, aura un temps de présentation. Les Augures animeront également au cours de la matinée la rencontre “Les musées face aux effets du changement climatique”. C’est aussi Alexandre Florentin, Président de la Mission d’information et d’évaluation du Conseil de Paris qui a mené l’étude “Paris à 50°C” qui ouvrira la matinée et reprendra le cadre de l’adaptation. Si à l’Odéon nous n’avons pas encore dû annuler de spectacles comme ont dû le faire certaines structures suite à des aléas climatiques, nous souhaitions donner cette parole à ces structures et redire que c’est un sujet qui existe déjà aujourd’hui. Si effectivement nous nous préparons à 2050, ce n’est pourtant pas là de la prospective, les perturbations ont déjà commencé.

“Quelle culture à +4° ?” est ouvert à toutes et tous et se tiendra demain, vendredi 19 septembre 2025 de 9 h à 12 h à l’Odéon, Place de l’Odéon, Paris 75006. Découvrez le programme complet de la matinée ici : www.theatre-odeon.eu/fr/quelle-culture-a-4