Sans législation environnementale imposée, le transport d’œuvres dans le monde de la Culture ne souffre d’aucune contrainte et le plastique règne en maître en matière d’emballage. C’est de ce constat que part Endza Kizirian, designeuse et chercheuse produit, à la suite de son stage de fin d’études dans l’entreprise Maximum. Après deux années de recherches, d’échanges avec les acteurs du terrain et de bonnes inspirations,(1) elle tire de son expertise un produit-breveté, Envlhop™ qui bouleverse le paysage du conditionnement des œuvres en musée. Résolue à décadenasser l’hermétique monde de la Culture et à défaire les coutures du transport des œuvres, Endza Kizirian et son Envlhop™ ne pouvait pas rêver d’une plus belle première aventure en accompagnant l’artiste plasticien Xavier Veilhan et son Transatlantic Studio. À l’heure où le catamaran We Explore de Roland Jourdain entame sa traversée finale depuis le Brésil vers la France, la Revue AS explore les perspectives du monde de l’écoconditionnement, nécessaires au sein de nos institutions.

Quelle est la démarche du projet Envlhop™ ?
Endza Kizirian : L’ambition d’Envlhop™ est d’être un projet de design collaboratif plus que de designindustriel ou d’objet. Il est basé en France mais s’ancre dans le monde de la Culture à l’échelle globalisée. Grâce à ses différents partenaires et son expertise, il offre des solutions au nécessaire passage à l’écoconditionnement du transport d’œuvres au sein d’institutions, qu’elles soient muséales ou privées. Malgré le contexte de coupes budgétaires impactant sérieusement l’ensemble des acteurs culturels qui offre un terrain peu propice à l’innovation dans les transports, il préconise un ralentissement de la course au conditionnement et une réflexion menant à l’émergence de nouveaux usages. Face aux logiques capitalistes d’achats de matières non-recyclables liés à la mise en conformité et sécurité des objets transportés, et de sa logistique bien huilée à l’échelle mondiale, il prône un autre type d’emballage, fondé aussi sur un réseau de prêts, d’échanges et de partage des connaissances. Envlhop™ vise la circulation de ses produits et l’émergence d’un réseau d’échanges grâce à sa dimension réutilisable. Le produit-breveté qui a mené à une première standardisation n’est finalement qu’un prétexte à cette volonté de construire un projet commun, dont les usages qui en découlent mèneront à l’émergence de nouvelles formes.

Quelles sont les différentes étapes liées au conditionnement d’œuvres et quelle proposition a développé Envlhop™ dans la logique d’écoresponsabilitée de sa position ?
E.K. : Lorsque nous parlons du transport d’une œuvre d’art assurée, référencée, la première chose qui en découle est évidemment son emballage. Il en existe deux types : le permanent et celui dit de tamponnage qui s’installe rapidement dans le cadre d’un court déplacement. L’emballage se décompose ainsi en un système de trois couches :
– La première est celle déposée à même l’œuvre. Il s’agit souvent d’un textile Tyvek® blanc dont le pH est neutre, évitant ainsi toute abrasion ;
– La seconde est une sorte de calage amortissant les chocs, vibrations, et rayures. Il s’agit généralement de mousse expansée performante et plastique ;
– Enfin, le tout s’installe dans un corps rigide comme une caisse en bois, qui stabilise l’œuvre et la protège des chocs extérieurs, des intempéries ou de la poussière, tout en facilitant les déplacements.
La première solution tout juste sortie, que propose l’Envlhop™ entre dans le cadre de l’emballage de tamponnage. Elle est à l’origine, une solution de stabilisation des marchandises déplacées grâce aux palettes en bois. Ce sont les dimensions de la palette Europe EPAL, standardisées à 80 cm x 120 cm, qui ont finalement donné la première forme de la housse Envlhop™. Le design suit ainsi complètement sa fonction, que ce soit dans ses dimensions, ses matériaux choisis et le placement des sangles de serrage. En prenant en compte l’ensemble des couches liées à l’emballage, la housse d’Envlhop™ se compose d’un feutre en textile recyclé fabriqué à Lille, doublé d’un textile technique spécifique qui garantit la protection déperlante etune résistante face à la déchirure.

Quelle est finalement l’innovation du produit-breveté ?
E.K. : C’est le croisement des sangles, qui relie à la fois le socle de la palette au coin supérieur de la housse, qui constitue l’innovation du produit. Grâce à l’emplacement des œillets au moment du serrage, les sangles tendent le textile et donc obligent la contrainte permanente aux quatre coins de la housse. L’accroche à une base, qui est ici une palette, ou là un plateau roulant, qui compacte la marchandise, donne une double fonction à l’objet qui ne se retrouve pas sur les autres produits réutilisables. Si les matériaux choisis sontconçus dans une optique de durabilité, les sangles, qui sont des outils utilisés par les transporteurs et logisticiens, ont fait l’objet d’une composition particulière. Il s’agit d’un néo-matériau textile qui s’avère être l’alliance de deux matériaux répondant aux contraintes à la fois de protection et de stabilité lors de la mise en tension des sangles. La stabilité s’installe grâce à la pression exercée aux deux axes horizontaux et verticaux. La composante horizontale permet aux marchandises, dans le cas où elles seraient plusieurs, de se maintenir entre elles. La stabilité verticale possède deux versants : elle s’accroche au socle de la palette dans un sens ou forme un sac si la housse est retournée.

Quelles sont les perspectives d’évolution des produits d’Envlhop™ ?
E.K. : Depuis mon stage chez Maximum jusqu’à mes recherches de fin d’études au Master Design en Recherche, Innovation et Développement à l’École de Condé, si les réflexions quant au design d’objet me passionnaient, l’équation principale à résoudre était la difficulté logistique liée aux retours produit s’ils avaient lieu. En effet, ils sous-entendent qu’une réutilisation de l’emballage d’envoi est indispensable parce qu’il touche finalement à la limite du film plastique. L’enjeu que représentent les déchets jetables est alors énorme : dès qu’il y a un choc, une ouverture trop brutale ou un choc trop violent, la marchandise n’est plus protégée, ne bénéficie tout simplement plus d’amortissement avant que le film ne soit remplacé tristement par un autre. La housse d’Envlhop™ tente d’apporter une plus-value à ce niveau-là. Mais je travaille depuis l’année dernière au remplacement grâce à d’autres systèmes de calage interne aux caissons bois. Finalement, une caisse en bois est assez efficace, mais ce sont les différentes couches de l’emballage, très souvent composées de plastique jetable comme des mousses ou du papier bulle. Le concept général d’Envlhop™ tente ainsi de se décliner sur d’autres formats de calage plutôt internes à la caisse. Enfin, la housse d’Envlhop™ est une housse de transport dont le classement au feu n’a pas été réalisé dans la mesure où il s’agit d’un produit destiné à l’acheminement de courts déplacements, en aucun cas de stockage. C’est une perspective d’évolution que je souhaite effectivement mettre en application dans le cadre de sa prochaine version.

La housse d’Envlhop™ connaît ses premiers pas dans le cadre d’une exposition et voyage au Brésil. Quels étaient les enjeux de cette traversée à l’endroit du transport des œuvres du Transatlantic Studio de Xavier Veilhan ?
E.K. : Le Studio Xavier Veilhan pousse à l’innovation dans le marché de l’art et participe aux réflexions quant à la réduction de l’empreinte carbone, tant lors de la fabrication d’une œuvre qu’à la mise en exposition. À bord du catamaran fabriqué à base de fibre de lin du navigateur Roland Jourdain, il produit des œuvres à l’aide de machines sans électricité et transporte certaines autres déjà réalisées en vue de l’exposition Do Vento présentée dans la Galeria Nara Roesler de São Paulo. L’expérimentation des réflexions des housses d’Envlhop™ ne pouvait pas être plus belle avec le Transatlantic Studio. Les cinq housses d’Envlhop™ que le Studio Xavier Veilhan a acheté connaissent donc différents usages à la fois lors de la navigation : elles permettent le déplacement des matériaux bruts, protègent les œuvres achevées des projections d’eau lors de la traversée voire des tempêtes. Elles ont été aussi précieuses au moment du débarquement et du transport des œuvres jusqu’à la Galerie d’exposition. L’un des gros enjeux était la rotation des housses qui correspondaient à leurs nombreux usages mais elles continueront d’accompagner la logistique de Xavier Veilhan au quotidien, au-delà de ce voyage évidemment je l’espère.





