[temps-lecture]

La réalité du Studio FormaFantasma, exposée à la nouvelle Fondation Cartier

Vue extérieure depuis la Rue de Rivoli. Fondation Cartier pour l’art contemporain – Jean Nouvel, ADAGP, Paris, 2025 – Photo © Cyril Marcilhacy

Exposition Générale, c’est le titre de l’exposition inaugurale qui ouvre demain, 25 octobre 2025, à la nouvelle Fondation Cartier située Place du Palais-Royal à Paris. L’exposition, riche de 600 œuvres, traverse le temps et convoque ses quatre décennies de réflexions curatoriales, à l’heure où tout a commencé en 1984. Elle se retrouve en lieu et place des anciens Grands Magasins du Louvre où près de 6 500 m² de cet édifice haussmannien construit en 1855 lui ouvre désormais une nouvelle ère. Une nouvelle identité artistique refondue dans l’édifice même puisque les volumes intérieurs ont été radicalement repensés grâce à l’architecte Jean Nouvel. De son architecture dynamique, la Fondation, qui souhaite renouveler l’art de l’exposition, a invité le Studio FormaFantasma afin de sortir définitivement de lesthétique du white cube. La solution proposée est claire : rendre visible une collection.

La Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2 Place du Palais-Royal, Paris. Jean Nouvel, ADAGP, Paris, 2025 – Photo © Martin Argyroglo

 

Une cathédrale à échelle humaine

À peine installée Boulevard Raspail en 1994, et un nouveau projet d’édifice de la Fondation Cartier pour l’art contemporain traverse les esprits dès le début du XXe siècle. Il fallait pourtant attendre cette année, après la longue période de travaux et une réflexion quant aux avenirs de l’art de l’exposition menée jusqu’aux Ateliers Jean Nouvel. “Au sein de cette architecture, qui ne conserve du XIXe siècle que sa façade caractéristique et quelques éléments structurels, nous avons comme limpression de nous retrouver dans une cathédrale industrielle à la masse rare et aux portées très grandes. Elle dégage une expression forte de présence et de puissance grâce à ses cinq plateaux dacier, dont nous voyons les signes de mobilité et qui contrastent totalement avec larchitecture haussmannienne extérieure.(1) Cette cathédrale, comme la nomme Jean Nouvel, caractérise la rénovation d’un édifice de près de 8 500 m² transformé en un “super-théâtre, dont on soulève des planchers très lourds, un jeu dynamique caché [où] linnovation est de disposer de toutes les altimétries possibles, de toutes ces lumières à lintensité variable, jusqu’à lobscurité totale, selon le degré de fermeture des verrières et des façades latérales”. Si l’architecture devient un dispositif scénographique au service des arts, dont les plates-formes modulables permettent jusqu’à onze positions, comment l’invitation faite au Studio FormaFantasma a-t-elle été mise en œuvre ?

Vue d’exposition. Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2025. Junya Ishigami, Sydney Cloud Arch (2015), Luiz Zerbini, Natureza Espiritual da Realidade (2012) – Photo © Marc Domage

 C’est à travers les mots de l’un de ses fondateurs, Simone Farresin, que le Studio FormaFantasma exprime ses premières intuitions : “Dès le début, nous nous sommes dit quil y aurait forcément des moments monumentaux, mais nous voulions absolument éviter que lexposition devienne ‘monumentale’ – au sens de ‘spectaculaire’. Il fallait préserver lintimité que nous trouvions dans le précédent bâtiment du Boulevard Raspail, montrer aussi des œuvres plus petites, donner la chance de voir cette multiplicité d’échelles”.(2) C’est ainsi à rebours de l’image de la cathédrale, ou de la machine à spectacles dont les gaines sont laissées visibles sous les plates-formes, que le Studio a conçu les espaces de l’exposition. En prenant connaissance de l’histoire du bâtiment, des activités antérieures, comme autant de couches d’histoire, c’est la qualité du magasin qui a été retenu et notamment le langage de la vitrine. Les commissaires de l’exposition, Grazia Quaroni et Béatrice Grenier, expliquent : “La mise en espace, conçue par le Studio FormaFantasma, cite dans sa matérialité lhistoire des dispositifs de monstration. Elle explore et réactualise la dimension sociale et expérimentale de ces manifestations commerciales qui ont accompagné l’évolution des pratiques muséales”.(3).

Vue du chantier des futurs espaces de la Fondation Cartier pour l’art contemporain, place du Palais Royal, Paris. Vue sur l’emplacement de la plateforme 1 depuis le 1er mai 2023 – Photo © Martin Argyroglo

Entre le bâtiment et les œuvres

– La mise en scène d’interactions

D’un côté, il faut comprendre le bâtiment et ses possibilités scéniques. Le principal défi a été de trouver des “solutions non conventionnelles” dans un bâtiment qui le demande, précise Simone Farresin. “Les plates-formes pouvant changer de position, les hauteurs sous plafond sont tantôt faibles, tantôt très grandes.” La machine à spectacles est ainsi activée alors que la mise en scène œuvre dans l’unique but de faire naître de nouvelles interactions. “Dans certaines zones, les espaces latéraux surplombent les galeries situées en contrebas [ce qui] nous a donné lidée de créer des galeries flottantes, avec des œuvres suspendues au milieu des espaces et visibles depuis ces côtés du bâtiment. Ce parti pris crée des rapprochements inattendus entre les œuvres, ce que les expositions traditionnelles permettent rarement.”(4).

Vue d’exposition Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2025. Cai Guo-Qiang The Earth Has its Black Hole Too: Project for Extraterrestrials No. 16, 1993. Mario Merz-Tartaruga,1975 Panamarenko Spitzbergen, Nova Zemblaya, 1996

De l’autre, c’est la volonté générale du Studio FormaFantasma qui souhaite la libre la circulation, ne formulant aucun parcours tracé à destination des publics tout en utilisant “le design de lexposition comme un outil pour guider les visiteurs dans lespace”, précise Simone Farresin. “Le duo ne fabrique que de légères interventions, laissant ainsi les espaces aussi ouverts que possible mais introduit “de grands panneaux de tissus verticaux et lumineux – des ‘lanternes’qui créent un système dorientation dans lespace et guident subtilement les visiteurs tout en leur permettant de progresser de manière intuitive.” Le deuxième membre du Studio, Andrea Trimarchi, explique que “la Fondation ne cherche pas à ‘égaliser’ mais à ‘relier’, et c’est en s’appuyant sur l’histoire du bâtiment, comme source dinspiration, et son passé commercial que cela est souligné dans les matériaux ; en utilisant le textile pour certains éléments dexposition, il ne s’agit pas seulement de regarder la tradition muséographique, mais aussi celle du design de mobilier et de la matérialité”.

Vue d’exposition. Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2025. Bruno NovelliTerra Maravilhosa, 2023 / Chaco artists / Nikau HindinAumoana – Nā Hanauna a Hina’ea, 2023-2024 & Aumoana – Manu Ngārahu, 2023-2024 / Junya IshigamiSydney Cloud Arch, 2015 – Photo © Marc Domage

La neutralité n’existe pas

La mise en espace de l’espace de l’exposition reflète ce que le Studio Formafantasma fabrique depuis sa création ; il n’est pas seulement un Studio au service des œuvres mais conçoit une stratégie méticuleuse d’exposition qui dit quelque chose avec l’œuvre. L’absence d’une neutralité totale est ainsi inimaginable en ces termes : “Nous ne pouvons pas simplement ‘servir’ l’œuvre sans rien dire”. Si Simone Farresin n’accorde que peu d’importance au terme descénographie” qui désigne selon lui quelque chose de factice, en lien à duthéâtre, il témoigne : “Les cloisons modulaires typiques du ‘white cube’, prétendent être neutres mais elles ne le sont pas”. C’est pourquoi lexposition est conçue avec des structures fabriquées en métal et en textile, comme une manière “d’ancrer les œuvres dans une réalité – la nôtre, celle du bâtiment, de la ville – plutôt que dans labstraction”.

Vue d’exposition. Fondation Cartier pour l’art contemporain, 2025. Alessandro Mendini, Visage archaïque (2002) et Petite Cathédrale (2002) / Alessandro Mendini & Peter Halley, Code Warrior (1997) et OMG! (2014) / Bodys Isek Kingelez, Projet pour le Kinshasa du troisième millénaire (1997) / Junya Ishigami, Chapel of Valley (2016) – Photo © Marc Domage

L’inauguration des nouveaux espaces de la Fondation Cartier a lieu demain, le 25 octobre 2025 au 2 Place du Palais-Royal à Paris. Exposition Générale se tiendra du 25 octobre 2025 au 23 août 2026

(1).  Extrait de l’interview de Jean Nouvel dans La Fondation Cartier pour lart contemporain par Jean Nouvel 2, place du Palais-Royal, Paris, Éditions Fondation Cartier pour lart contemporain, Paris, 2025

(2).  Extrait de l’interview du Studio Formafantasma dans Numéro art, n°17 https://numero.com/art/numero-art/fondation-cartier-formafantasma-chris-dercon-paris-jean-nouvel/

(3).  Extrait de linterview de Grazia Quaroni et Béatrice Grenier dans le catalogue de l’exposition intitulé Exposition Générale, Éditions Fondation Cartier pour lart contemporain, Paris, 2025

(4).  Extrait de linterview du Studio Formafantasma dans le catalogue de l’exposition intitulé Exposition Générale, Éditions Fondation Cartier pour lart contemporain, Paris, 2025

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