Avenue de Saint-Mandé à Paris, les fonds de l’éclairagiste François-Éric Valentin tentent de réunir tous les publics vivants ; le monde de la recherche, les professionnel.le.s ainsi que le grand public à l’occasion d’une exposition et d’une journée d’études qui lui sont consacrées. Chroniques d’époque, objets relatifs à la lumière et plans techniques de spectacles seront présentés dans la Salle Muséale de l’Université Sorbonne Nouvelle. Comment faire vivre les archives relevant du monde de la lumière dans le spectacle vivant ? Que deviendront nos archives à l’heure de la modélisation 3D et du tout numérique : resteront-elles dans nos clés USB ou nos adresses @outlook.com ? Nanouk Marty, doctorante de l’Université de Lille, réfléchit en même temps que nous aux chimères de notre époque.

[archive]_Sorbonne_Nouvelle_Théâtrothèque_lightspot_FEV.dwg – Photo © Rémy Ebras
Pouvez-vous revenir sur le contexte de l’exposition que vous consacrez à la figure de François-Éric Valentin – François-Éric Valentin, Collectionneur de lumière –, qui ouvrira ses portes lundi 30 juin, à la Théâtrothèque Gaston Baty ?
Nanouk Marty : La Théâtrothèque Gaston Baty a recueilli les fonds d’archives de François-Éric Valentin après sa mort, en 2012. La donation de ces fonds a notamment rendu partenaires la Théâtrothèque Gaston Baty, bibliothèque dédiée à l’écriture théâtrale de la Sorbonne Nouvelle, et le Programme LDS (Lumière de Spectacle) de l’Université de Lille. Alors que je rédige une thèse dans ce programme qui étudie la notation de la lumière dans le spectacle vivant depuis la seconde moitié du XXe siècle, c’est Véronique Perruchon, aujourd’hui ma directrice de thèse, qui m’invite à consulter ces fonds. Ils sont tout à fait inédits ; un éclairagiste qui dépose ses propres fonds dans une Bibliothèque universitaire de sa propre volonté ! S’ils sont remarquables, nous souhaitions à juste titre profiter de l’implantation du nouveau campus de l’Université Sorbonne-Nouvelle qui bénéficie d’une Salle Muséale, avenue de Saint-Mandé à Paris, afin de les présenter plus largement aux publics. Ces fonds sont enfin l’occasion de réunir, le temps d’une journée d’études, un public de professionnel.le.s de la lumière de spectacle vivant, des praticien.ne.s d’aujourd’hui qui auront l’occasion de parler de la question de la transmission.

Nanouk Marty – Photo © Nanouk Marty
L’exposition est construite en marge du livre-référence Lumière pour le spectacle, publié en 1988, à plusieurs reprises réédité et dont la dernière date de 2010 (Éditions Librairie Théâtrale). Son approche de la lumière traitée sous un angle assez technique – entre dessins techniques, plans et plans de coupes – ont participé à la qualité de la publication qui est restée à travers le temps. Que souhaitiez-vous mettre en lumière au cours de l’exposition ?
N. M. : Nous avons intitulé cette exposition Collectionneur de lumière car les fonds révèlent la personnalité de François-Éric Valentin. Lorsque nous les avons parcourus, il nous est apparu comme évident qu’il avait développé le “toc du collectionneur” : tout ce qui traitait de la lumière, il l’emmagasinait, le gardait. Si l’exposition présente ainsi de nombreuses documentations techniques rassemblées dans l’optique de l’écriture de l’ouvrage, nous présentons également une large collection de livres spécialisés qu’il possédait dont l’envergure était internationale. Le syndrome de la collecte permanente a également traversé ses propres dossiers professionnels qui témoignent de son approche de la lumière dans les projets pour lesquels il collaborait. Nous retrouverons des plans de feu de sa main, des choses qui sont assez inédites, qui n’apparaissent pas dans le livre que nous présentons dans sa forme manuscrite, première version du livre original, et dont la sortie date elle de 1982. Enfin, de nombreux petits objets en rapport à la lumière seront exposés, comme des gobos ou deux projecteurs épiscopes. De manière assez modeste, il s’agira de mettre en perspectives les archives-documents aux objets techniques de la lumière datant plutôt de ses années de pratique.

Couvertures des livres de François-Éric Valentin – Photo © Nanouk Marty
Vous avez intitulé votre journée d’études “La lumière de spectacle, chimère dans les archives”. De quelle(s) créature(s) fantastique(s) va-t-il être question ?
N. M. : Ce titre, et notamment le terme de chimère, provient de mes recherches doctorales qui posent, entre autres, la question de la notation de la lumière : quel système de notation de la lumière existe-t-il et que reste-t-il finalement, une fois que la lumière est notée et que les projecteurs sont éteints, que le spectacle est terminé ? Que reste-t-il de la lumière réelle une fois qu’elle n’est plus que documents ? Face à l’immatérialité de la lumière, il nous reste un plan de feu, mais il nous manque l’œil, témoin oculaire de la perception de la lumière, impalpable, lié à des questions d’ordre de la sensibilité. Bien que l’importance de la captation existe déjà dans les années de pratique de François-Éric Valentin, et que la photographie comme la vidéo ont permis la restitution d’une certaine esthétique, des archives techniques transposent assez peu la dimension visuelle du projet. Il s’agira donc au cours de cet après-midi de comprendre quelles chimères ces documents nous laissent à travers le temps.

Objets présentés lors de l’exposition François-Éric Valentin, collectionneur de lumière – Photo © Nanouk Marty
En laissant place à des praticien.ne.s d’aujourd’hui ?
N. M. : L’après-midi porte effectivement davantage sur les pratiques d’aujourd’hui et nous aurons des témoignages de notre époque. Nous verrons avec les personnalités invitées quels sont leurs propres rapports à la sauvegarde. Ce terme de sauvegarde évoque ce que nous nommons plus communément la passation : lors d’une passation de régie, que contiennent les dossiers transmis à la nouvelle personne en charge de faire la lumière d’un projet ? Quels sont les indispensables à faire apparaître dans les dossiers transmis ? Puis, parce que la question de la sauvegarde d’aujourd’hui se fait davantage grâce à des supports numériques de sauvegarde de conduite ou de palettes de couleurs, nous évoquerons la question de la panne, de la perte de stockage des données qui a laissé place à un autre modèle de conservation des données. Enfin, se pose la question de l’archivage, où nous mettrons en perspectives les archives en présence avec la notation de praticien.ne.s contemporain.e.s ; les inscriptions notées aujourd’hui fabriqueront-elles les mêmes archives que celles que François-Éric Valentin nous a transmises ?

Objets présentés lors de l’exposition François-Éric Valentin, collectionneur de lumière – Photo © Nanouk Marty
Justement, quelle(s) suite(s) imaginez-vous à l’histoire des archives de François-Éric Valentin ?
N. M. : L’exposition ainsi que les recherches qui ont mené à la fabrique de cette journée d’études ont alimenté d’une part mon objet de recherche mais j’ai également rédigé un article à propos de l’histoire éditoriale de son livre suite à une communication à l’Université de Rennes. En effet, François-Éric Valentin tenait notamment une rubrique dans le magazine Watts aujourd’hui disparu et faisait des allers-retours constants entre sa pratique d’éclairagiste, ses chroniques et l’écriture de son ouvrage devenue référence. Cet article apparaîtra à l’automne 2025 dans la Revue d’Histoire du Théâtre et constituera, entre autres, le prolongement de nos réflexions.
L’exposition François-Éric Valentin, Collectionneur de lumière ouvrira le 30 juin jusqu’au 4 juillet, dans la Salle Muséale de la Sorbonne Nouvelle. La journée d’études associée intitulée “La lumière de Spectacle, chimère dans les archives” se déroulera le jeudi 3 juillet 2025 de 9 h à 18 h, à l’Université Sorbonne Nouvelle, amphithéâtre BR06 – 2 avenue de Saint-Mandé, 75012 Paris.