L’École de l’économie circulaire en Île-de-France devient pérenne
La Réserve des Arts a enfin trouvé ses nouveaux quartiers à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, un territoire qu’elle investit depuis plus de dix ans. Après dix mois de fermeture, dont neuf de travaux et mise aux normes du nouveau bâtiment, l’impatience était grande ; mais cette fois, c’est certain, les portes de la boutique ainsi que des ateliers ouvriront aux publics mardi prochain, le 03 juin, à 10 h. Avec plus de 650 structures et près de 11 000 adhérent.e.s individuel.le.s, c’est une soixantaine de corps de métier qui sont représentés et alimentés de près de 600 tonnes de matériaux collectés tous les ans. Lucie Bonafonte dessine l’aventure du projet et acte sa sédentarisation en Île-de-France.

Léna et Elsa roulent des peaux de cuir dans l’ancien entrepôt à Pantin – Photo © Claire Panizzolo
La Réserve des Arts ouvre son nouveau bâtiment aux publics de près 5 000 m² à Montreuil début juin qui comporte notamment 1 200 m² de boutique. Pourriez-vous revenir sur les bases qui ont constitué la naissance ce projet en 2008 ?
Lucie Bonafonte : Sylvie Bétard et Jeanne Granger fondent La Réserve des Arts autour d’un programme de sensibilisation sur les relations entre art contemporain et écologie dans le domaine de la scénographie. L’idée est de mettre en commun d’un côté les différents rebuts du secteur culturel et de l’autre les éventuels besoins en matériaux des artistes. Les premiers tests se sont passés au Palais de Tokyo puis, une boutique éphémère est arrivée en 2010-2011. L’association s’est, dans un premier temps, pérennisée avec une première boutique physique dans le 14e arrondissement de Paris en 2013 et un premier entrepôt en 2014 à Pantin avant d’ouvrir en 2020 une nouvelle antenne à Marseille. Toutefois, La Réserve des Arts Île-de-France est logée depuis plusieurs années via un organisme d’urbanisme transitoire comme c’est le cas de nombreuses structures culturelles. Nous sommes passés d’un entrepôt à Pantin à un deuxième beaucoup plus grand mais le bail arrivait à sa fin donc nous devions quitter les lieux. Nous voulions rester en Seine-Saint-Denis, proche de Paris, proche de nos adhérent.e.s, de nos partenaires et la ville de Montreuil semblait aussi idéale de par son activité culturelle intense, ses nombreux ateliers d’artistes et son accessibilité en transports en commun. Après toutes ces ouvertures et mouvements, nous avons désormais notre entrepôt pérenne à Montreuil. C’est une histoire qui a dix-sept ans maintenant et compte près d’une trentaine de salarié.e.s aujourd’hui.

Partie boutique de l’entrepôt de La Réserve des Arts à Montreuil – Photo © Lucie Bonafonte
La valorisation d’objets est effectivement une des missions de La Réserve des Arts ; la collecte puis la revente ont construit son ADN au cours des années mais vous en avez bien d’autres. Depuis quelques années, vous avez notamment lancé un centre de formation.
L. B. : Effectivement, notre mission principale est d’être une plate-forme logistique de remise en circulation des matériaux avec un service de collecte, valorisation puis remise en circuit, qui est une prestation de service payante. Nous avons développé plusieurs services et accompagnements annexes depuis plusieurs années pour aller plus loin avec nos partenaires du secteur culturel dans leur démarche circulaire. Notre organisme de formation s’est développé et s’est vu certifié “Organisme de formation” en fin d’année 2021.
Comment cette “École de l’économie circulaire” s’organise-t-elle ?
L. B. : Avec la création d’une équipe dédiée, la formation dispose désormais de deux volets : l’un très court plutôt à destination soit de nos adhérent.e.s, donc professionnel.le.s individuel.le.s du secteur culturel, soit des demandeur.euse.s d’emploi ou personnes en reconversion s’investissant dans des métiers techniques. Nous apprenons des techniques, de rapiéçage, de sachiko (broderie japonaise), donc en couture, ou alors vraiment l’utilisation de machines. Ces formations d’une journée ou demi-journée très précises développent des compétences dans le réemploi. Le deuxième type de formation est plutôt à destination des entreprises ou des structures, donc à destination de nos partenaires des institutions culturelles ou du secteur de la mode et du luxe. Dans ce cadre, il s’agit plutôt de groupes de personnes salariées avec qui nous dimensionnons un format de formation sur mesure en fonction des besoins et des compétences recherchés. Une simple journée de sensibilisation aux différents enjeux du secteur culturel suffit parfois ; sinon, nous proposons des formations très techniques auprès, par exemple, des agences de production ou des concepteurs de défilé. L’idée est de travailler ensemble pour développer la transversalité de l’économie circulaire et du réemploi des matériaux à tous les métiers et qu’elle devienne une vision générale facilitant le travail auprès des équipes. Ce deuxième volet est en développement et l’accompagnement représente l’une de nos principales perspectives d’évolution.

Partie boutique de l’entrepôt de La Réserve des Arts à Montreuil – Photo © Lucie Bonafonte
Vous avez participé à l’exposition Empreinte carbone, l’expo ! qui vient de fermer ses portes au Musée des Arts et Métiers de Paris (du 16 octobre 2024 au 11 mai 2025). Est-ce ce genre de partenariat que vous souhaitez continuer à explorer ?
L. B. : Nous essayons effectivement de faire évoluer tout le secteur du réemploi aussi par le biais de l’expérimentation, et l’expérience de processus. Nous travaillons ainsi sur un certain nombre de projets pilotes, d’expérimentations en l’occurrence avec le Musée des Arts et Métiers. En répondant à une offre de marché public avec La Fabrique Créative, sa scénographe Juliette Dorn et l’agenceur Plan Bois Concept, c’était la première fois que nous participions à ce type de projet en tant que ressourcerie et qu’une telle organisation remportait le marché. La collaboration entre une ressourcerie alliée à l’équipe de conception a permis la mise en place d’un diagnostic ressource locale à partir de l’exposition précédente, Explorer l’infiniment (du 17 octobre 2023 au 12 mai 2024). À partir de notre sélection de matériaux pouvant être réutilisés pour la scénographie de l’exposition Empreinte carbone, l’expo !, que nous avons complété grâce à notre ressourcerie, nous avons ainsi proposé une nouvelle scénographie avec le maximum de matériaux de réemploi et également collecté les matériaux qui ne seraient plus utilisés par le Musée à la fin de cette exposition. L’idée d’une proposition d’un projet complet a permis d’atteindre près de 82 % de matériaux issus d’un réemploi, prouvant aussi qu’au sein des marchés publics, il est tout à fait possible de s’adapter, dès lors que les parties prenantes se situent déjà dans une démarche circulaire et ont la volonté d’un travail commun.

Entrée de l’expositon Empreinte carbonne, l’expo ! – Photo © LP/O.LEJEUNE
Quels freins rencontrez-vous encore dans le milieu ?
L. B. : Il existe encore quelques freins au réemploi, notamment du côté de la traçabilité des matériaux. Ce sont surtout des freins assurantiels et juridiques, en raison du vide juridique qui résiste encore à la question : à qui incombe la responsabilité de la traçabilité des matériaux ? Est-ce celle de la ressourcerie, du scénographe, de l’agenceur ? C’est pourquoi parfois, les institutions renoncent à utiliser les matériaux de réemploi puisque cela demande un petit peu plus de temps de réflexion, et la traçabilité de certains matériaux comme la qualité anti-feu qui n’est pas toujours garantie.
Quelle serait la réponse à cette question : qui devrait donc être responsable de la traçabilité des matériaux ?
L. B. : Ce qui ressort des groupes de réflexion avec Les Augures notamment, c’est la question de la traçabilité des matériaux qui reste un travail commun. Il s’agirait ainsi que les bureaux de contrôle se saisissent de ces enjeux et que chacun apporte une contribution. Mais cette question ne doit pas être une contrainte supplémentaire, comme c’est souvent le cas pour les scénographes qui subissent aussi beaucoup de contraintes de matériaux, budgétaires, temporelles. Aujourd’hui, La Réserve des Arts se dimensionne pour répondre à ces problématiques de choix et de traçabilité des matériaux, et accélère le processus de traçabilité. Nous sommes toujours en phase expérimentale et d’études afin de proposer de nouveaux outils de traçabilité plus fluides. Pour l’instant, rien n’a encore été publié mais ce sont des choses sur lesquelles nous travaillons activement.
Justement, comment se dimensionnent les nouveaux 5 000 m² de Montreuil ?
L. B. : L’entrepôt affiche près de 5 000 m². Si la taille de la boutique reste à peu près la même – soit environ 1 200 m² –, nous avons de vrais espaces-bureaux à l’étage ainsi que des salles de formation que nous n’avions pas à Pantin. Nous comptons également désormais des salles dédiées aux fonctions support de notre activité et un espace valorisation vraiment distinct, qui n’est pas accessible au public. En 2024, nous avons collecté 571 tonnes de matériaux, dont une quarantaine de tonnes viennent de Marseille. A priori, nous devrions retourner à une collecte 700 tonnes en 2025. Ce redimensionnement n’a finalement pas vocation à collecter davantage que précédemment mais collecter mieux et surtout remettre en circulation les matériaux plus rapidement, de manière plus qualitative, plus tracée.