Venise ouvrait la dix-neuvième édition de sa Biennale Internationale d’Architecture il y a tout juste deux semaines, le 10 mai 2025. Durant les prochains mois, les disciplines de la musique, la danse et du théâtre contemporain connaîtront également de nouveaux Lions. Pourtant, à plus de 1 000 kilomètres de la Sérénissime, la création contemporaine se rêve aussi couronnée. En Calabre, région délaissée des politiques culturelles de l’Italie, débuteront le 26 mai 2025 les célébrations des vingt-années d’existence du Primavera dei teatri, festival destiné à la création contemporaine, avant la naissance à la rentrée prochaine à Soverato de l’IRA Festival. De l’Adriatique à l’Ionienne, les deux mers partagent le même goût de la politique mais pas la même addition. Rencontre avec le douloureux syndrome de l’agueusie.

Paysage calabrais – Photo DR
Itinéraire nord/sud
Lorsqu’il s’agit d’addition, celle de la Culture s’avère bien singulière qu’on se trouve dans l’une ou l’autre région d’Italie : le budget alloué à la Culture en région de Vénétie est de 29 680 000 €(1) tandis qu’elle est seulement de 4 300 000 €(2) n Calabre. Le ministère de la Culture, qui dédie une section à la création contemporaine, se targue même d’un pôle complètement alloué à la Biennale de Venise dont le Pavillon de l’Italie est financé à près de 800 000 €.(3) ; c’est dire le rayonnement international attendu de cet événement. Déséquilibré de part et d’autre, le budget consacré à la création contemporaine reste tout de même l’œuvre majoritaire de fonds régionaux et de quelques fonds privés en Italie. Pourtant, le goût politique, tant en Vénétie qu’en Calabre, reste bien le même et se trouve aux mains d’une formation politique aux racines anciennes, Forza Italia, dont la présidence historique de Silvio Berlusconi s’est achevée en 2023. Bien en place et fort de nouvelles coalitions encore plus ancrées à droite, notamment avec le parti politique d’extrême droite qui dirige l’actuelle Présidence du Conseil des Ministres à Rome, Fratelli d’Italia, le monde de la Culture ne semble pourtant pas bouleversé.

Biennale d’architecture 2025 – Photo © Site Internet de la Biennale
Gauche/droite sans saveurs
Et si ce monde de la Culture est investi par de nouvelles figures venant directement des nouvelles forces politiques proches de Giorgia Meloni, tel Pietrangelo Buttafuoco nommé en novembre 2023 à la tête de la Biennale de Venise, il en copie aussi d’anciennes en prônant l’avènement d’une nouvelle “hégémonie culturelle”,(4) retournant le concept du communiste italien Antonio Gramsci qui l’a fondé. C’est pourquoi le collectif Claire Fontaine, qui participait à la Biennale d’art contemporain de Venise l’année dernière, s’exprime en ces mots : “L’Italie n’est pas la France, où le fascisme semble toujours scandaliser l’opinion publique”, avant d’ajouter que “la télévision de Berlusconi, un personnage auquel Buttafuoco a consacré une biographie, a donné pendant vingt ans une éducation d’extrême droite à des générations entières en les détruisant en profondeur” et enfin conclut en disant que “le fasciste, c’est la personne à côté de vous, ce n’est pas quelqu’un de terrifiant et de pathologique”.(5)

Primavera dei teatri – Photo © Site Internet du Festival
Primavera di Calabria
La récente naissance d’une nouvelle institution qui se destine à la création contemporaine à Soverato, comme l’anniversaire des vingt ans d’une autre bien implantée à Castrovillari et ses alentours,(6) n’a ainsi rien d’étonnant. Pietro Monteverdi, à l’initiative de cette nouvelle institution qui organisera l’IRA Festival les 4-5-6-7 septembre prochains, s’exprime d’ailleurs en ces termes : “En Italie, la Culture n’est pas affectée par le parti politique en lui-même mais par la manière dont les politiques mènent leurs actions”.(7) D’un bout à l’autre de l’Italie, le constat reste le même : “Il n’y a pas de mouvement de panique (à la suite de l’élection de Georgia Meloni à la tête de la Présidence du Conseil des Ministres italiens) parce que, dans l’art contemporain, on n’attend rien de l’État, pas plus hier, à l’époque de Dario Franceschini (l’ancien ministre de la Culture de centre gauche) qu’aujourd’hui”, explique Alberta Pane, galeriste entre Paris et Venise.

Portrait de Pietro Monteverdi – Photo © Pietro Monteverdi
Speranze dell’Europa
Les musées publics, comme les théâtres et autres lieux de Culture, sont des coquilles vides, dépourvues de budget comme d’ambition constate ainsi Pietro Monteverdi : “Très peu de bâtiments culturels sont finalement utilisés et certainement pas mis à disposition de la création contemporain”. Le programme du très beau Teatro Politeama de la ville de Catanzaro en Calabre en est la pleine illustration.

Teatro Politeama, ville de Catanzaro en Calabre – Photo © Municipalité de Catanzaro
Dans ce contexte, faire de la Calabre un nouveau pôle de la création contemporaine relève d’une certaine utopie et l’orientation de l’administration calabraise n’est pas rassurante au sujet des retombées de son investissement : “La présente note a pour objectif de soutenir et de financer des spectacles, des événements et des activités qui contribuent à la promotion et à la valorisation du patrimoine culturel calabrais présent dans les destinations touristiques culturelles, avec une attention particulière aux traditions locales et aux ressources historiques”.(2) Les espoirs de la création contemporaine se tournent alors vers l’Europe ou l’Institut culturel italien (organisme du Ministère des Affaires Étrangères et de la Coopération internationale italien) qui saura peut-être rendre le goût aux choses.
(2). https://calabriaeuropa.regione.calabria.it/bando/avviso-pubblico-attivita-culturali-2025/
(6). https://primaveradeiteatri.it/primavera/en/home/
(7) Entretien téléphonique mené avec Pietro Monteverdi le 14 mai 2025