Gouffre de Padirac

Voyage au centre de la Terre

En 1864, Jules Verne publiait son célèbre roman d’aventure, Voyage au centre de la Terre. À l’occasion des 160 ans de sa parution, le Gouffre de Padirac et Crumble Production nous embarquent dans l’univers du livre à travers un spectacle immersif exceptionnel. Afin de rester concis, nous nous sommes intéressés plus particulièrement à la conception/réalisation de ce spectacle qui, pour le moins, a été réalisé dans des conditions extrêmes.

Traversée en barque sur la rivière plane – Photo © C. Gerigk

Spectacle 103 m sous terre

Passées les formalités d’entrée, l’exploration nocturne du Gouffre de Padirac débute immanquablement par la descente des 207 marches de la tour escalier. Après avoir franchi les 50 m de la cavité principale, les plus téméraires devront encore fournir quelques efforts avant d’atteindre l’entrée de la Grotte.(1) Plus que quelques marches et les participant.e.s s’engagent à 103 m sous terre dans la Galerie de la Source aux parois rocheuses polies par des siècles d’érosion. Le public s’embarque à suivre pour une courte traversée en barque de 500 m sur la rivière plane. Les guides-bateliers contournent habilement les chutes d’eau du Lac de Pluie, marquent un temps d’arrêt afin d’admirer la Grande Pendeloque (stalactite géante de 60 m de long) puis finalisent lentement leur approche sur les quais du débarcadère. Le parcours de visite sur 75 m au cœur de la galerie calcique débouche sur le Lac des Gours où les visiteurs, hypnotisés par les reflets colorés à la surface de l’eau, s’agglutinent aux garde-corps. Arrive en toute fin l’un des moment clé de ce parcours de visite : du haut de ses 90 m de hauteur, le plafond rocheux monumental de la Salle du Grand Dôme se reflète dans l’étendue d’eau où trône sagement la Pile d’Assiettes. Le parcours se termine par un retour en barque, bercé par le bruit de fond de la source, ambiance entrecoupée par le chuchotement des visiteurs ébahis. Pas la moindre sensation de courant d’air, l’ensemble du parcours s’effectue à une température constante de 13°C avec quelques consignes : chaussures adaptées, un pull, un vêtement de pluie léger, une bonne dose de courage si vous faites le choix pour une remontée sans assistance, … Si vous voulez éviter de vous mouiller les fesses, surtout ne pas oublier le sac plastique indispensable avant de vous asseoir dans les barques !

La salle du Grand Dôme – Photo © C. Gerigk

Exploitation en quelques chiffres

La Société d’exploitations spéléologiques de Padirac réalise un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 7 M€, enregistrant une fréquentation record en 2023 de 523 000 visiteurs. Le site emploie 150 salarié.e.s (49 équivalents temps plein) et génère plus de 300 emplois indirects avec un impact économique majeur sur tout le territoire, de très bons résultats qui, malgré tout, peinent à faire l’unanimité au plan local. Sans un renouvellement périodique de l’offre, les parcs à thèmes, d’attractions et de loisirs n’arriveront pas à rivaliser face aux géants du secteur qui eux proposent des attractions toujours plus spectaculaires. Si les plus petites unités souhaitent séduire celles et ceux qui ne sont jamais venus, et motiver les anciennes générations à revenir accompagnées des plus jeunes, elles devront s’adapter et se réinventer.

Le trou du diable, la tour escalier adossée à la paroi – Photo © C. Gerigk

Le spectacle Voyage au centre de la Terre, à la recherche d’Axel Lindenbrock qui nous a été proposé ici s’intègre parfaitement dans cette démarche de programmation et de diffusion, activité orchestrée par Magdaléna Mauguéret et son équipe communication/marketing. La deuxième grotte la plus visitée en Europe reste un site particulièrement enclavé : compliqué d’éviter la voiture pour y parvenir… L’agence d’architecture Atelier Novembre(2) a réalisé le futur projet de rénovation, de réaménagement et d’extension des infrastructures d’accueil en surface, dont la création d’un musée. Bien que la Région y soit particulièrement favorable, le projet reste dans l’attente d’une décision définitive au plan local.

Les clés d’une collaboration

Les opportunités se produisent au gré des rencontres et donnent parfois lieu à de très belles collaborations. Cette première édition, visant à inviter le théâtre immersif dans l’un des plus prestigieux sites spéléologiques français, en est la meilleure expression. L’équipe de Crumble Production se produisait pour la première fois dans le dédale des rayons du Bon Marché, lieu emblématique situé dans le 6e arrondissement de Paris. Les équipes s’affairaient au montage et aux répétitions de leur spectacle Au Bonheur des Dames. C’est au cours d’une des nombreuses répétitions nocturnes du mois de novembre 2022 que Laetitia de Ménibus-Gravier, aujourd’hui Présidente du conseil d’administration de la Société d’exploitations spéléologiques de Padirac, perçoit, au détour de sa visite, le travail de l’équipe de Crumble Production dirigée par Juliette Colin (metteuse en scène). Au-delà du vif intérêt pour le spectacle, Laetitia de Ménibus-Gravier et son équipe ont immédiatement perçu les capacités d’adaptation des équipes de Crumble Production à faire face aux contraintes d’exploitation du Bon Marché, critère qui fut déterminant pour la suite de cette aventure.

La rivière plane, Grande Pandeloque – Photo © C. Gerigk

Repérage sur site

– En 2 temps 3 mouvements

Juliette Colin : Même si certains parmi l’équipe gardaient quelques souvenirs du Gouffre, c’est seulement lors de cette première visite préalable qu’ils ont pris conscience de la réalité des choses et des difficultés à se produire dans ces conditions extrêmes.

Quelques dates clés :

– Lancement du projet en septembre 2023 ;

– Premier repérage à l’automne 2023, avant chiffrage et signature, en présence du scénariste, du directeur de production et de Juliette Colin ;

– Seconde visite, toujours à l’automne 2023, suite au chiffrage et après conceptualisation avec la même équipe mobilisée. Tournage d’une vidéo de présentation (teasing annonçant l’ouverture de la billetterie) ;

– Troisième et dernier déplacement début d’année 2024 (une journée seulement) : repérage technique.

– Au titre des premières réactions

Juliette Colin : À l’issue du premier repérage, le retour en surface nous a très vite ramenés à la réalité. La configuration classique frontale avec des artistes faisant face à un public statique était à exclure ; la formule d’un spectacle en déambulation (limité au parcours de visite habituel) nous est apparue comme une évidence. Vu les contraintes d’accès et le passage de la rivière, l’ensemble de l’équipe s’était fait à l’idée que les moyens scénotechniques qui pouvaient être déployés allaient être limités au strict nécessaire.

La Garden Party – Photo © Julie Bories

Lors du troisième repérage réservé à la technique, les technicien.ne.s ont pu constater la rudesse des conditions de travail et les risques inhérents à leur activité : température constante de 13°C, humidité omniprésente et surtout risques de blessures suite à des glissades, chutes de hauteur et risques d’électrisation.

– Intelligibilité et voix parlée au théâtre

Quelques inquiétudes ont été soulevées à ce propos, dont le bruit de fond permanent généré par la source, le niveau sonore étant directement lié au débit du cours d’eau (flux difficile à prévoir en fonction des précipitations en surface 2 à 3 jours avant). Enfin, l’intelligibilité de la voix parlée en acoustique pouvait être fortement perturbée par des temps de réverbération élevés dus essentiellement à la volumétrie des cavités.

– Techniques et divers

Nous noterons que les installations d’éclairage et d’électricité, dont les passages de câbles le long de la Grotte, paraissent peu adaptées aux installations scéniques de grande ampleur.

Juliette Colin : En somme, seules les installations de surfaces semblaient convenir à un format théâtre en rapport frontal. Restait à trouver la bonne formule avec des participant.e.s actif.ve.s se déplaçant au gré des déambulations sous la surface.

– Déterminer la jauge maximale

Un autre élément semblait faire l’unanimité explique Juliette Colin : “Quelle jauge maximale fallait-il déterminer ? Le public devait pouvoir profiter au mieux des scènes de théâtre en déambulation sans que certains ne décrochent car trop éloignés à l’arrière du groupe. Le calcul devait tenir compte de la capacité et du nombre de barques pouvant être mobilisées simultanément à l’embarcadère”. L’estimation fut en fait assez simple et comptabilisait quatre barques à raison de dix personnes maximum par embarcation (neuf participant.e.s + un.e artiste) sans oublier le guide-batelier. L’équipe du Gouffre a finalement réussi à leur obtenir une barque supplémentaire. Finalement, c’est l’idée d’un parcours de visite nocturne qui a été retenue. Les deux groupes de 80 personnes furent convoqués pour deux représentations successives de 2 h (le premier convoqué à 20 h, le suivant prévu à 21 h). Chaque groupe allait être de nouveau séparé en deux sous-groupes de 40 personnes. La configuration collait aux capacités d’embarquement et permettait d’obtenir, comme expliqué précédemment, la formule la plus adaptée à ce type de spectacle.

Le parcours de visite, coupe souterraine – Document © SES de Padirac

Synopsis, l’histoire, …

– Création 2024 exclusive par Crumble Production

Extrait du dossier de presse : “Nous sommes au printemps 1899 et vous êtes invités à la soirée d’inauguration du Gouffre de Padirac. Édouard-Alfred Martel, pionnier dans l’exploration de cette curiosité géologique majeure, est heureux de faire visiter en avant-première et à quelques élus triés sur le volet, le fameux trou du diable de la Vallée de la Dordogne. […] Mais alors que la soirée bat son plein, une jeune femme en panique fait irruption à la Garden Party. Élizabeth explique que son fiancé, Axel Lidenbrock, est descendu seul dans le Gouffre et qu’il a disparu. Les visiteurs vont alors partir dans une véritable chasse à l’homme, descendre au centre de la Terre pour le retrouver. […] Au fil de leur parcours, les visiteurs feront la rencontre des différents protagonistes et, ensemble, seront transportés dans l’univers fabuleux de Jules Verne pour tenter de résoudre le mystère de la disparition d’Axel Lidenbrock”.

Mise en scène : le bon format

Les participant.e.s découvrent, en ouverture du spectacle la Garden Party exécutée en extérieur et plongent ensuite à 103 m sous terre pour une découverte inédite rythmée par des scènes de théâtre immersives où le public participe aux échanges. C’est bien là où les choses se sont compliquées, à la fois en termes de mise en scène et de timing pour les rôles principaux qui devaient être présents à plusieurs endroits clés pratiquement en même temps sans de réelle possibilité de doublage.

Juliette Colin : Dès la première visite, j’ai compris que les 500 m de navigation dans l’obscurité n’avaient aucun sens si les guides-bateliers n’étaient pas intégrés à cette scène. Il fallait leur donner un rôle autour d’une légende, un moment à la fois calme et mystérieux avec des bruits de faune, une situation qui avait pour but de maintenir les participant.e.s durant toute la traversée au cœur de l’intrigue, d’où l’idée d’un jeu avec un coffre dissimulé dans chaque barque qui contenait un parchemin devant être lu par un.e des participant.e.s à la lueur d’une lanterne.

Un des enjeux principaux tenait à l’organisation des différents flux avec les déplacements des rôles principaux (non doublés dont celui d’Édouard Alfred) et au chronométrage des déplacements effectués sans être à vue. Dans l’attente des tops de régie, de nombreuses astuces ont dû être trouvées afin de faire durer certaines scènes un peu plus longtemps. Des arrêts improvisés ont dû être imaginés avec les comédien.ne.s accompagnateur.rice.s, une occasion idéale pour inviter le public à participer aux interactions.

– Une organisation millimétrée

En faisant appel à de nombreux.ses intermittent.e.s, l’essentiel de la production a dû être condensé sur une période courte d’à peine deux mois. Une générale la veille de la première, avec tout juste un filage l’avant-veille, et malgré ces conditions, le challenge a été relevé. Notons que les équipes techniques ont dû réaliser la majeure partie des installations la nuit, le reste ayant dû être finalisé pendant les horaires d’ouverture au public, en prenant garde de ne pas perturber le parcours de visite et surtout ne rien dévoiler.

Adaptations scénotechniques indispensables

Juliette Colin : Mettre en scène un spectacle sous terre impose de jouer avec les caractéristiques et contraintes du lieu : pas de machinerie, de plateau, de porteuses motorisées, de diffusion sonore au cadre, de régie, … En revanche, nous avions là un décor en place exceptionnel.

La technique allait finalement se limiter à utiliser les éclairages existants, à jouer sur la réduction de lumière d’ambiance du Gouffre en masquant les sources (complétées par des projecteurs LED d’ambiance et ponctuels fixes). Quelques enceintes thermoplastiques, un projecteur vidéo pour la scène du mapping dans la salle du Grand Dôme et le tour était joué. Une grande part de la magie tient aussi au travail des costumes et accessoires, et à la réalisation d’une bande son adaptée qui a permis de plonger les participant.e.s en immersion totale.

Attention aux marches glissantes ! – Photo © Julie Bories

Mapping vidéo de Clément Gamgie Rignault dans la salle du Grand Dôme – Photo © Julie Bories

Conditions de sécurité pour jouer

Des tests ont dû être effectués afin de s’assurer que les comédien.ne.s et les équipes de production ne se blessent pas. Au titre des risques principaux (et cela vaut aussi pour le public), arrivaient en tête de liste les risques de chutes de plain-pied dans l’obscurité. L’ensemble des artistes a été équipé de semelles spécifiques, leur évitant ainsi de glisser. Les zones à risques repérées en dehors de la marche sur le parcours tenaient à la descente dans l’escalier (sauf PMR via ascenseur), l’embarquement et le débarquement, les escaliers de la salle du Grand Dôme et du lac des Gours. Au retour, l’ensemble des personnes présentes a été invité à emprunter les ascenseurs pour la remontée en surface.

Lors de la visite technique d’autres contraintes se devaient d’être prises en compte :

– Limites de puissance électrique et nombre de lignes électriques disponibles ;

– Éclairage de l’ensemble du parcours de visite sur un seul circuit ;

– Test acoustique avec le niveau de bruit ambiant, temps de réverbération ;

– Risques de pollution de la source, qualité de l’eau ;

– Risques d’abîmer le site classé lors des opérations de manutention et réglages techniques ;

– Transport du matériel dans les barques donc risques liés à la manutention ;

– Travail en hauteur des équipes techniques lors, par exemple, de la pose des caches (BlackWrap), filtres et projecteurs supplémentaires, … ;

– Plis d’aisance pour les costumes, longueur des robes pour éviter les chutes, sandales, …

Des retours très positifs

L’arrivée au débarcadère en barque fut l’un des moments les plus inattendus. Le public aurait dû se lever naturellement pour débarquer mais a finalement décidé de rester assis sur les bancs. Les cinq embarcations qui font face au quai où se produisent les artistes prennent subitement la forme d’un amphithéâtre improvisé en configuration frontale. L’échange offre une courbe de visibilité et une proximité parfaites.

Juliette Colin : Le public est resté assis, attentif, dans un silence complet. C’est peut-être l’une des scènes du spectacle les plus marquantes en dehors du final dans la salle du Grand Dôme. Le public est plongé dans l’obscurité, seules deux lampes torches aux mains des artistes éclairent les visages qui laissent paraître toutes les expressions, la réverbération de la voute accentuant l’intensité de cette intrigue. L’équipe du Gouffre a été exceptionnelle, tant sur les aspects logistiques, organisationnels que sur les aspects déclaratifs et administratifs, des tâches réalisées en internes par les salarié.e.s du site en plus de leur journée de travail liée au parcours de visite. Un grand merci à eux.

(1)   Les 3 dénivelés successifs peuvent être franchis par ascenseurs

(2)   https://novembre-architecture.com/projet/gouffre-de-padirac/

Site spéléologique de Padirac découvert en 1889 par Édouard-Alfred Martel

– 42 km de galeries cartographiées à ce jour, 1 km ouvert au public

– Cavité : 33 m (diamètre), 75 m (profondeur)

– Embarcadère : 103 m sous terre

 Exploitation du site

– Propriétaire et exploitant : SOC Société d’exploitations spéléologiques de Padirac

– Forme juridique : SA

– Création : 1898, changement de statut en janvier 1955

– Présidente du CA : Laetitia de Ménibus-Gravier

– Activité ERP : gestion des sites et monuments historiques, et des attractions touristiques

– Activité principale déclarée : exploitation des gouffres, grottes et rivières souterraines du puits de Padirac

– Record de fréquentation 2023 : 525 000 visiteurs avec un pic à 8 000 visiteurs par jour

– Effectifs : 150 salariés (49 équivalents temps plein), plus de 300 emplois indirects

– Chiffres d’affaires : 7 M€

– Activité annexes : Restaurant, café, librairie

– Spectacles et animations : soirée des explorateurs, concerts, expositions, …

 Spectacle Voyage au centre de la Terre, à la recherche d’Axel Lindenbrock

– Producteur : Crumble Production

– Mise en scène : Juliette Colin et Maïa Vinçonneau (assistante)

– Auteur : Toni Avenard, mis en production par Louis-Marie Rohr (directeur de production)

– Configuration : théâtre immersif en déambulation

– Organisation des représentations, les 10 & 11 mai 2024 : 4 groupes de 40 spectateur.rice.s par jour en 2 vagues successives, durée de chaque représentation : 2 h

– Équipe artistique : 14 comédien.ne.s, 5 musicien.ne.s, 11 guides-bateliers et figurant.e.s

– Équipe de productions au complet : 34 personnes dont 15 technicien.ne.s

– Costumes et création lumière : Gwendolyn Boudon

– Décors : Mégane Atie et Marie Cabrol

– Direction technique et co-création lumière : Pierre-François Vandamme

– Création sonore et ingénieur son : William Pourtalès

– Création vidéo mapping : Clément Gamgie Rignault

– Photographie : Julie Bories

– Maquillage : Sylvie Goncalves

– Coiffure : Julie Dubois

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