Montévidéo, lieu de création en péril

La salle marseillaise risque l’expulsion

Avant de longer la Basilique Notre-Dame de la Garde, sur les hauteurs de Marseille, la rue Breteuil croise une impasse qui n’en est pas une. À partir de la cour aménagée au fond de ce cul-de-sac en trompe l’œil, nous pouvons accéder à une salle de spectacle, une pièce pour les répétitions, un lieu de résidences artistiques, un laboratoire de création, aux bureaux d’une revue littéraire ou encore au site d’un festival, autant d’espaces qui sortent des sentiers battus. Montévidéo sert ainsi de carrefour pour les écritures contemporaines depuis 2000. Mais ces derniers mois, la menace d’une expulsion a redonné à l’endroit des airs d’impasse. Entretien avec son inquiet fondateur, Hubert Colas.

Cours – Photo DR / Montévidéo

Après des années de contentieux, l’association Montévidéo devait être expulsée de ses locaux en octobre. Pourquoi ne l’a-t-elle pas été ?

Hubert Colas : Il y a sept ans, le propriétaire du bâtiment nous a indiqué qu’il voulait vendre. J’ai cherché des solutions pendant toute la procédure, en vain. L’expulsion devait survenir le 15 octobre dernier, au lendemain du dernier jour de la 23e édition du festival Actoral. L’événement s’est extrêmement bien déroulé, sauf que nous avons passé trois semaines avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Alors qu’il touchait à sa fin, la ministre de la Culture est venue à Marseille les 11 et 12 octobre. Rima Abdul Malak a visité différents lieux dédiés à l’audiovisuel et au cinéma, mais pas Montévidéo. Lors de sa conférence de presse, elle a néanmoins vanté nos mérites et s’est opposée à l’expulsion. Son intervention laisse entendre que la Ville de Marseille dispose d’un délai pour discuter avec le propriétaire, la SCI Jame. Le ministère de la Culture témoigne de son empathie et de son intérêt pour notre activité. C’est donc une formidable avancée. Cela dit, nous ignorons si le sursis est de court, moyen ou long terme. Cela n’aplanit pas le terrain mouvant sur lequel nous sommes depuis des années. J’aimerais pouvoir mettre mon énergie à créer, à soutenir l’écriture contemporaine, à aider les artistes, plutôt que de la dépenser dans cette lutte permanente.

Quel rôle joue Montévidéo ?

H. C. : Au départ, je voulais ouvrir ce lieu pour pouvoir y travailler. Mais j’ai très vite souhaité accueillir des artistes aux démarches singulières, multidisciplinaires, aider celles et ceux qui n’avaient pas accès aux scènes nationales, qui se trouvaient hors circuit. En parallèle, nous avons mené un travail pédagogique auprès des collectivités pour leur faire comprendre en quoi notre action participait à l’émergence de nouveaux talents. Ce n’est pas quelque chose de très simple à visibiliser.

Après avoir participé au renouveau de la poésie sonore en France au début des années 2000, nous avons mis en lumière de nouvelles écritures scéniques. Mohamed El Khatib a présenté son premier spectacle à Montévidéo, où sont aussi passés Philippe Quesne, Christine Angot, Miet Warlop ou Jonathan Capdevielle. Nous les avons soutenus depuis le début et ce sont aujourd’hui de grands noms. Mais je pourrais encore en citer bien d’autres.

Les spectacles étrangers que nous présentons ne sont en général pas très connus en France. Leurs formes novatrices viennent nourrir la réflexion des artistes, des professionnel.le.s et des spectateur.rice.s. Nous touchons un éventail de publics assez large, venant de toute la région. Les Marseillais sont de plus en plus nombreux à nous connaître et à venir découvrir les profils que nous défendons.

Les mercredis de Montévidéo – Photo DR / Montévidéo

Pourquoi tenez-vous à ce lieu ?

H. C. : Quand je l’ai visité pour la première fois en 1999, je cherchais un espace pour ma compagnie de théâtre Diphtong. Je venais de passer cinq ans au Théâtre du Merlan et j’avais fait la rencontre de Jean-Marc Montera, un musicien lui aussi en quête d’un local pour le Grim (Groupe de recherche et d’improvisation musicales). Nous avions décidé de prospecter ensemble afin de partager le loyer et les coûts de fonctionnement. Cet endroit nous convenait parfaitement car il disposait d’un studio de musique et d’une scène de théâtre avec une hauteur sous plafond de plus de 6 m. Cela me permettait de préparer des spectacles, d’en présenter, de répéter et de construire les décors. Il y avait aussi la place pour un centre de ressources, des bureaux et une cour partagée avec une famille qui vivait à côté. Lorsqu’elle est partie, nous avons racheté la maison pour mettre en place des résidences. C’est ainsi que Montévidéo est devenu un lieu de rencontre entre les artistes contemporains et le public. Cette logique d’ouverture a été renforcée par la création d’Actoral en 2002 et la fréquentation est allée crescendo. À partir de là, nous avons fédéré de nombreux acteur.rice.s autour de l’événement de façon à mutualiser les moyens, tant avec d’autres structures qu’en interne. Aujourd’hui, le Festival, la Compagnie et la plate-forme de création artistique Montévidéo fonctionnent ensemble, avec dix permanents pour les trois associations. Cela engendre des économies d’échelle non négligeables, étant donné que notre budget est limité. Nous parlons d’un lieu de quelque 1 300 m2 qui touche autour de 900 000 € de subventions de la part de différentes collectivités locales. Il est aussi aidé par quelques mécènes et institutions.

À quel moment est apparue la menace d’expulsion ?

H. C. : En 2012, la SCI Jame a pour la première fois envisagé une vente. Un bail professionnel de douze ans venait d’expirer et nous sommes repartis sur un bail civil de quatre ans. Cela ne nous paraissait pas conforme donc nous en avons dénoncé la forme et avons refusé de libérer les lieux. La justice a donné raison au propriétaire en première instance en 2020, en appel en 2021 et la Cour de cassation a rejeté notre dernier recours en avril 2023. Nous avons cherché à nous prévaloir de l’ordonnance 45 du ministère de la Culture selon laquelle aucune salle de spectacle ne peut recevoir de nouvelle affectation ou être démolie sans que le propriétaire ou l’usager ait obtenu une autorisation du Gouvernement. Cela n’a pas été suffisant. Durant toute cette période, je n’ai cessé d’imaginer des portes de sortie. Ma première idée était de racheter le bâtiment mais nous n’en avons malheureusement pas les moyens. Nous avons donc démarché des mécènes, dialogué avec le propriétaire et essayé d’impliquer des collectivités locales dont les orientations politiques sont différentes. C’est un jeu complexe. La Direction régionale des affaires culturelles et le Département nous ont affiché leur soutien, tout en précisant que c’était à la Ville de faire le premier pas. Cette dernière nous a mis à disposition l’ancien couvent de La Cômerie, avant d’indiquer qu’un déménagement là-bas n’était pas envisageable pour le moment. J’ai moi-même proposé d’autres lieux qui n’ont pas été retenus. La municipalité a longtemps évoqué la possibilité d’acquérir le lieu. Mais en mars dernier, elle a écarté cette solution au motif que des travaux étaient nécessaires. Il s’avère qu’avec le contentieux, les institutions ont coupé leurs investissements. Seul le plancher a été consolidé. Voilà donc près de vingt ans que nous aimerions terminer la salle de spectacle, de façon à pouvoir être classé en ERP (Établissement recevant du public) de catégorie 3. Finalement, la Sogima (Société de gestion immobilière de la Ville de Marseille) a fait une offre de rachat au nom de la municipalité en septembre. Le propriétaire l’a refusée et, maintenant que le Ministère a suspendu notre expulsion, il semble qu’une nouvelle phase de négociation va s’ouvrir entre la Sogima et le propriétaire. Ce dernier n’est pas opposé à ce qu’il y ait une continuité artistique sur le site.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

H. C. : Nous venons de vivre trois semaines de festival dans un état de stress difficile à tenir. Maintenant qu’Actoral est terminé, nous aimerions profiter d’un peu de calme pour nous concentrer sur l’aide aux artistes, à la création, être à l’écoute du public, trouver des propositions artistiques à même de l’intéresser. Nous avons besoin de cette sérénité. Or, la perspective de l’expulsion réduit notre horizon. Tout ce que je sais c’est que nous allons bientôt accueillir des personnes en résidence. Ma compagnie doit répéter ici en novembre et je ne peux qu’espérer que ce sera possible. La prochaine édition d’Actoral est encore plus dans le flou.

Après une réévaluation du loyer, la justice nous a ordonné de verser 273 000 € au propriétaire. Une aide de la DGCA (Direction générale de la création artistique) nous a permis de débloquer 150 000 €. Le reste, c’est-à-dire 123 000 €, a été saisi sur nos comptes. Cela nous met dans une grande précarité budgétaire. Nous avons donc fait appel à l’ensemble des collectivités territoriales pour nous aider. Sans soutien, l’ensemble de l’activité de Montévidéo est compromis, risquant d’entraîner la disparition d’Actoral et de la compagnie Diphtong. L’annonce du Ministère nous offre un sursis, mais il n’y a pas encore de vraie solution qui se dégage.

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