Dans les coulisses de la création scénographique
Le CNCS (Centre national du costume et de la scène) a inauguré en avril 2023 un nouvel espace dédié à la scénographie. Ce lieu attendu donne une cohérence à ce centre qui, aujourd’hui, appréhende les arts de la scène dans sa globalité. Mais comment appeler ce nouveau lieu qui présente les différents aspects de la scénographie, de la conception à la réalisation, de sa signification à son histoire, dans une approche pédagogique ? Est-ce une fabrique, un atelier, un laboratoire ou tout cela à la fois ? Finalement, c’est le nom La Scène qui s’impose et invite le visiteur à découvrir l’univers de la scénographie.

La Scène – Photo © Luc Boegly
Un long temps de maturation
Cela faisait très longtemps que Delphine Pinasa, directrice du CNCS, rencontrait les professionnel.le.s et artistes, le dossier sur le nouveau centre à la main, expliquant le projet et récoltant les avis et recommandations. Car la préfiguration et la programmation de ce lieu ont nécessité un temps important de réflexion et de concertation. Guy-Claude François, Marcel Freydefont puis Raymond Sarti ont été sollicités dès 2010 ; Raymond Sarti a présenté un dossier complet sur les villes européennes possédant un musée de théâtre et, lors de différentes réunions avec des professionnel.le.s, Marcel Freydefont tentait d’apporter (un défi !) une définition à ce lieu. Pourrions-nous parler d’un musée de la scénographie ? Que pouvons-nous exposer qui ait du sens en dehors de son contexte ? Alexandre de Dardel, scénographe, a été nommé au sein du Comité d’orientation scientifique et culturel du CNCS pour accompagner le projet.
Une étude programmatique est réalisée en 2016 par Frédéric Ladonne, architecte, et a défini la répartition des espaces d’expositions et les réserves. Le concours d’architecte est lancé en 2017 auprès des équipes composées d’architectes et de scénographes. L’équipe de la SAS Torres García remporta le concours et deviendra par la suite l’équipe Betem -Rispal, composée d’Adeline Rispal (architecte scénographe), de Mathieu Lorry-Dupuy (scénographe de théâtre), du scénographe d’équipement Kanju et de Christian Laporte comme architecte de patrimoine. Selon Adeline Rispal, “pour scénographier la scénographie, c’était pour moi une évidence, dès le départ, d’associer notre regard de scénographe d’exposition à ceux d’un scénographe de spectacle et d’un scénographe d’équipement ; nous sommes les seuls à l’avoir fait”. Les trois scénographes (exposition, théâtre et équipement) ont réfléchi ensemble à l’organisation de l’espace d’exposition.

La Scène – Photo © Luc Boegly
Retrouver le caractère initial
Ce nouveau programme est aménagé dans un bâtiment inoccupé dit Délégation militaire qui ferme au sud la Place d’Armes, perpendiculaire à l’édifice principal classé monument historique, rénové, aménagé avec son extension par Jean-Michel Wilmotte en 2006. Construit en 1848 pour abriter au rez-de-chaussée les écuries et à l’étage les chambres pour les cavaliers, le bâtiment de 60 m de longueur et 15 m de largeur a été conservé dans son enveloppe et sa charpente. Les hauteurs importantes donnaient la possibilité de créer des demi-niveaux. Le lieu, quelque peu altéré au XXe siècle, a retrouvé ses éléments architectoniques d’origine, renforçant ainsi son caractère unitaire. Cependant, l’intérieur a été complètement repensé, notamment sa structure qui devait supporter des charges importantes dues au stockage. Une nouvelle enveloppe, le principe de la boîte dans la boîte, a permis de libérer les volumes et les espaces à tous les étages. Conçue à partir de plusieurs semelles, cette nouvelle structure répartit les charges sur les fondations de l’enveloppe originelle et supporte la charpente au niveau supérieur.

La Scène – Photo © Luc Boegly
Les trois actes du parcours
L’entrée pour accéder à ce nouvel espace de la scénographie est marquée par un sas cintré recouvert de zinc qui devient son signal dans la cour. Le public est invité dans un entre-deux avec une grande hauteur. Des perches installées donnent la possibilité d’accroche de décor. Ce lieu se veut évolutif. La pièce Cyrano, mise en scène par Denis Podalydès dans une scénographie d’Éric Ruf, est aujourd’hui mise à l’honneur ; les éléments exposés y font ainsi référence. Une autre scénographie donnera la possibilité de changer et de faire évoluer l’exposition.
Avant d’emprunter le parcours, des entretiens de cinq scénographes, de générations et d’approches différentes, sont projetés. Ainsi, Yannis Kókkos, Robert Carsen, Chantal Thomas, Éric Soyer et Louise Sari expliquent leur démarche, leur rapport au texte et au plateau ainsi que leurs collaborations avec les metteurs en scène.

L’entrée de La Scène – Photo © Joël Bonnard – Ateliers Adeline Rispal
Trois volumes à des hauteurs différentes se succèdent, représentant les trois moments forts du travail du scénographe : la conception, la réalisation et la représentation. Ce parcours scénographique en trois actes, qu’Adeline Rispal qualifie de “médiation sensible”, invite le public dans ce laboratoire où il peut expérimenter la scénographie grâce à des manipulations, des lectures et des visuels puis en immersion dans la cage de scène. Cette exposition met ainsi constamment en regard la fabrication et la représentation. Adeline Rispal explique : “Nous avons eu l’idée de tout mettre dans un seul et même espace, avec des frontières invisibles entre chaque acte, car les frontières entre les différents secteurs de la scène sont justement extrêmement poreuses”.

La Scène – Photo © Luc Boegly
– Acte 1 : la conception
Le premier espace nous plonge dans l’atelier du scénographe. Un espace avec une hauteur sous plafond de 4 m représente son bureau avec des grandes tables de travail sur lesquelles sont posés maquettes, dessins, textes, comme le très beau carnet de croquis d’Éric Ruf. La maquette de Cyrano se trouve dans l’axe du décor sur scène. Le visiteur peut s’asseoir autour de la table centrale et prendre le temps de lire ou discuter. Deux autres tables sont les supports des maquettes, d’une part du décor et de l’autre des lieux de représentation. L’évolution de la scénographie à travers l’histoire est surtout représentée à travers les dix maquettes de Hamlet, acte 1 – scène 1, réalisées pour l’exposition Dramaturgie, Scénographie, Les mots et la matière, en 1992 au Centre Georges Pompidou par Guy-Claude François et Marcel Freydefont. Cette exposition avait pour ambition de rendre sensible le lien entre la scénographie et la dramaturgie, ainsi que son évolution sur une durée d’un siècle, entre 1880 et 1988. De l’autre côté de la salle, ce sont les lieux de représentation à travers l’histoire qui sont expliqués avec les différentes typologies : théâtre antique, théâtre du Moyen-Âge, théâtre élisabéthain, théâtre à l’italienne et quelques salles contemporaines. Une maquette à grande échelle montre l’ensemble du dispositif scénique et la cage de scène, construite par Philippe Lacroix.

La Scène – Photo © Luc Boegly
– Acte 2 : la fabrication
La deuxième salle, avec une hauteur sous plafond de 9 m, représente l’atelier de décor où tous les métiers de ces ateliers sont convoqués (construction, peinture, sculpture, tapisserie, accessoiriste, spécialisation). Les établis sont le support des différents échantillons, outils de travail, prototypes de moulage, tissus, plans, objets divers, matériaux que le visiteur peut manipuler. Un vocabulaire spécifique est à chaque fois indiqué. Des grands rayonnages métalliques offrent un panorama d’objets issus de Cyrano de Bergerac comme dans un magasin d’accessoires. Les vidéos, réalisées et mises à disposition par l’Opéra national de Paris et l’Opéra de Lille, témoignent des savoir-faire et du métier au sein des ateliers de décor. Dans cet espace, nous sommes face à la scène où des éléments du décor de l’acte III, le baiser de Roxane de Cyrano de Bergerac, sont implantés. Le rideau se referme et s’ouvre toutes les 25 minutes avec une annonce mettant le visiteur dans l’ambiance d’une salle de représentation et l’invitant à pénétrer sur le plateau.

Coupe – Document © Ateliers Adeline Rispal – CNCS
– Acte 3 : la représentation
Le rideau ouvert, le visiteur peut se promener dans la cage de scène de 12 m de large et de 8 m de profondeur, avec une hauteur de 12 m sous gril. Il comprend ainsi le fonctionnement de la machinerie. Un parcours de son et lumière le guide et lui donne des explications sur les coulisses de la scène, le plateau, les cintres, … Quatre halos de lumière dans quatre coins de la scène déclenchent une explication du fonctionnement ainsi que le vocabulaire technique. Une console de régie diffuse des vidéos sur les métiers techniques du plateau. Le gril est équipé de douze porteuses motorisées avec un double frein de sécurité autorisant leur installation au-dessus du public. En fond de scène, dans les casiers à décor mobiles, les châssis du décor d’Athalie, datant de 1905, sont entreposés. Nous pouvons apercevoir, sur le plateau, la structure des rues et fausses rues propres au théâtre à l’italienne.

Les nouvelles réserves du CNCS – Photo © Nicolas Anglade – Ateliers Adeline Rispal
Des nouvelles réserves
Le CNCS est la première structure de conservation entièrement consacrée au patrimoine matériel des théâtres avec une acquisition de 100 à 150 costumes par an. Ces collections, sensibles à la lumière et à la poussière, exigent une conservation particulière. Trois niveaux de réserve sur deux étages ont été aménagés pour 1 300 m² d’espace de réserve. Grâce à un système de rayonnage mobile motorisé de double hauteur, il n’a pas été utile de créer un plancher intermédiaire. Mis à part une économie de structure pour le bâtiment, il a surtout permis une optimisation de la capacité de stockage. Les réserves ont été rendues hermétiques avec un maintien constant de température (entre 18 et 20°) et du taux d’humidité (entre 45 et 60 %). Le nouvel aménagement met en valeur les métiers des arts de la scène dans sa globalité et mériterait de continuer son développement avec cet esprit très présent dans le centre : présenter le cheminement qui mène de l’idée jusqu’au plateau. La nouvelle salle d’exposition présente, dans un esprit pédagogique, le métier du scénographe. Le public s’attarde et s’informe avec beaucoup d’intérêt. Il découvre un univers qu’il pensait connaître sans en soupçonner sa richesse. Delphine Pinasa espère créer des opportunités pour des étudiant.e.s avec des résidences et des workshops, notamment grâce à une salle adjacente de 200 m² qui pourrait être à leur disposition. L’endroit s’y prête et l’équipe est accueillante.

La Scène – Photo © Luc Boegly
Générique du projet
- Maîtrise d’ouvrage : CNCS
- Assistance à maîtrise d’ouvrage : Isabelle Crosnier & Charlotte Vauchelle
- Programmation architecturale : Isabelle Crosnier, Parica, FL&CO
- Projet scientifique et muséographique : CNCS
- Maîtrise d’œuvre :
- Bureau d’étude technique ; Betem Centre (mandataire)
- Architecture et scénographie : Ateliers Adeline Rispal
- Architecte du patrimoine : Christian Laporte
- Scénographe de théâtre : Mathieu Lorry-Dupuy
- Scénographe d’équipement : Kanju
- Ingénierie multimédia : Innovision
- Design graphique et signalétique : AMB / Formaboom
- Conception lumière des façades : Les Éclaireurs
- Acoustique : Jean-Paul Lamoureux
- Images 3D : Romain Hamon
- Calendrier :
- 2017 : lancement du concours
- Septembre 2020 : démarrage des travaux
- 8 avril 2023 : ouverture au public