Monitoring énergétique

Consommer en toute conscience

L’organisation de manifestations culturelles ou événementielles génère, à plus ou moins grande échelle, une pression sur l’environnement et les ressources naturelles. Devant ce constat, de plus en plus d’acteurs du milieu essayent de rendre leurs chantiers plus responsables en mettant en place un certain nombre de mesures afin d’économiser les ressources énergétiques et limiter leur empreinte écologique. Dans cette recherche d’écoresponsabilité, la solution proposée par la société Visu Energy s’annonce comme un outil prometteur.

Ne pas finir comme Roméo et Juliette - Photo © Pierrick Corbaz

Ne pas finir comme Roméo et Juliette – Photo © Pierrick Corbaz

Fondée fin 2021 par Jérémie Jourdain et Philippe Wattel, Visu a pour but d’aider les structures et les organisateurs à analyser leur consommation, à identifier les inefficacités et à prendre des décisions pour réduire leurs coûts énergétiques. Pour ce faire, ils proposent à la location un dispositif de supervision à distance constitué de capteurs type pinces ampèremétriques reliés à une mallette connectée sondant en temps réel la consommation et la qualité de l’électricité consommée sur un projet. Le déploiement est facile et permet d’étudier un grand nombre de lignes simultanément. Les différents types de capteurs permettent de mesurer des intensités allant de 0 à 3 000 A. L’analyse va du simple comptage à une supervision en temps réel avec une grande précision : la possibilité d’échantillonnage jusqu’à 20 ms permet notamment l’audit énergétique de systèmes de diffusion sonore.

Après interprétation des données de consommation, les deux associés de Visu établissent un rapport complet illustré de tableaux, graphiques et courbes. Ils identifient les phénomènes pouvant altérer le bon fonctionnement du dispositif (causes d’une coupure de groupe électrogène, mauvais équilibrage de phase, retour au neutre, distorsions harmoniques, …), assurent une lecture affinée des consommations et proposent des solutions d’optimisation. We Love Green, Les Eurockéennes ou encore le Tour de France comptent parmi leurs clients.

Monitoring branché sur l'alimentation lumière du Théâtre d'Ô - Photo © Ludovic Bouaud

Monitoring branché sur l’alimentation lumière du Théâtre d’Ô – Photo © Ludovic Bouaud

Mesurer la transition

Afin de quantifier les économies d’énergie générées par le passage à la LED des parcs lumière des structures culturelles, nous avons fait intervenir Visu Energy sur deux dates de tournée d’une compagnie de théâtre : l’une à Paris, au Théâtre Monfort, avec le plan de feux habituel, entièrement halogène ; l’autre à Montpellier, au Domaine d’Ô, avec une adaptation tout LED.

Ne pas finir comme Roméo et Juliette est un ciné-spectacle de la compagnie La Cordonnerie. Un film, tourné en amont de la création théâtrale, est projeté en version muette sur un grand écran en fond de scène. Tout l’habillage sonore (doublage, bruitages et musique) est réalisé en direct par une comédienne, un comédien et deux musiciens au plateau. La création lumière est assez légère (onze PC et quatorze découpes 1 kW, six PAR 64) à la fois pour ne pas trop parasiter le film mais aussi éviter de surcharger les demandes techniques car le dispositif sonore, lui, est plutôt gourmand (nombreux micros voix et bruitages, cluster central en line array, enceintes surround en salle, …) afin d’immerger le spectateur dans une spatialisation façon cinéma. Au final, les données récoltées nous confirment ce que nous savions déjà : la LED est bien moins énergivore que l’incandescence avec, sur le temps du spectacle, une moyenne de consommation de 2,5 kW en version LED contre 15 kW en version halogène. Le fait d’avoir monitoré les alimentations au-delà de la représentation a permis de faire un autre constat : dans le cas étudié, la consommation électrique est plus importante durant l’entrée public avec une moyenne à 7 kW pour les LEDs et 27 kW pour l’halogène, pour lequel nous observons un pic de consommation en amont (autour de 40 kW) durant la mise et les essais lumière, sans doute dû à l’usage conjoint des éclairages scénique et public. Ce constat serait forcément amoindri avec un plan de feux plus lourd. Néanmoins, au vu des usages, le fait pour un théâtre d’investir rapidement dans un éclairage de salle à LED semble être une bonne piste de réduction de consommation globale.

Monitoring France TV - Photo © Jérémie Jourdain

Monitoring France TV – Photo © Jérémie Jourdain

Un taux de distorsion harmonique très élevé a été relevé au Théâtre Monfort, sans doute dû à la gradation par triacs des blocs de puissance. Ce THD s’est avéré assez faible à Montpellier, attestant de la qualité des alimentations des sources ETC. Dans le cas de projecteurs à LEDs premiers prix, il n’est pas rare d’observer de fortes distorsions. Au-delà des phénomènes de buzz qu’il peut engendrer sur un système son, un taux très élevé peut parfois faire tomber un disjoncteur, même si la ligne n’est pas très chargée. À noter que l’adaptation en LEDs a impliqué l’utilisation de vingt-cinq découpes ETC S4 LED Lustr 2 en remplacement des découpes et PC utilisés initialement. Leur fonction dim to warm a permis de retrouver l’esprit de la lumière originelle basée, entre autres, sur le réchauffement des lampes. Ces chiffres laissent songeurs quant à la nécessité d’investissements en découpes à LEDs en vue d’adapter des créations faites avec des sources halogènes.

La chasse aux idées reçues

Si dans le cas ci-dessus les conclusions restent assez évidentes, elles peuvent, selon les projets étudiés, mettre en lumière des problématiques intéressantes. Il est d’usage, pour des événements de grande ampleur, de prévoir de grosses marges de sécurité sur les alimentations électriques, par exemple pour pallier les impacts de charges produits par les pics de consommation à l’allumage des amplis son. Visu constate parfois que seuls 20 % de l’énergie déployée est utilisée. La supervision permet alors de réaliser un bilan de puissance ajusté et de redimensionner la demande pour les éditions ultérieures. Lors d’un raccordement à un TGBT, l’économie réalisée par le redimensionnement est surtout financière (coûts d’abonnement et de location). Mais dans le cas où le raccordement au réseau est impossible du fait d’une trop forte demande ou d’un éloignement trop important, et que nous optons pour l’utilisation de groupes électrogènes, les bénéfices deviennent aussi écologiques. Le rendement d’un générateur (litres consommés/puissance utilisée) est en effet beaucoup moins bon en charge basse qu’en puissance nominale. Ainsi, pour une consommation effective de 100 kVA, un générateur de 500 kVA consommera plus de gasoil qu’un de 150 kVA ; son bon dimensionnement permet donc bien de limiter les émissions polluantes.

Consommation version halogène, Théâtre Montfort, Paris - Document © VISU Energy

Consommation version halogène, Théâtre Montfort, Paris – Document © VISU Energy

Le cahier des charges de certains événements impose parfois une redondance de l’alimentation afin d’éviter tout risque de coupure électrique. Il n’est pas rare d’observer l’utilisation de groupes électrogènes en secours d’un raccordement réseau, le moteur tournant en permanence afin de pouvoir prendre le relais instantanément en cas de coupure. L’audit réalisé sur un événement utilisant cette solution de secours a donné lieu à une préconisation, suivie l’année suivante : utiliser plutôt un onduleur à groupe électrogène intégré ; l’onduleur assure la continuité de l’alimentation pendant qu’il lance le démarrage du moteur thermique, évitant ainsi une pollution permanente.

Consommation version LED, Théâtre d’Ô, Montpellier - Document © VISU Energy

Consommation version LED, Théâtre d’Ô, Montpellier – Document © VISU Energy

Visu a réalisé au mois de janvier un diagnostic sur un système de sonorisation L-Acoustics constitué d’amplis LA12X, d’enceintes X12 et K2 et de subs SB28. La supervision avec une fréquence d’échantillonnage de 20 ms sur un bruit blanc, un bruit rose et une diffusion de musique à forte puissance a permis de mettre en évidence plusieurs points :

  • Les pics liés aux allumages des amplis ne produisent pas d’impact de charge significatifs ;
  • Les pics sonores tels que les coups de grosses caisses sont très bien absorbés par les amplis et n’obligent pas à prévoir une marge de puissance supplémentaire ;
  • Les consommations effectives sont globalement plus faibles que celles annoncées par les préconisations constructeurs et les plus importantes sont constatées sur les amplis des subs.

Le principal souci repéré lors du test concernait l’équilibrage des phases. Les racks LA-RAK II AVB sont alimentés en triphasé et comportent trois amplis branchés chacun sur une phase. Le fait de câbler à l’identique les têtes et les subs sur chaque rack conduit à alimenter tous les amplis des subs avec la même phase, générant ainsi le déséquilibre. Or, s’il devient trop important, ce déséquilibre peut faire disjoncter une ligne même si aucune des phases n’est en surcharge. Comme quoi, dans certains cas, trop de systématisation peut finir par engendrer des problèmes.

Lomepal. Courant par phase du général son lors des tests musique avec silence, échantillonnage 20 ms - Document © VISU Energy

Lomepal. Courant par phase du général son lors des tests musique avec silence, échantillonnage 20 ms – Document © VISU Energy

Audit en amont = optimisation

Visu a aussi été sollicitée par la société Talent Boutique pour réaliser un audit de dimensionnement avant la tournée de Lomepal. Les usages en lumière, son et vidéo ont été analysés au Zénith d’Amiens pendant les trois derniers jours de répétitions et le premier concert. La supervision de la vidéo a permis de se rendre compte d’un déséquilibrage des phases, corrigé par la suite en répartissant mieux les alimentations des cinq écrans à LEDs. En ce qui concerne la lumière, le besoin en énergie, défini initialement en fonction de la puissance totale du kit envisagé, était de 600 A. Le monitoring effectué sur l’ensemble du spectacle a permis de se rendre compte que la consommation ne dépassait jamais 160 A lors des états lumineux programmés. La demande a donc été diminuée à 400 A, évitant ainsi la location d’un groupe électrogène en complément de l’alimentation réseau lors des passages dans les petits Zéniths, tout en gardant une marge confortable en cas d’évolution de la création lumière. Le même phénomène pouvait se produire pour le son, avec une demande de 250 A due à l’utilisation du système de multidiffusion L-ISA de L-Acoustics. Les sept grappes d’enceintes suspendues en front de scène mobilisaient trente-neuf K2, quarante-quatre Kara et seize KS28, le tout alimenté par quarante-cinq amplis LA12X pouvant chacun consommer jusqu’à 2,8 kW. Là encore, les tests, qui ont donné des valeurs n’excédant jamais 34 A au total, ont permis de redéfinir la demande à 125 A afin de rester compatible avec les alimentations disponibles dans l’ensemble des lieux de la tournée sans nécessiter de location de générateur ou de réduction du kit.

Selon Vladimir Coulibre, trainer manager chez L-Acoustics et responsable de la gestion du système L-ISA sur cette tournée, plusieurs facteurs peuvent expliquer ces chiffres, notamment les progrès faits sur les alimentations des nouvelles générations d’amplis (classe D) et la répartition des objets sonores dans les sept stacks d’enceintes qui permet de moins solliciter les amplis que lors d’une diffusion stéréo. Il faut dire aussi que le dimensionnement des données constructeurs est établi, dans un but préventif, sur de très fortes sollicitations des systèmes car il est très compliqué d’anticiper la consommation d’un ampli en fonction du signal qu’il doit diffuser. Enfin, Il est probable que lors des mesures certains pics très succincts aient été lissés par l’échantillonnage à 20 ms et qu’une supervision plus fine pourrait montrer plus d’éléments.

Pour Manu Mouton, directeur technique sur la tournée de Lomepal, faire une étude énergétique en amont de l’exploitation permet d’obtenir des données sur lesquelles s’appuyer pour nourrir une discussion collective avec les équipes lumière, son et vidéo, afin de repenser les marges de sécurité et d’optimiser les demandes. Dans le cas présent, les coûts du diagnostic ont été amortis par les économies réalisées sur la location.

Lomepal. Courant par phase du général vidéo, déséquilibre de phase constaté - Document © VISU Energy

Lomepal. Courant par phase du général vidéo, déséquilibre de phase constaté – Document © VISU Energy

Changer les réflexes de travail

Le fait de s’accorder avec les capacités énergétiques disponibles sur le réseau de la plupart des Zéniths a permis de garder des marges confortables sans réel impact écologique. Mais comment optimiser ces marges lors d’une alimentation par groupe électrogène, en incluant la problématique du rendement et de la consommation de carburant afférente ? Pour ce qui est des pics de consommation, l’utilisation complémentaire de pack de batteries de forte puissance est une piste à exploiter. L’accumulation de données de monitoring permettra peut-être aussi de trouver, à terme, des éléments de réponse.

Sur ce type d’installation, le fait de laisser le set lumière alimenté en permanence (par crainte de soucis à l’allumage ou des méfaits de l’humidité dans le cas de scènes extérieures) peut engendrer des consommations impressionnantes. L‘équipe de Visu a déjà pu constater des niveaux en veille autour de 63 A par phase. Même si c’est loin des consommations engendrées autrefois par les sources munies de lampes à décharge allumées en permanence et graduées à l’aide d’un shutter mécanique, le fait de couper l’alimentation du système pendant les nuits et les temps de pause générerait des réductions non négligeables de consommation. Nous pouvons espérer que l‘évolution de l’offre vers des sources plus résistantes à la poussière et à l’humidité permettra de changer les habitudes. C’est peut-être aussi du côté des constructeurs que les améliorations arriveront, en intégrant aux machines des modes de veille économes en énergie, à l’image des « hard mute« , des systèmes de diffusion sonore qui laissent allumés les processeurs et les ventilateurs tout en coupant les alimentations des étages de puissance.

Le chemin sera encore long avant que l’ensemble de la filière ne devienne écoresponsable. Mais pour les deux associés de Visu Energy, les prochains chantiers sont déjà à l’étude : la Fête de l’Huma, Rock en Seine, l’assemblée générale du FMI au Maroc et le Circuit de Spa-Francorchamps pour lequel un monitoring permanent sur trois ans est en train de se mettre en place.

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