Conception et réalisation de spectacles
En France et dans toute l’Europe, les créations d’entreprises, les achats de flotte de drones et les spectacles de drones lumineux se développent à grande vitesse. Les technologies ne cessent d’évoluer et ouvrent la voie à d’autres possibles en matière de spectacle vivant. Les images en 3D, mouvantes et gigantesques, émerveillent le public et s’accordent avec les formes déjà existantes : spectacles pyrotechniques, laser, concerts, … Comment ces shows lumineux sont-ils mis en place et quel est le matériel utilisé ? Groupe F, connu pour ses spectacles pyrotechniques impressionnants, s’est lancé dans l’aventure des drones il y a quelques années déjà et ne cesse de réinventer les possibles, en alliant ces derniers aux effets pyrotechniques.

Nano drones avec effets pyrotechniques embarqués. Hatta UAE – 2021 – Groupe F – Photo © Nicolas Chavance
Nous avons pu échanger avec Étienne Compain, flight leader chez Groupe F, et Camille Beaumont, responsable marketing chez Dronisos
Généralement, chaque société choisit un type de drone et le personnalise en fonction de ses besoins, en privilégiant soit la vitesse d’exécution soit la longueur du temps de vol, sa capacité à déplacer une charge, sa stabilité, … Pour Groupe F, le partenariat s’est fait avec les sociétés Drotek et DJI ; dans le cas de Dronisos, elle s’est associée au fabriquant de drones Parrot.
Dronisos conçoit et réalise des spectacles en intérieur et en extérieur. Leur flotte se compose de 7 000 drones modifiés et optimisés selon leur emploi. Les logiciels de créations chorégraphiques et de vol sont aussi des outils développés en interne.
Comment se présente un drone lumineux ?
Étienne Compain : Typiquement, c’est un drone plutôt normal. C’est ce que nous pouvons voir partout dans le commerce mais il n’y a pas de capteur d’image. Nous enlevons l’appareil photo pour mettre une LED à la place. Le drone est donc composé d’un autopilote, de quatre moteurs et d’une petite LED qui fonctionne en dessous. Sur nos drones, ce sont des LEDs RGBW. Nous avons une LED RGB et une LED blanche nous permettant ainsi d’avoir un blanc très puissant. Pour gérer la programmation lumière des drones, nous injectons des vidéos dans Cinema 4D, générant ainsi toutes nos lumières. Nous avons, par exemple, le logo de Groupe F dans le ciel ; nous injectons une vidéo dans Cinema 4D sur notre logo et chaque drone dans le logiciel va se colorier selon la vidéo qui lui passe dessus. C’est ce qui permet de faire la programmation lumière. Ce drone est conçu dans un but uniquement de spectacles, de scénographies, avec un pilotage en flotte. Il n’y a pas de notion de radiocommande, tout est piloté informatiquement depuis un système de vol, un software, et chaque drone reçoit sa mission. Ensuite, chacun exécute le parcours qui lui a été attribué.

Disneyland Paris – Photo © Dronisos
Quels sont les drones utilisés par la société Dronisos ?
Camille Beaumont : Les drones pour les spectacles en extérieur sont des Zéphyr, Parrot Bebop 2 avec ajout de LEDs et d’une antenne GPS, entre autres. Les dimensions sont de 38 cm x 33 cm x 10 cm/600 gr. Pour les spectacles en intérieur, ce sont des Helios, Parrot Mambo (ajout de LEDs et de capteurs Ultra Wide Band) dont les dimensions sont de 13 cm x 13 cm x 8 cm/80 gr. Notre flotte est composée de 5 000 Zéphyr et 2 000 Helios.
Comment procédez-vous pour créer ces images dans le ciel ?
É. C. : Pour faire toutes les chorégraphies, créer les figures, nous utilisons des outils sur le logiciel Cinema 4D. Ensuite, c’est lui qui fait toutes les transitions, tous les décollages et les atterrissages. En revanche, nous disons ce que nous souhaitons en termes de figures et le logiciel s’occupe du reste pour générer toutes les trajectoires de l’ensemble des drones. Nous ne créons pas drone par drone, il y a vraiment une notion de flotte. Nous visualisons tout en 3D, faisons toutes les trajectoires en 3D puis nous l’exportons dans notre logiciel de vol. La partie la plus complexe est la création des transitions entre deux images. Le but étant d’aller au plus vite, tout en étant le plus safe, en prenant en compte nos limitations de vol internes : la vitesse, l’accélération et l’autonomie des drones. Tous ces paramètres sont utiles pour que les transitions soient brèves. Nous précisons dans notre logiciel la vitesse de déplacement des drones, la distance minimale entre eux et l’accélération maximum, engendrant ainsi une transition vers l’autre figure. Nous avons développé beaucoup d’outils en interne, de plug-ins, qui s’intègrent à Cinema 4D pour essayer d’optimiser le plus possible les transitions et les vols en général.

Avengers America, Disneyland Paris – Photo © Dronisos
Donc le logiciel vous dit le temps qu’il va prendre pour passer d’une figure à une autre et, à partir de là, vous pouvez essayer de modifier légèrement les paramètres de distance et de vitesse ?
É. C. : Oui. Par exemple, admettons que la météo prévoit beaucoup de vent et que nous ayons de la pyrotechnie dans la zone de vol, nous allons alors nous adapter et choisir de ralentir la vitesse des drones, ce qui engendrera des transitions plus longues. Nous allons donc augmenter le temps où les drones “ne servent à rien”. C’est ce que nous essayons d’éviter le plus possible.
Qu’est-ce que l’autopilote ?
É. C. : Dans les principaux composants électroniques du drone, nous trouvons l’autopilote qui est le cœur du drone, son système de vol. C’est ce qui permet de corriger la position en fonction du vent, d’exécuter son ordinateur de bord qui est lié aux quatre moteurs et à divers capteurs tels que le magnétomètre, le compas, le baromètre, pour estimer sa position et ainsi suivre le parcours qui lui a été attribué.

Drones Groupe F, Boisviel 2021 – Photo © Nicolas Chavance
Comment la mission de vol est-elle attribuée à chaque drone ?
É. C. : Première étape, nous assignons chaque drone qui est repéré par une position GPS. Tous les drones sont sur la zone de décollage et nous envoyons à chacun, via le Wi-Fi, sa propre mission de vol. Le drone sait à quelle position il est. Au top départ, il décolle et suit sa trajectoire indépendamment des autres.
Les drones ont-ils “conscience” les uns des autres ? Savent-ils qu’ils sont plusieurs à voler ?
É. C. : Non du tout. C’est peut-être l’avenir, je ne sais pas, mais en tout cas pas actuellement. Il n’y a personne qui fait cela encore. C’est en développement dans quelques universités mais il n’y a pas de notion de “je suis là, l’autre drone est ici, et s’il se rapproche il faut que je m’écarte”.

Barcelone, 2022 – Julien Batard – Photo © Groupe F
Combien de drones pouvez-vous coordonner en même temps ?
É. C. : Le maximum de drones que nous avons fait voler avec Groupe F c’est 700 mais il n’y a pas vraiment de limites. Les seules limites sont des questions d’échelle. Si nous avons mille drones, il faut avoir plus de matériel donc ce sont des choix stratégiques. Mais techniquement, il n’y a pas de limite. Il existe des plafonds techniques comme à 700-800 drones puis ensuite à 3 000 drones. Tout est une question de temps et d’argent mais techniquement nous pouvons aller très loin.
Pour Groupe F et Dronisos, quelles seraient les caractéristiques requises pour que le drone soit optimal ?
É. C. : Nous cherchons à avoir des drones qui soient résistants au vent, à la pluie, qui puissent voler longtemps et vite, mais ce n’est pas facile. Actuellement, nous avons des drones plutôt lents, qui ne volent pas longtemps mais qui résistent assez bien au vent. En règle générale, nous cherchons de l’autonomie, de la résistance au vent et à la pluie. Ce sont des sujets sur lesquels tout le monde travaille et qui avancent très lentement donc il y a encore des innovations technologiques à penser de ce côté-là.
C. B. : Nous cherchons à améliorer l’intelligence des drones afin de les rendre plus autonomes. Nous souhaitons augmenter la durée des spectacles. Coté hardware, nous travaillons sur la robustesse de nos drones, notamment sur les LEDs, afin de proposer une plus grande gamme de couleurs et une meilleure qualité de blanc, ainsi que sur leur fixation.

Lille 3000, 2022 – Nicolas Guilitte – Photo © Groupe F
Pouvez-vous nous parler de vos drones pyrotechniques ?
É. C. : Vaste sujet, mais nous distinguons quand même deux catégories : les petits (Nano drones) et les gros porteurs (Matrice 600). Ce sont deux catégories bien différentes : les petits drones sont les drones Drotek sous lesquels nous chargeons de la pyrotechnie. C’est un système de vol Drotek : nous avons acheté un produit fini. Cependant, sur les gros porteurs, il existe une solution développée entièrement en interne. Nous avons acheté des drones presque “grand public” et avons développé le système de vol, le système de sécurité, la communication, la charge, le système de pyrotechnie, … Même les effets incrémentés dessous sont sur mesure. Nous avons vraiment deux architectures bien différentes.

Lille 3000, 2022 – Nicolas Guilitte – Photo © Groupe F
Quelles ont été les difficultés rencontrées sur la fabrication des drones pyrotechniques ?
É. C. : Nous sommes partis d’une base : les drones DJI sont vraiment les plus fiables que je connaisse. Ils sont vendus pour être pilotés avec une radiocommande, en manuel, et nous avons cherché à développer un système qui se met par-dessus pour que les drones puissent, comme les Nano, suivre leur trajectoire indépendamment les uns des autres. Le design se fait dans Cinema 4D, comme pour les petits. Au commencement des premiers essais pyrotechniques, il y avait un pilote par drone. La première mission était de mettre ces drones en flotte pour qu’ils puissent être synchronisés. Maintenant, nous pouvons charger une mission dans chaque drone pour qu’il suive sa trajectoire de façon synchronisée avec les autres. Nous précisons ses déplacements dans un temps donné et ses angles pour orienter les effets pyrotechniques qui sont en dessous. Nous les avons rendus non pas intelligents mais capables de suivre des missions comme les Nano drones.

Versailles, 2021 – Groupe F – Photo © Nicolas Chavance
Vous leur donnez plus d’éléments que simplement l’ordre de réaliser une figure ?
É. C. : Oui, nous n’avons pas réellement de figures à réaliser avec une vingtaine de drones. Nous allons faire une tour, une arche, une ligne, des choses simples. Nous pouvons définir la direction du drone, ce qui influe sur son positionnement, sa rotation. C’est un mélange entre ce que peuvent faire les drones et ce que peut faire la pyrotechnie et alors nous composons et ajustons le drone et la pyrotechnie en fonction de ces deux paramètres. L’accent est mis sur l’aspect pyrotechnique du drone dans la programmation et dans les effets plutôt que le drone et la figure en eux-mêmes. Nous avons exploré beaucoup de pistes, énormément de tests ont été effectués et nous en sommes venus à faire des effets sur mesure pour nos drones afin qu’ils ne soient pas déstabilisés par exemple. Pour que nous ayons le plus bel effet pyrotechnique possible, que nous puissions embarquer le plus de pyrotechnie possible, dans un but d’optimiser et de sécuriser les vols.

Versailles, 2021 – Groupe F – Photo © Nicolas Chavance
Vous travaillez pour la société Dronisos, entreprise pionnière dans le spectacle de drones. Pouvez-vous nous expliquer quelles sont les étapes de la conception à la réalisation d’un spectacle ?
C. B. : Tout commence par un brief créatif, par le dimensionnement du spectacle. Le nombre de drones attendus se détermine en général par deux facteurs : un facteur de coût mais aussi un facteur artistique. Une fois que nous avons dimensionné cela, nous partons sur l’aspect créatif. Là, soit le client a une vision extrêmement précise de ce qu’il veut et connaît très bien le spectacle de drones et il nous fait alors ses demandes spécifiques, soit nous partons dans un processus créatif. Ensuite, nous allons créer la chorégraphie de drones dans un outil que nous avons développé en interne qui est un logiciel utilisant des bases de logiciels 3D, qui permet vraiment d’avoir une simulation de ce que va donner la chorégraphie dans le ciel. Une fois cela validé, nous passons aux répétitions. Nous répétons sur notre base aérienne de tests et en fin de process, nous allons nous installer sur place, faire les répétitions sur le site.

Versailles, 2021 – Groupe F – Photo © Nicolas Chavance
La mise en place d’un spectacle de drones dépend de bon nombre de paramètres tels que la demande initiale du client : ses attentes en termes de nombre de drones et son projet artistique, l’étude de la faisabilité du projet en fonction du site et de la météo, les démarches administratives, la transcription du projet via un logiciel de simulation 3D, … Selon Étienne Compain, nous pouvons décomposer ces étapes en quatre phases :
– Phase 1 : validation du contrat avec le client
Il s’agit de réaliser l’étude de faisabilité des autorisations administratives requises, de vérifier les principaux aspects techniques, logistiques, budgétaires et artistiques, puis enfin de valider le contrat.
– Phase 2 : étude du site
- Photo/vidéo 360°, vérification de la zone de décollage ;
- Déterminer la pente du site et vérifier s’il y a des trous, des rochers et de la végétation. Prévoir une surface plane et, si nécessaire, installer une aire de décollage ;
- Vérifier que le site n’est pas obstrué par des obstacles aériens tels que de grands arbres ou des câbles électriques ;
- Vérifier la proximité des infrastructures locales (bâtiments, lignes de train, routes, lignes électriques, mâts radio, …).
– Phase 3 : conception et simulation
Effectuer les démarches administratives (aviation civile, chantier, transport, …) et concevoir la scénographie.
– Phase 4 : le spectacle
- Installation sur le site (aire de décollage et atterrissage, stockage, bureaux, aire d’envol, …) ;
- Procédure de préparation et de mise en place des drones ;
- Répétition ;
- Show.

Drones lumineux et pyrotechniques, Genève, mai 2023 – Photo © Groupe F
Un point récurrent tout au long de ce processus est l’aspect sécuritaire. Les demandes administratives sont multiples et jusqu’à l’atterrissage des drones, la sécurité du public reste la première préoccupation de tous les organisateurs et créateurs de l’événement.
É. C. : En Europe, nous avons énormément de documents administratifs à remplir. Pour une demande d’autorisation, nous devons demander des dérogations car tout ce que nous faisons est interdit à la base : voler de nuit, piloter plusieurs aéronefs avec un seul télépilote qui supervise le spectacle et voler très souvent à plus de 150 m d’altitude. Donc pour voler de nuit, il est nécessaire de faire une demande à la préfecture, pour voler près du public c’est à la préfecture et la DGAC, …

Drone Zephyr sur le show Avengers Power the Night, Parc Walt-Disney Studio, 30e anniversaire de Disneyland Paris – Photo © Parrot et Dronisos
En termes de sécurité, comment cela se passe-t-il si vous avez besoin d’intervenir sur un drone pendant la chorégraphie ?
C. B. : Si jamais un drone perd le signal ou ne suit pas sa carte de vol, l’ordinateur va communiquer l’information au drone via le Wi-Fi. Ce dernier va aussi lui-même envoyer de l’information à l’ordinateur de contrôle ce qui fait que pendant toute la durée du spectacle, les opérateurs voient individuellement chaque drone, peuvent recueillir des informations. S’il y a un imprévu ou un risque quel qu’il soit, l’opérateur peut envoyer une commande à un drone, à une petite quantité ou à l’ensemble des drones, pour les faire sortir de la chorégraphie. Ils ont aussi un système de GPS embarqué qui fait qu’en cas de rupture de la communication, le drone est capable de revenir à sa zone de décollage.
Les spectacles de drones apportent une réelle nouvelle dimension, un autre mode de communication, d’interaction et d’échange avec un public toujours émerveillé face à l’aspect spectaculaire de ce nouveau mode d’expression artistique. Les entreprises se développent chaque année de manière exponentielle et nous réservent assurément encore beaucoup d’instants poétiques sous les étoiles.

Zone de décollage des drones. Riyadh Season 2022 – Photo © Séverine Monnet