Le Faar met en lumière d’autres récits

Une association qui aide les projets inclusifs

Face au manque de diversité dans le monde du spectacle, le FAAR (Fonds d’aide pour des arts vivants responsables) accompagne les artistes qui défendent l’égalité, l’inclusion des minorités et l’écoresponsabilité. Il espère ainsi faire émerger des récits que nous avons moins l’habitude d’entendre.

Vanasay Khamphommala questionne les normes - Photo © Pauline Le Goff

Vanasay Khamphommala questionne les normes – Photo © Pauline Le Goff

Une silhouette aux longs cheveux noirs se détache dans le décor sans couleur des Plateaux sauvages, une salle du XXe arrondissement de la capitale. Seule sur scène, le corps gracile piégé par une robe de mariée, Vanasay Khamphommala a tout de l’épouse modèle, à ceci près qu’une fine moustache trace au milieu de son visage une ligne indélébile entre elle et les archétypes féminins. Il est bien question d’amour dans ce spectacle présenté en septembre 2022 à Paris, mais nous sommes loin des figures imposées.

Pour “relire les mythes fondateurs de l’Europe dans une perspective trans et décoloniale”, cette Franco-Laotienne, elle-même trans, s’entoure de “personnes qui remettent en question la notion de norme avec leur histoire et leur aspect physique”. Quatrième projet de sa compagnie Lapsus chevelü, la pièce Écho, où Vanasay Khamphommala n’apparaît pas toujours seule en robe de mariée, “est une tentative de rompre la malédiction d’Écho”, comme l’indique un message projeté dans son dos. Dans la mythologie grecque, la nymphe Écho est condamnée à ne pouvoir ouvrir la bouche que pour répéter ce qui lui arrive aux oreilles. Aussi s’avère-t-elle incapable de déclarer sa flamme à Narcisse. “Que signifient cette valorisation, cette esthétisation d’une souffrance amoureuse, de préférence féminine, blanche et hétérosexuelle ?”, interroge Vanasay Khamphommala dans le dossier de production. Là est bien le problème : depuis qu’Ovide a glissé la figure d’Écho dans ses Métamorphoses, le désespoir revêt sans cesse les habits d’une femme blanche et hétérosexuelle, car c’est un homme blanc et hétérosexuel qui les dessine pour elle.

Une absence remarquée

Mille autres représentations existent bien sûr aujourd’hui. Mais alors que rien n’oblige les auteurs contemporains à ressasser les mêmes histoires, comme Écho par exemple, leurs personnages présentent toujours trop de traits communs. “Où est la diversité au théâtre et au cinéma ?”, demandait Le Monde lors d’un débat organisé en 2016. Force est de reconnaître que “les comédien.ne.s et acteur.rice.s ‘issus de la diversité’ sont encore peu représentés sur les scènes et les écrans français”, ajoutait le quotidien du soir en 2018.

Vanasay Khamphommala dans sa pièce Écho - Photo © Pauline Le Goff

Vanasay Khamphommala dans sa pièce Écho – Photo © Pauline Le Goff

L’année suivante, la metteuse en scène Sarah Tick élargissait le constat lors du Festival d’Avignon : “Il y avait peu de femmes parmi les directeurs de scènes nationales”. Par ailleurs, “les statistiques sur les personnes racisées ont beau être illégales, nous voyions bien leur absence du côté des porteurs de projets et des responsables de lieux de spectacle”. La jeune femme a passé de longs mois à chercher la parade avec Héloïse Lesimple, Maxime Ruszniewski et Alice Vivier, tous trois impliqués à différents niveaux dans la production de spectacles. Et en avril 2020, le quatuor a donné naissance au Faar (Fonds d’aide pour des arts vivants responsables). Cette association loi 1901 “lutte contre les discriminations dans la création artistique du spectacle vivant et s’engage à promouvoir une création écoresponsable”, comme l’indique son site Internet.

Les conditions à réunir

Concrètement, le Faar soutient le développement des œuvres “théâtrales, chorégraphiques, musicales et performatives” favorisant l’égalité entre les femmes et les hommes, l’inclusion, la diversité des publics et la reconnaissance des personnes en situation de handicap. Il participe à leur production par le biais d’un financement et de conseils, sans oublier de mettre l’accent sur leur impact environnemental. Entourés par un bureau à deux têtes, autant de bénévoles, une stagiaire et un comité artistique de quinze personnes, les quatre fondateurs mobilisent du mécénat privé ainsi que des subventions de la Ville de Paris et du ministère de la Culture. Ces moyens servent à “porter au plateau les récits de personnes que nous avons moins l’habitude d’entendre”, dixit Sarah Tick. En plus de renouveler les thèmes abordés, “cela peut aider des publics différents à s’identifier et accentuer la diversité des spectateurs”, ajoute-t-elle.

Sarah M. - Photo © Olivier Allard

Sarah M. – Photo © Olivier Allard

Une fois en contact avec le Faar (via l’adresse accompagnement@faar-asso.org), les porteur.se.s de projets intéressé.e.s ont un questionnaire à remplir. Il s’agit avant tout de connaître leur profil et leur démarche. Dans un second temps, chaque dossier retenu est examiné afin de vérifier s’il correspond aux critères de la charte. “Nous exigeons l’égalité salariale entre toutes et tous”, prend pour exemple Sarah Tick. Un soin particulier doit être apporté à l’écoconception et aucune place ne peut être laissée aux discriminations et au validisme.(1)

Celles et ceux qui remplissent le mieux ces conditions sont invités à rencontrer le comité artistique. “Le principe c’est que l’artiste se raconte, raconte son projet, les empêchements et les difficultés auxquels il ou elle a été confronté.e”, précise Karima El Kharraze, une dramaturge qui fait partie dudit comité. Sarah M. a apprécié l’échange. “J’ai pu parler à cœur ouvert des questions qui m’animent, ce qui m’a encouragée à les défendre sur scène”, se réjouit l’autrice.

Karima El Kharraze est membre du comité artistique du Faar - Photo © Hélène Harder

Karima El Kharraze est membre du comité artistique du Faar – Photo © Hélène Harder

Le public au rendez-vous

Vanasay Khamphommala a été la première à bénéficier du soutien du fonds pour sa pièce Écho. “Le Faar nous permet d’accentuer notre démarche consistant à interroger la norme”, se félicite-t-elle. “Nous n’avons pas eu besoin de faire un travail pédagogique à ce sujet auprès de ses membres et c’est quelque chose d’à la fois reposant et stimulant.

Pour la saison 2022-2023, l’Association a épaulé trois projets supplémentaires. Une enveloppe globale de 20 000 € a été répartie entre Sirène 2428 d’Adèle Gascuel, Amnesia de Sarah M. et Portrait de famille d’Olivia Mabounga. Cette dernière a d’autant plus apprécié la main tendue qu’elle s’est longtemps heurtée à un mur : “Je suis sortie de l’école en 2019. En tant que jeune metteuse en scène noire, j’avais du mal à être prise au sérieux, à faire produire et diffuser mon travail”. Combien de programmateurs s’étaient détournés de son précédent spectacle Tchoko parce qu’ils ne se sentaient pas concernés par le sujet, la dépigmentation de la peau prisée par certaines femmes noires ? Faute de trouver écho chez un certain nombre d’hommes au teint clair, ce genre de thèmes parle à un vaste public. “À partir du moment où nous mettons des personnes racisées, queers ou grosses sur scène, les spectateurs s’y retrouvent, ont envie que nous leur racontions ces histoires-là”, jure Karima El Kharraze. “La salle est remplie et en plus elle est remplie par un public qui n’a pas forcément l’habitude du théâtre.

La metteuse en scène Sarah Tick, co-fondatrice du Faar - Photo DR

La metteuse en scène Sarah Tick, co-fondatrice du Faar – Photo DR

Vers un modèle durable

Du point de vue du Faar, diversité ne doit pas rimer avec sobriété qu’en poésie. L’Association donne ainsi des ressources aux artistes pour réduire leur empreinte carbone. Ils profitent non seulement de l’expérience de certains membres du comité artistique experts en la matière, comme la directrice de la compagnie Jérôme Bel, Rebecca Lasselin, mais participent aussi à une journée de sensibilisation avec l’association Arviva (Arts vivants, arts durable). “Ces démarches écoresponsables peuvent nourrir mon travail personnel”, assure Vanasay Khamphommala. “Je me suis par exemple intéressée au recyclage des éléments de scénographie et, même si la Compagnie voyage encore peu, aux pistes pour rationaliser l’impact écologique des tournées.

Le Faar se réunira en commission à l’automne prochain afin de sélectionner les projets susceptibles d’être accompagnés pour la saison 2023-2024. Les candidatures peuvent lui être envoyées à tout moment. Vanasay Khamphommala, Adèle Gascuel, Sarah M. et Olivia Mabounga sont prêtes à passer la main à une nouvelle promotion. Elles savent que l’histoire ne s’arrêtera de toute façon pas là.

L’accompagnement offert par l’association est “intéressant sur le long terme car il nous permet d’affirmer le travail de la Compagnie dans le sens de la diversité et de l’écologie, d’en faire des lignes de réflexion pérennes”, vante Vanasay Khamphommala. La metteuse en scène a aussi pu développer un réseau d’interlocuteurs pointus dans différents domaines. “J’ai le sentiment que je peux les solliciter à tout moment et que, si j’ai encore besoin d’eux dans cinq ans, ils seront là”, se réjouit Olivia Mabounga. Sarah M. a même l’impression de faire partie d’une “communauté artistique et intellectuelle”. Vu sa taille modeste, cette communauté ne peut bien sûr faire avancer la question de la diversité qu’à petits pas. Ce n’est encore qu’une “tentative de rompre la malédiction d’Écho” et son récit qui tourne à vide, pour reprendre les termes de Vanasay Khamphommala. Mais “si le Faar peut le faire, cela veut dire que d’autres structures le peuvent aussi”, se projette Olivia Mabounga.

 

Notes

(1).  Oppression pouvant prendre la forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap (source : Wikipedia)

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