Sous Dôme

Le planétarium illuminé par les arts numériques

Le festival Sous Dôme a eu lieu au Planétarium de la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris, les 18 et 19 mars 2023. Premier festival parisien dédié à la projection fulldome immersive à 360°, l’événement a été co-créé par Jérémy Oury, artiste multimédia, 36 degrés, association spécialisée dans les arts numériques, et Universcience. Le temps d’un week-end, le Planétarium s’est transformé en espace international de diffusion des arts numériques, proposant une sélection d’œuvres originales sous l’écran sphérique de 21,50 m de diamètre. Pour plusieurs des artistes invités, il s’agissait de la première opportunité de voir leur création fulldome en France.

Photo © RP Ribiere - EPPDCSI

Photo © RP Ribiere – EPPDCSI

White cube des espaces immersifs ?

– Un ciel étoilé

Si la fascination pour les étoiles existe depuis l’Antiquité, c’est seulement à partir du XXe siècle que nous pouvons parler du planétarium moderne comme d’un dôme géodésique, une structure sphérique sur laquelle est projeté un ciel étoilé. L’intérêt pour le caractère immersif de ce dispositif est un phénomène bien plus récent, étroitement lié à l’univers des arts numériques. Depuis quelques années, la pratique de projection sous dôme est de plus en plus répandue parmi les artistes travaillant avec les nouvelles technologies. Maxence Grugier le constate déjà en 2018, dans l’article “Magie du dôme immersif : le spectacle en fulldome” (AS 218). Qu’est-ce qui a changé depuis ? Est-ce le caractère indéniablement immersif du dôme qui attire de plus en plus d’artistes ? L’envie de détourner le planétarium de son utilisation première ? Le fait de projeter en dehors de l’univers de la façade propre au mapping vidéo ? Ou alors l’intérêt vient-il du côté des espaces de diffusion, qui souhaitent quant à eux différencier leur programmation ?

– Le planétarium comme métonymie

Le planétarium est à la fois un lieu, une représentation du ciel étoilé, la structure architecturale dite “dôme géodésique” ainsi que le système de projecteurs utilisé au sein de cet espace. Son histoire coïncide avec celle de la technologie de son système de projection : le premier planétarium moderne a été conçu et bâti à Iéna, en Allemagne, par la société Zeiss, qui est encore aujourd’hui l’un des producteurs les plus actifs sur ce marché. Pour l’anecdote, seulement quelques années après, plus précisément en 1926, le metteur en scène Erwin Piscator effectue l’une des premières projections au théâtre. Dans la pièce Rasputin, à Berlin, il conçoit une scénographie multimédia au sein de laquelle le support de projection n’était rien de moins qu’un dôme hémisphérique ! Si dans les années 1920 le dôme était un élément scénique au théâtre, le dôme contemporain est un théâtre en soi, accueillant aussi bien des films projetés que des performances live ou du spectacle vivant.

Photo © Jérémy Oury

Photo © Jérémy Oury

– Un espace neutre 

Le dôme géodésique est un espace de projection blanc et maîtrisé. Les œuvres qui y sont diffusées sont appelées “films”. Constitué de plaques métalliques triangulaires, dont l’apparence mate est très prisée par les artistes, chaque dôme se caractérise par une structure de diamètre variable et une disposition des assises singulière. La programmation culturelle des planétariums est souvent orientée vers une dimension pédagogique, destinée à la découverte du Cosmos et des étoiles. Pour les artistes contemporains, le planétarium devient un espace à détourner, un support sans contraintes thématiques. À l’instar du white cube en art contemporain, cette structure neutre permet de concevoir une œuvre affranchie du contexte de son support. Dans ce sens, le dôme se démarque d’autres espaces accueillant des expositions immersives, au sein desquels le support architectural est souvent porteur de sens et reste visible tout au long du spectacle. Une fois la projection commencée, la sphère du dôme disparaît rapidement, au profit du contenu du film et d’une déroutante illusion de profondeur.

Écrire fulldome

– Le festival 

La première édition du festival Sous Dôme naît de l’envie et de la nécessité de créer une nouvelle opportunité de diffusion pour les artistes numériques travaillant en France. Le programme de cet événement est riche et diversifié : une sélection d’œuvres originales, une performance audiovisuelle en 360°, deux tables rondes, un atelier organisé en partenariat avec l’École Estienne et une sélection de courts-métrages intitulée Halo. Cette sélection constitue une première opportunité pour leurs auteur.rice.s de voir leur film projeté : la scène fulldome se développe surtout à l’étranger, notamment au Brésil et au Canada, mais aussi en Suisse et en Allemagne. Les festivals internationaux ne peuvent pas toujours assurer la venue des artistes, tandis que les programmes de résidence sont peu nombreux et se focalisent sur un petit nombre de créations longues par an, ne répondant pas ou plus à une demande et un intérêt croissant de la part des artistes nécessitant des espaces d’expérimentation.

Photo © Jérémy Oury

Photo © Jérémy Oury

– Des approches possibles

Selon Jérémy Oury, artiste numérique visuel et sonore, l’espace du dôme peut être abordé de plusieurs manières différentes : nous pouvons le concevoir comme un espace scénographique et modulaire, telle une salle de théâtre, ou alors nous pouvons privilégier l’écriture filmique et travailler sur une scénarisation des images et de la musique. La sélection curatoriale présentée dans Halo met à l’honneur la deuxième approche : le choix de courts-métrages est assez représentatif des possibilités d’expérimentations graphiques et narratives de la création fulldome. Deux courts-métrages se distinguent en soulevant des questions pertinentes et spécifiques à l’écriture au sein de cet espace aux caractéristiques particulières.

Photo © Patrick Frontezak

Photo © Patrick Frontezak

– La profondeur 

Le film Immersive d’Arcaan Collective nous enveloppe dans une narration abstraite, au sein de laquelle image et son ne font qu’un. La musique, rappelant vaguement les cadences minimalistes de Philip Glass, nous accompagne dans la traversée de formes géométriques. De leur succession et enchaînement émerge une séquence visuelle qui repousse les limites du format sphérique et de ses possibilités. En travaillant avec des cercles et des carrés, l’équilibre vient se créer entre ce qui se passe sur les bords et au centre de la sphère géodésique, nous faisant ressentir toute la profondeur que le dôme n’a pas, mais que les images arrivent à créer.

– La narration

La Matière des Souvenirs de Néon Minuit se base sur un tout autre principe : son approche est narrative, figurative et linéaire. Le point de vue que le spectateur incarne est explicite dès les premières images du film puisque nous sommes amenés à pénétrer dans un nuage de points et à traverser une séquence d’espaces et de paysages, de villes et de montagnes, jusqu’à parvenir à deux figures endormies. Un long travelling nous fait parcourir cet univers en nuages de points, jusqu’à la dimension bien plus abstraite des souvenirs et de leur matière. L’approche figurative du début du film nous permet de nous accrocher à un fil conducteur, nous amenant tout droit vers l’abstraction du final. Dans cet univers, peu de couleurs, mais différentes vitesses nous font avancer. La question de l’écriture multimédia est aussi centrale dans la création sous dôme qu’au sein de spectacles dans les salles immersives ou dans les installations interactives. Chacun de ces dispositifs fonctionne sur des principes narratifs singuliers et permet de déployer une écriture à lui propre. Dans le cas du fulldome, d’une part le caractère neutre du support laisse une grande liberté aux artistes, d’autre part la contrainte imposée par la déformation des images et des contenus est un aspect fondamental à garder à l’esprit en phase de création.

Photo © Patrick Frontezak

Photo © Patrick Frontezak

Plus de spectacles

– Le dispositif 

Avec un système de dix vidéoprojecteurs Sony GTZ 280, 2 500 lumens et un écran de 21,50 m de diamètre, blanc, perforé, 180° sur le méridien et 360° sur l’horizon, la projection du Planétarium de Paris est équivalente à du 8 K. Comment aborder une création sous dôme ? Il faut tout d’abord anticiper les déformations des médias, dont le format 360° se distingue du format “rectilinéaire” des projections frontales classiques. Pour ce faire, le “dôme master” est utilisé, une séquence d’images de format circulaire encapsulée dans un format carré. Nous disposons désormais de plusieurs plug-ins natifs d’After Effects permettant de travailler avec des rotations, des caméras 3D et de simuler les distorsions. Si aujourd’hui ces technologies sont aussi développées, c’est aussi grâce à la VR dont les outils de création et de production se rapprochent de ceux du format fulldome (le terme fulldome renvoie à une image occupant la totalité de l’écran). Dans le processus de création du contenu visuel, nombreuses sont les contraintes à garder à l’esprit : le centre de l’image correspond au zénith de la salle et le périmètre du cercle à l’horizon visible de l’écran. Les notions de gauche/droite/devant/derrière sont des coordonnées spatiales utilisées pour mettre en relation le contenu des images et l’espace physique de la salle. Cependant, dans le film lui-même, le point de vue du spectateur coïncide avec celui de la caméra 3D qui, dès la phase de montage, est située dans l’image.

Exemples d’images en fisheye équidistant - Document © EPPDCSI

Exemples d’images en fisheye équidistant – Document © EPPDCSI

– La question de l’assise

Bien que l’expérience spectatorielle du dôme géodésique se rapproche pour certains aspects de l’expérience filmique, un facteur principal autre que l’écran la distingue du cinéma et caractérise chaque planétarium : la configuration des sièges qui est toujours propre au lieu et qui peut parfois être modifiée. Dans le cas du Planétarium de la Cité des Sciences et de l’Industrie, nous sommes presque allongés sur des sièges dont les dossiers sont très inclinés. Ils sont tous tournés dans la même direction. Notre regard est amené vers le centre de la sphère, le dôme nous surplombe. Cela participe certainement à la dimension immersive de ce dispositif, qui est perçue très différemment si nous sommes allongés par terre, sur des sièges ou libres de circuler. C’est la différence principale entre les planétariums et les espaces dédiés à l’expérimentation en arts numériques, comme la SAT (Société des arts technologiques) à Montréal au sein de laquelle la disposition des assises est pensée en fonction de chaque spectacle. Le fait que la présence physique du public participe au processus de création est sans doute un atout du dôme qui contribue à la spécificité de ce dispositif ainsi qu’à de son caractère immersif.

Plan 2006, coupe nord-sud - Document © EPPDCSI

Plan 2006, coupe nord-sud – Document © EPPDCSI

– Tendances futures

Quelles tendances s’affirment pour le futur de cette pratique ? Si du point de vue de la création de contenus le fulldome évolue vers un contenu génératif et en temps réel, du point de vue expérientiel et immersif, nous remarquons une évolution vers des configurations pluridisciplinaires intégrant aussi bien des lumières que d’autres éléments scéniques, des performeurs, des acteurs. Au carrefour des arts numériques et des nouvelles technologies, entre divulgation scientifique et expérimentation artistique, le dôme géodésique réunit des éléments de l’audiovisuel, du cinéma, des expériences immersives et du spectacle vivant. La projection sous dôme est emblématique d’une tendance à l’hybridation des médiums, à la recherche d’expériences d’immersion collective au sein desquelles le mouvement et le corps participent à la définition d’un dispositif inédit.

Merci à Jérémy Oury, Dorian Rigal, Florent Moreau (Ingénierie informatique du Planétarium), Christelle Barclay (Chargée de production du Planétarium)

Ainsi qu’aux artistes ayant participé à Halo : La Matière des Souvenirs – Néon Minuit (France), Morphogenesis – Can Büyükberber & Yağmur Uyanık (Turquie), Brownian Motion – Benjamin Vedrenne (France), Brèche – Sébastien Labrunie & Lu Yi (France & Taïwan), Skylark – Jérémy Oury (France), Immersive – Arcaan Collective (France), Bio-Inspiré – Void & Selay Karasu (Turquie)

 

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