Du numéro de cabaret à la tournée internationale
“Machine de cirque” désigne le titre d’un spectacle mais aussi le nom d’une compagnie de cirque québécoise. Événement transdisciplinaire, très technique mais optimisé pour la tournée. Nous vous livrons les dessous de cet opus.
Cet article a été préparé suite aux représentations à la Maison de la danse de Lyon et grâce aux échanges avec une partie de l’équipe technique et artistique de la Compagnie.

Machine de cirque – Photo © L’Œil du Loup Photovidéographie
Points de départ
Machine de cirque, première création de la compagnie éponyme, est une “création collective” dirigée par Vincent Dubé qui en est l’œil extérieur et le metteur en scène, inspiré par la créativité des artistes et compagnons d’écriture que sont les circassiens Yohann Trépanier, Raphaël Dubé, Maxim Laurin, Ugo Dario et le compositeur-interprète et inventeur de machines musicales Frédéric Lebrasseur. Né au Québec en 2015, ce spectacle a rempli les tribunes antiques des Nuits de Fourvière à Lyon, l’Olympia de Paris ainsi que de très nombreux centres culturels et scènes nationales dans tous les recoins de l’Hexagone. Le spectacle a aussi tourné aux États-Unis, aux Pays-Bas, en Belgique, au Luxembourg, au Lichtenstein, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Roumanie, en Lituanie, et s’est déplacé jusqu’au Centre des arts du spectacle de Matsumoto au Japon et sa salle de 1 800 places. La tournée se poursuit inlassablement avec le même succès, pour de nouvelles représentations à travers le monde, et en France tout particulièrement.

Machine de cirque
Le spectacle Machine de cirque est le point de départ de l’aventure d’une compagnie qui se déploie depuis huit ans. Nous avons vu ou verrons défiler prochainement d’autres de ses productions en tournée internationale : La Galerie, Ghost Light, Robot infidèle. Enfin, le dernier né, Kintsugi, inaugurera ses avant-premières au Festival de cirque des Îles de la Madeleine pendant l’été 2023 et sera la plus grosse production depuis la naissance de la Compagnie. En parallèle de ces productions, d’autres formats de spectacle tournent au Canada et en Europe : des spectacles sur mesure pour des événements particuliers, des numéros de cabaret souvent joués dans les théâtres de variétés allemands GOP, ou encore des formats itinérants de rue.

Machine de cirque
Vincent Dubé
Artiste de cirque sorti de l’École de cirque de Québec, ingénieur en génie mécanique, Vincent Dubé s’est aventuré dans une diversité d’expériences et de pratiques à travers le monde. Il a multiplié les représentations, autant dans les importantes institutions circassiennes que dans les milieux du showbiz ou les festivals de théâtre de rue. Son art s’est forgé tantôt en participant aux tournées de grands cirques canadiens tels que le Cirque Éos et le Cirque du Soleil, tantôt avec des numéros présentés dans des émissions de télé comme Le plus grand Cabaret du monde, La France à un incroyable talent ou encore d’autres émissions télévisées chinoises. En parallèle, il crée et tourne, depuis ses débuts, des spectacles avec des collectifs comme Les Vitaminés (duo d’acrobates comique touchant à de nombreuses disciplines) ou encore le quatuor de jongleurs de la compagnie Tourisk.

Machine de cirque
Le spectacle et son dispositif
Machine de cirque lie les arts du cirque avec le théâtre, la danse et la musique live, mettant en jeu cinq artistes circassiens pluridisciplinaires de très haut niveau acrobatique et un musicien-inventeur. La scénographie est composée d’un groupement d’agrès, formant dans leur ensemble comme un morceau de ville rescapée. Ce n’est pas un dispositif imaginé a priori mais la résultante de l’écriture collective du spectacle par le groupe d’artistes. Un échafaudage de trois paliers est prétexte à de multiples jeux de déplacements et de décalages. La bascule coréenne disposée en dessous joue le rôle “d’ascenseur” grâce auquel les acrobates sont catapultés aux étages de l’échafaudage. À chaque niveau, des chariots à roulettes assurent un jeu de déplacement à l’horizontale. Cette mécanique verticale et horizontale laisse place à un jeu d’allées et venues quasi mécanique. Deux mâts chinois, surmontés l’un d’un gyrophare et l’autre d’un lampadaire, jouxtent l’échafaudage de part et d’autre, avec à jardin un trapèze disposé entre le mât et l’échafaudage. Des torons de fils électriques servant à l’alimentation de certains appareils scéniques relient les éléments en partie haute, accentuant visuellement le caractère urbain du dispositif. Roues de vélos, quilles et autres bazars bigarrés et difficilement définissables (accessoires de cirque, instruments de musique ou bien objets hybrides) patinent l’ensemble en un décor postapocalyptique. La scène, d’une largeur minimale de 10 m, doit disposer d’une hauteur minimale libre sous perche de 7,50 m afin d’assurer l’ampleur des sauts de bascule. Le dispositif nécessite une implantation très précise du fait de l’interdépendance de la position des agrès et des six points d’accroche des haubans d’une charge d’une tonne chacun. Au sol, la bascule doit autoriser une charge de 500 kg à l’endroit où sont appuyées les quatre pattes de la planche coréenne. À ces emplacements, des étais ont été placés dans les dessous de scène pour reprendre ces charges trop importantes pour le proscenium de la Maison de la danse.

Frédéric Lebrasseur et son instrument-quilles – Photo © Machine de Cirque
La conception des éclairages scéniques, relayée par une installation de quelques 120 sources, a été imaginée par Bruno Matte. Les éclairages prennent en charge la dimension dramaturgique du spectacle avec un travail de couleur par personnage. Aussi, la délimitation des espaces par la lumière est travaillée par la présence d’une machine à brouillard en flux continu. Les faisceaux lumineux pris dans la fumée isolent ainsi par moment les personnages du reste de l’installation.
Au-delà de son rôle purement dramaturgique, le défi de l’éclairage scénique est aussi de répondre à des contraintes techniques inhérentes aux disciplines de cirque. En particulier, l’éclairage du jonglage doit être réalisé depuis le sol vers le haut afin de ne pas éblouir le regard de l’artiste, tout en rendant visible le jeu de quilles aux yeux des spectateurs. Au contraire, le sol doit être clairement visible pour les artistes de bascule avec des repérages précis et un éclairage par le haut.
Le son du spectacle est composé de deux registres interactifs : la musique produite au plateau et la diffusion de sons et bruitages préenregistrés et pilotés depuis la régie. La sonorisation est diffusée en façade mais également dans des enceintes de retours de scène. La captation sonore sur scène est réalisée par le biais de micros HF glissés dans la veste du musicien pour la sonorisation des instruments. Un micro de contact est installé sur la guitare et un microphone type Shure Beta 91a est également intégré dans la grosse caisse pour compléter le dispositif de captation sonore.

Répétitions dans l’église Saint-Charles-de-Limoilou – Photo © Machine de Cirque
Les instruments de musique (percussions et machines-instruments inventées par Frédéric Lebrasseur) constituent une part importante de la scénographie visuelle. Le vocabulaire formel de cirque est détourné pour créer des instruments insolites. Des hélices en quille, des roues de vélos montées sur des petits moteurs d’essuie-glaces 12 V sont reliés à une batterie autonome. Certaines boucles musicales sont déclenchées par le musicien sur scène qui dispose de son propre ordinateur de pilotage alors que depuis la régie sont diffusés des bruitages et des nappes sonores à raison d’environ 250 tops !
Les costumes sont réalisés par Sébastien Dione dans l’idée de patiner et de rendre confortables des vêtements du quotidien grâce à l’ajout de matières élastiques rendant possible une grande amplitude de mouvements.
Rouages logistiques rôdés
L’efficacité du système de tournée est un réel levier de l’essor du spectacle et de la Compagnie. Bruno Matte, créateur lumière du spectacle Machine de cirque et de la plupart des autres productions, occupe désormais le poste de directeur technique. Patrice Guertin, sonorisateur de Machine de cirque, assure aujourd’hui la coordination technique des tournées.
Parmi les compagnies canadiennes que nous voyons tourner en France, nous pouvons citer le Cirque du Soleil, le Cirque Éloize, Les 7 Doigts de la main, FLIP Fabrique et Cirque Alfonse. Toutes ces compagnies ont en commun l’échelle de spectacles de grande envergure et des tournées internationales en flux tendu. La raison de ces échelles de tournée est principalement la résultante d’une forme de sélection naturelle économique, ou du moins de la stricte nécessité de la viabilité financière d’une compagnie au Québec. Concernant la compagnie Machine de Cirque, seulement 20 % de son budget proviennent de subventions. Les 80 % restants sont constitués des recettes de la vente de places. Pour répondre à cette réalité pragmatique, la Compagnie a mis en place un certain nombre de stratégies de tournée. D’abord, le spectacle Machine de cirque est capable d’arriver dans un lieu le matin, de démonter le soir-même et de recommencer le lendemain matin. Le contenu du prémontage et le déroulé du montage sont réglés comme du papier à musique. L’équilibre entre le matériel fourni par la Compagnie et ce qui est fourni par le lieu d’accueil vise une efficacité quant à la compatibilité des équipements. Afin de pallier les importants coûts de transport des décors, un second décor dédié à la tournée européenne a été réalisé et un hangar de décor situé entre la France et le Luxembourg permet le stockage de celui-ci au plus près des sites de tournée. Afin d’avoir la possibilité humaine de poursuivre les tournées en parallèle des nouvelles créations, une deuxième distribution a repris le relais sur les artistes fondateurs. L’équipe de tournée est composée de huit personnes : cinq artistes et trois techniciens dont une régisseuse son et un régisseur lumière. Un régisseur général occupe également le poste de gréeur, responsable des accroches spécifiques aux agrès de cirque. L’équipe de tournée de la Compagnie est complétée par une dizaine de techniciens polyvalents présents dans le lieu d’accueil pour le montage et le démontage des agrès et accessoires. Xavier Bourdeau, régisseur général à la Maison de la danse de Lyon, a précisé l’importance de l’esprit de troupe et le caractère polyvalent des artistes de Machine de cirque qui participent au montage au même titre que l’ensemble du reste de l’équipe.

Élévations du dispositif – Document © Machine de Cirque
Le rayonnement des lieux
Machine de Cirque occupe depuis 2017 l’église Saint-Charles-de-Limoilou, un lieu de création et de diffusion installé dans un monument de taille conséquente, désacralisée comme beaucoup d’églises au Québec. Elle est située au numéro 500 de la 8e Avenue, à 10 minutes à pied de l’École de cirque de Québec, elle-même également implantée dans une église. Le lieu est pensé par la Compagnie comme une plate-forme de brassage multidisciplinaire, mêlant le cirque à tout autre forme d’art, qu’il soit visuel, musical, acrobatique, numérique, … Répétitions, représentations, workshops, rencontres sont proposés dans le lieu. De par la morphologie du bâtiment, la nef de l’église constitue un chapiteau de cirque parfait. Grande hauteur sous plafond, largeur de scène idéale sans interruption structurelle, possibilité d’accroches circassiennes de fortes charges, l’église se prête autant à la technicité qu’à la spiritualité de la création et insuffle un caractère sacré à la représentation.

Plan de feux – Document © Machine de Cirque
Générique pour la tournée de Machine de cirque en France, hiver 2023
- Écriture et mise en scène : Vincent Dubé
- Musique originale, fabrication d’objets musicaux et interprétation musicale : Frédéric Lebrasseur
- Conception lumière et direction technique générale de la Compagnie : Bruno Matte
- Sonorisation et direction technique de tournée : Patrice Guertin
- Conception sonore : René Talbot
- Régie générale de tournée, gréage : Mickaël Asselin
- Éclairage de tournée : Nicolas Tangay
- Ingénieure son de tournée : Laure Vergne
- Costumes : Sébastien Dionne
- Accompagnement scénographique : Josée Bergeron-Proulx, Julie Lévesque, Amélie Trépanier