Des étudiants debout pour le climat
Réveil Culture est un collectif d’étudiant.e.s du campus parisien de l’ICART (école de management culturel et artistique) plaidant pour une accélération de la transition écologique dans la Culture. Depuis 2020, il a réalisé deux études portant sur la sensibilisation des professionnel.le.s et des étudiant.e.s du secteur aux enjeux climatiques et à la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) avec, à chaque fois, des constats similaires : le niveau de formation et de connaissance des personnes sur ces sujets n’est pas à la hauteur des défis environnementaux.

La Nuit du Réveil, Valentina Bressan – Photo DR
“Les futur.e.s professionnel.le.s de la Culture ne sont toujours pas armé.e.s pour faire face aux enjeux climatiques qui nous attendent.” mais il.elle.s souhaitent “être davantage formé.e.s aux enjeux climatiques et énergétiques”, observe Réveil Culture dans la conclusion de sa dernière étude. Ce sondage, portant sur la sensibilisation des étudiant.e.s et des professionnel.le.s du monde de la Culture aux enjeux climatiques et environnementaux, a été réalisé en 2022 auprès de 311 personnes. L’ensemble des résultats était présenté le 25 janvier dernier dans le cadre de la Nuit du Réveil, événement organisé au centre d’art parisien Fluctuart.
Être formé pour agir
Cette “photographie” du secteur offerte par Réveil Culture est nécessairement très partielle mais précieuse, alors que peu d’indicateurs existent sur le niveau de connaissances des acteurs culturels concernant les impacts environnementaux de leurs activités et les sujets liés à l’écoresponsabilité ou à la RSE. “Avant de faire cette étude, nous étions conscients que les personnes n’avaient pas suffisamment de compétences dans ces domaines”, indique Louis Bertho, étudiant en master à l’ICART. “Mettre un coup de projecteur sur ce sujet est une façon d’affirmer qu’être formé c’est se donner les moyens de mettre en œuvre la transition écologique.” Transition qui passe également par le partage d’expériences. Le Collectif a d’ailleurs voulu présenter des initiatives écologiques concrètes portées par des structures et des institutions dans le cadre d’une table ronde organisée avant la restitution du rapport, durant sa Nuit du Réveil. Un moment d’échanges qui a réuni Noé Robin, chargé de développement à la Maison des Métallos et membre du Conseil d’administration de l’association Arviva, et Matthieu Cattoni, co-fondateur du festival Les Pluies de Juillet, mais aussi Valentina Bressan, ancienne déléguée au développement durable de l’Opéra de Paris et fondatrice de l’agence de conseil Farabello, ainsi que Mathieu Boncour, directeur de la RSE au Palais de Tokyo.
Dans le sillage du Shift Project
Réveil Culture est sans doute le symptôme d’un mouvement de fond, alors qu’une partie de la jeunesse s’engage avec force sur ces questions relatives au climat et à l’environnement. Mais son existence relève davantage du projet pédagogique que de l’engagement militant au sens strict. Le projet est né sous l’impulsion de Samuel Valensi qui intervient dans des formations sur le campus parisien de l’ICART. Le metteur en scène et directeur artistique de la compagnie La Poursuite du Bleu est par ailleurs connu pour avoir corédigé le très commenté rapport Décarbonons la Culture ! (2021), pour le think tank de Jean-Marc Jancovici, le Shift Project. “Il y a six ans, j’ai invité Samuel à donner des cours et à faire des interventions, en particulier autour des fresques du climat, afin de partager cet outil dans l’ensemble de nos niveaux”, relate Nicolas Laugero Lasserre, directeur de l’ICART. “Puis, il s’est rapproché du Shift Project et a présenté aux étudiant.e.s le projet Décarbonons la Culture ! Il a pu les faire participer aux études. Le constat fut que non seulement le secteur de la Culture n’était pas suffisamment sensibilisé aux enjeux climatiques mais aussi qu’il était un émetteur important de gaz à effet de serre”, poursuit celui dont l’école accueille mille étudiants par an dans ses établissements de Paris, Bordeaux, Lyon, Lille et qui dispose également d’un site à New York. Cette dynamique a abouti en 2020 à la création d’un collectif informel d’étudiant.e.s de quatrième année, réuni.e.s autour de Samuel Valensi, dans l’objectif de mobiliser étudiant.e.s et professionnel.le.s de la Culture à l’urgence climatique mais également de mieux saisir leur niveau de connaissances et leurs attentes, singulièrement en termes de formation, le tout avec, en toile de fond, une conscience renouvelée de la fragilité du secteur culturel et de son économie. Comme le précise Lucy Decronumbourg, chargée de production pour La Poursuite du Bleu et qui encadre Réveil Culture cette année, “avec le rapport du Shift Project, le constat a été fait que le milieu culturel dépendait beaucoup des énergies fossiles et que, en temps de crise, il est considéré comme non essentiel, comme ce fut le cas durant la pandémie de la Covid-19”.
Le sentiment que le secteur culturel va être contraint d’évoluer dans ce contexte a pu inciter des jeunes à rejoindre Réveil Culture. “Il y a globalement une méconnaissance de l’impact du secteur culturel, au sens large (spectacles, musées, livres, cinéma, musique, jeux vidéo) sur le réchauffement climatique”, estime ainsi Louis Bertho. Comme le suggère le rapport du Shift Project, l’étudiant pense qu’il convient de réfléchir sérieusement à des stratégies de “changements d’échelle”. “Ne soyons pas hypocrites : même si nous sommes engagés, nous aimons tous assister à de grands événements. Mais je pense que nous allons forcément être obligés de faire les choses en plus petit”, poursuit le jeune homme qui souhaite travailler dans le domaine des arts plastiques.

Étude 2022-2023 – Document © Réveil Culture
Méconnaissance des enjeux
Mais, avant même de discuter action et stratégie, encore faut-il que les acteurs culturels puissent partager un même constat : s’appuyer sur un vocabulaire commun et disposer des mêmes outils. Autant d’éléments que Réveil Culture a tenté de mesurer dans le cadre d’une première étude réalisée entre décembre 2020 et janvier 2021 auprès de 126 lieux, écoles, travailleur.se.s indépendant.e.s et acteurs institutionnels de la Culture. L’opération a également compris un sondage effectué auprès de 184 professionnel.le.s et étudiant.e.s. Ce travail conclut notamment que la question environnementale est “complètement absente des budgets des différents acteurs culturels étudiés dans 76,20 % des cas” et pointe aussi une méconnaissance des sujets climatiques chez nombre d’individus interrogés (61 % des personnes interrogées ne connaissent pas le taux annuel de réduction d’émissions de gaz à effet de serre à réaliser d’ici à 2030 pour respecter les accords de Paris).(1) Le rapport souligne par ailleurs que 88 % des sondé.e.s n’ont pas été formé.e.s à la RSE mais que ces mêmes personnes aimeraient l’être.
Les étudiant.e.s de l’ICART et leurs encadrant.e.s ont souhaité voir comment évoluait le contexte au fil du temps, si possible en affinant leurs résultats. D’où la volonté de mener une seconde étude. “En 2022-2023, nous désirions particulièrement affermir l’axe étudiant du sondage, en interrogeant un plus grand nombre de personnes, parfois inscrites dans d’autres écoles ou formation supérieures”, commente Lucy Decronumbourg. Ainsi, environ 150 étudiant.e.s et 150 professionnel.le.s ont été interrogé.e.s entre septembre et décembre 2022. Dans les conclusions de cette deuxième étude, Réveil Culture observe “une légère amélioration” en matière de formation RSE et “une augmentation de près de 7 % en deux ans” du nombre de personnes formées (18,80 % en 2023 contre 12 % en 2021). Pour autant, le constat général fait par le Collectif reste le même : un “manque de formation” mais une “motivation à être formé et des connaissances fondamentales peu approfondies” concernant le climat et les impacts environnementaux du secteur culturel. “Même si de plus en plus d’étudiant.e.s et de professionnel.le.s commencent à être formé.e.s, les choses avancent bien trop lentement par rapport à l’importance des enjeux”, résume Lucy Decronumbourg.

Les étudiant.e.s de Réveil Culture – Photo DR
L’écoresponsabilité
La responsable de production évoque particulièrement un déficit d’informations quant à la hiérarchisation des postes d’émission de carbone dans la Culture. “Par exemple, seulement 33,60 % des étudiant.e.s interrogé.e.s en 2022 ont répondu que le déplacement des publics représente la majorité des émissions de CO2 d’un musée, ce qui est le cas. 35 % d’entre eux.elles ont répondu que la plus grande partie de ces émissions proviendrait du déplacement des œuvres pour les expositions temporaires”, illustre-t-elle.
S’ils ne sont pas majoritairement familiers avec les sujets liés au climat, professionnel.le.s et étudiant.e.s ayant répondu au sondage semblent toutefois avoir intégré le fait que ces questions doivent peser dans les politiques de ressources humaines des structures. La synthèse de l’étude de Réveil Culture note ainsi une “prise en compte globale et croissante des enjeux climatiques et environnementaux par les professionnel·le·s, notamment dans leur recrutement”. À la question : “la connaissance des enjeux énergie-climat est-elle importante pour vous dans votre recrutement actuel ?”, 42,20 % des professionnels répondent oui contre 36,70 % non, et 43,80 % des étudiant.e.s sondé.e.s estiment que ces mêmes enjeux sont un critère comptant dans le cadre d’une recherche de stage ou d’emploi.
Des résultats qui devraient ou pourraient encourager les responsables de formation spécialisés dans la Culture à former davantage leurs effectifs sur ces sujets. Écoresponsabilité et RSE sont encore “trop peu abordées dans les écoles. Même si, depuis la crise de la Covid, la prise de conscience s’est accentuée”, estime de son côté Nicolas Laugero Lasserre. Pour contribuer à accélérer le mouvement à son humble niveau, Réveil Culture pourrait décider, à l’avenir, de s’ouvrir à des étudiant.e.s d’autres campus de l’ICART et, pourquoi pas, à d’autres établissements d’enseignement supérieur.
Notes
(1) Les émissions de gaz à effet de serre doivent culminer avant 2025 au plus tard et diminuer de 43 % d’ici 2030