Recherche-action au service de la transition
Le collectif Les Augures accompagne acteurs et établissements du secteur culturel dans leurs projets de transition écologique depuis trois ans. Militant pour une approche transversale et transdisciplinaire, il porte des initiatives de recherche-action impliquant des professionnels venus d’horizons différents sur un sujet donné. Parmi elles, “Augures Lab Scénogrrrraphie” œuvre à l’élaboration d’une plate-forme numérique destinée à recenser les solutions d’écoscénographie existant sur l’ensemble du territoire national.

Atelier des Augures Lab Scénogrrrraphie au Théâtre de l’Aquarium, en octobre dernier – Photo © Openstructures studio
C’est un collectif qui présage un avenir plus écoresponsable au secteur culturel, à condition de mettre ses acteurs en mouvement ! Créé en 2020 à Paris, Les Augures s’est donné pour mission de fédérer les professionnels des arts plastiques et du spectacle vivant autour des enjeux environnementaux, en les accompagnant dans la transition écologique. Le projet, né de la rencontre entre Laurence Perrillat, ancienne administratrice de la Fondation culturelle des Galeries Lafayette (Lafayette Anticipations) et Sylvie Bétard, cofondatrice de La Réserve des arts (plate-forme francilienne de récupération et de valorisation de déchets au profit de la création artistique). “Laurence s’est intéressée à la façon dont le secteur culturel s’engageait dans la transition écologique. Des choses se passaient du côté du spectacle vivant mais c’était un peu plus compliqué concernant les arts visuels. Elle m’a alors proposé de la rejoindre pour apporter mes compétences en matière d’économie circulaire”, relate Sylvie Bétard.
Accompagner
Les Augures est aujourd’hui animé par quatre femmes (Laurence Perrillat, Sylvie Bétard, Camille Pène, Marguerite Courtel). Le Collectif épaule et conseille une dizaine de structures par an, dans des champs aussi divers que le théâtre, les arts plastiques ou les musiques actuelles. Les accompagnements proposés aux établissements sont également très différents d’une structure à une autre : aide à la mise en place de mesures en termes d’économie circulaire et de réduction des déchets, définitions de stratégies en matière de “numérique responsable”, ateliers de sensibilisation à l’écoconception, audit collaboratif des pratiques écologiques et sociales, … Les Augures peut aussi bien aider un acteur culturel à évaluer ses impacts, à transformer ses pratiques qu’à se former à certaines techniques ou enjeux. “Nous avons d’ailleurs tendance à intégrer la formation avant l’accompagnement. C’est important car tout le monde n’a pas le même niveau de savoir ou d’appréhension des sujets”, souligne Sylvie Bétard. “Nous commençons par aborder les enjeux climatiques parce qu’il est important que tout le monde parle tout de suite le même langage, ait le même vocabulaire, les mêmes références.”
Ce qui n’empêche évidemment pas Les Augures d’intégrer et de valoriser les actions ou dynamiques vertueuses déjà mises en place par les équipes. “Nous ne nous présentons pas en tant qu’experts en expliquant aux personnes comment il faut procéder”, poursuit-elle. “Nous commençons par effectuer un audit pour comprendre ce qui est déjà mis en œuvre et souvent, des bonnes pratiques existent déjà, mais elles ne sont pas forcément valorisées comme telles. Elles sont souvent perçues comme une forme de débrouille face à des finances instables.” Avant de proposer des axes de progression et des plans d’action, Les Augures peut être amené à se pencher avec attention sur le fonctionnement d’une structure. Comme l’illustre Sylvie Bétard : “J’ai par exemple passé un an à accompagner la Cité des sciences pour calculer le coût réel de leurs déchets d’exposition. Nous récoltons des données puis les analysons. Cette phase prend beaucoup de temps”.

Atelier organisé autour de prototypes de châssis innovants, modulaires et réemployables à La Réserve des Arts et au Théâtre de l’Aquarium – Photo © Annabel Vergne
Faire dialoguer
Le Collectif souhaite partager cette expertise mais également contribuer à impulser le développement d’un mouvement collectif et transversal en matière de transition écologique, dans le secteur culturel dans son ensemble. Une perspective qui s’exprime singulièrement dans une volonté de faire dialoguer les métiers. “Nous avons envie de mettre le plus de monde possible autour de la table pour réfléchir ensemble à la réduction des impacts”, détaille Sylvie Bétard. “Notre souhait est de pouvoir provoquer des échanges entre un commissaire et un régisseur, un scénographe et un fabricant, notamment pour favoriser l’écoconception.” Mais Les Augures désire aussi atténuer les frontières qui peuvent exister entre les disciplines artistiques. “Nous venons toutes des arts visuels au départ. Nous aurions pu nous spécialiser dans ce domaine mais notre méthodologie s’applique à tous. Les disciplines peuvent s’inspirer les unes des autres pour avancer ensemble. Par exemple, nous nous rendons compte que des pratiques à l’œuvre dans le domaine musical peuvent s’appliquer aux arts visuels ou que certains châssis de théâtre pourraient être adaptables par des musées pour leurs expositions”, illustre Sylvie Bétard. Cette ambition de fédérer des acteurs culturels autour de la transition écologique et solidaire s’incarne notamment dans des projets de recherche-action lancés par Les Augures. L’un concerne le sujet des impacts du numérique : baptisé “Augures Lab numérique responsable”, il a pour objectif de mettre “la technologie au service de la création, de la Culture et des publics tout en maîtrisant son impact écologique et social” et ce par l’organisation d’échanges, l’expérimentation, le “prototypage”, mais aussi par la formation et la mise en place d’outils d’écoconception au service d’un usage plus sobre des nouvelles technologies, de l’informatique et du multimédia au sein du secteur culturel.
Un projet pilote
L’écoconception, Les Augures l’a également placée au centre d’une seconde initiative pilote : “Augures Lab Scénogrrrraphie” (les quatre “r” renvoyant à ceux des grands principes de l’économie circulaire : “réduire”, “réutiliser”, “réparer”, “recycler”). Coordonné par Annabel Vergne (scénographe et enseignante à l’École des Arts décoratifs de Paris) et Quentin Rioual (artiste, chercheur et enseignant à l’École des Arts décoratifs de Paris), ce laboratoire collaboratif lancé en 2020 revendiquait une cinquantaine d’adhérents en novembre 2022. Parmi eux, des scénographes, travaillant pour des institutions culturelles, des studios ou des agences artistiques, mais aussi des “professionnels du réemploi, artistes, fabricants” ou encore des artisans. Le tout dans “un esprit de mise en concordance et en dialogue des différents métiers d’une création”, expliquaient Annabel Vergne et Quentin Rioual dans un article publié dans le média en ligne AOC, le 4 novembre dernier, et ce de façon à “aborder la transformation nécessaire de nos pratiques en insistant sur l’importance d’imaginer de nouvelles temporalités et économies de création”.(1) Un long travail d’échange, de partage et de réflexion collective a abouti à plusieurs pistes concrètes. “Un groupe de travail s’est penché durant un an sur ce qu’est l’écoscénographie, en se posant de multiples questions : existe-t-il des labels ou des normes adaptées à nos activités ? Existe-t-il des matériaux alternatifs aux matériaux polluants ?”, commente Sylvie Bétard. Puis, “au bout d’un an, nous nous sommes rendus compte qu’il nous fallait disposer d’un outil pour rendre plus facilement accessibles les solutions d’économie circulaire à destination de l’écoscénographie car le principal frein qui s’impose aux acteurs est le temps. Nous sommes souvent contraints d’aller vite et parfois d’opter pour la facilité en allant finalement acheter des matériaux en grande surface de bricolage”.
Plate-forme de géolocalisation
Les animateurs des Augures Lab Scénogrrrraphie ont donc eu l’idée de créer une plate-forme permettant de référencer et de géolocaliser les solutions d’écoscénographies existantes. “Cette plate-forme collaborative permettrait par exemple à une compagnie bretonne qui serait en résidence dans la région toulousaine de pouvoir trouver à proximité l’objet ou le service d’écoscénographie dont elle aurait besoin”, illustre Sylvie Bétard. Un projet pour lequel Les Augures a été désigné lauréat de l’appel à projets “Alternatives vertes”, lancé par le ministère de la Culture en 2021, dans le cadre du PIA4 – Programme d’investissement d’avenir du Plan de relance. “Nous allons bénéficier d’un financement de 350 000 € sur trois ans pour le poste de coordinateur du Lab et pour développer notre plate-forme”, précise-t-elle. Une fonction de coordinatrice qu’occupe Caroline Géral depuis le mois de février. “Mon rôle au sein du Lab est avant tout de faire en sorte que tous les projets avancent dans un calendrier défini, que les informations circulent avec et entre les membres et que tout le monde travaille ensemble. Le poste se situe à mi-chemin entre l’administration et la communication.” Le mouvement semble être en marche, comme l’illustre la coordinatrice du Lab : “Nous avons des rendez-vous mensuels en visioconférence. Dans ce cadre, notre dernière ‘invitée inspirante’, en février, était Aude Cartier, directrice de la Maison des arts de Malakoff, qui a présenté le projet Couper ses fluides”. Le Lab organise aussi des rencontres physiques entre ses membres. La dernière s’est articulée autour d’une “visite des ateliers du Palais de Tokyo, en janvier. Le responsable des régies d’exposition et audiovisuelle du lieu a présenté la politique de réemploi et a abordé le sujet de la standardisation des cimaises”, informe Caroline Géral. Mais les membres du Collectif mettent aussi la main à la pâte dans le cadre d’ateliers pratiques. En octobre 2022, ils ont par exemple pu se pencher sur la conception de prototypes de châssis innovants-modulaires et réemployables à La Réserve des arts et au Théâtre de l’Aquarium.

Atelier organisé autour de prototypes de châssis innovants, modulaires et réemployables à La Réserve des Arts et au Théâtre de l’Aquarium – Photo © Annabel Vergne
Le laboratoire d’écoscénographie travaille en parallèle sur la conception de sa future plate-forme numérique. Il se concentre actuellement sur les éléments qui devront figurer ou non dans sa base de données. Plusieurs types d’entrées thématiques ont déjà été retenus. Celles-ci concernent :
- Les projets “inspirants”, présentés par celles et ceux qui les ont portés, afin de favoriser le partage d’expérience ;
- Les matériaux utilisés par des scénographes, des institutions ou des fabricants, dans une démarche d’écoconception et d’économie circulaire ;
- Les acteurs de la transition proposant des solutions concrètes (spécialistes du réemploi, fabricants de scènes démontables, …) ;
- Les techniques d’assemblage qui permettent de monter et démonter des éléments scénographiques sans les endommager. Cette entrée sera associée à un espace “ressources” référençant les guides et les expériences existants en la matière.
Si tout se passe comme prévu, la plate-forme d’écoscénographie des Augures Lab Scénogrrrraphie pourrait être opérationnelle en 2024. Nul doute qu’elle deviendra un outil incontournable pour les acteurs culturels en quête de solutions et d’inspiration pour engager concrètement leurs métiers et leurs pratiques dans la transition écologique.
Notes
(1). Annabel Vergne, Quentin Rioual, Penser la scénographie dans un monde fini, AOC, 4 novembre 2022