Une réhabilitation en toute élégance
“Le plus grand théâtre de Suisse”, c’est ainsi que nous est présenté le Théâtre de Beaulieu. Il est aussi emblématique que L’Olympia à Paris. Après un chantier de trois ans, le Théâtre a ouvert ses portes en septembre 2022. La salle retrouve, dans le respect du patrimoine, une nouvelle identité architecturale et une scénographie élaborée. Dans une échelle maîtrisée, voici un exemple d’une réhabilitation réussie.
Un lieu emblématique
Le nom du Palais de Beaulieu, construit en 1920, est intimement lié à l’histoire du Comptoir suisse. Ce lieu phare pour la Ville réunissait beaucoup des habitants de Lausanne avec un centre de congrès et des espaces d’exposition sur plus de 100 000 m2 de plancher. Aujourd’hui, le complexe de Beaulieu est toujours composé de différentes fonctions auxquelles se sont ajoutés le Tribunal arbitral du sport, les Halles sportives et le Pôle de nouveaux emplois, ouverts tout récemment. Dès 1949, des études ont été entreprises pour y intégrer une grande salle de spectacle. Le Théâtre de Beaulieu est alors inauguré en 1954 avec une jauge de 1 874 places et une salle de bal de 1 500 places. Conçu par l’architecte Marcel Maillard, la salle de théâtre s’inscrit dans la typologie des plans des théâtres du début du siècle français avec une salle en demi-cercle, une coupole centrale et un grand lustre. Des comédies musicales, concerts et opéras étaient programmés, accueillant aussi le Prix de Lausanne (concours international de jeunes danseurs) puis le Béjart Ballet Lausanne ainsi que l’Orchestre de la Suisse Romande.
Le projet de rénovation du Théâtre a pris forme dans un Palais en plein mutation. En 2018, moment charnière dans la réorganisation générale de la gouvernance du Palais de Beaulieu, le projet est lancé. Le Tribunal arbitral du sport, installé dans les étages supérieurs, avait besoin de davantage de surface et les travaux mettaient en danger toute l’infrastructure technique du Théâtre. “Le projet s’est alors précipité puisque soit nous arrêtions le Théâtre, soit nous trouvions une solution pour lancer ses travaux de rénovation.” L’idée de refaire la salle était latente depuis longtemps. Le Théâtre était vieillissant et ne répondait plus aux exigences artistiques et techniques. Déjà en 2014, un projet de rénovation avait été proposé mais était resté sans suite. L’agence Fehlmann Architectes a eu la mission de cette rénovation. “Un défi”, comme le qualifie Serge Fehlmann qui propose rapidement un avant-projet débattu avec le service du patrimoine de la Ville de Lausanne. “Nous avons trouvé un compromis et un consensus en 2019 ; nous n’avions pas beaucoup de temps pour développer un projet. Nous avons dû aller extrêmement vite et être très réactifs, notamment sur les différents processus du projet. Au sein de Beaulieu, les décideurs avaient envie d’avancer, ce que nous avons pu faire, sereinement et avec un grand professionnalisme de la part de tous. La rénovation va alors prendre une plus grande ampleur.”
Le Théâtre au cœur du Palais
La dimension patrimoniale du bâtiment était primordiale. Pourtant, le Théâtre n’avait pas d’identité au sein du Palais ni même sa propre adresse. “Déjà, en 1954, les façades existaient avant que le Théâtre ne soit aménagé. L’ensemble du bâtiment a été en perpétuelle évolution. Lors de notre intervention, nous avons totalement vidé le bâtiment et avons seulement gardé la carcasse de la salle.” Le Théâtre possède aujourd’hui sa propre entrée, visible directement depuis le parvis. Jusqu’à présent, les spectateurs entraient par l’espace central du Palais pour accéder latéralement à la salle. Les circulations ont été complétement repensées avec un dispositif clair qui structure les espaces publics et artistiques. “Nous avons verticalisé le bâtiment.” Dès l’entrée, deux larges escaliers mènent aux étages. Le lieu s’organise sur quatre niveaux, en rapport avec ceux de la salle, où des bars et des foyers ont été aménagés. Le dernier foyer, situé au poulailler, possède une terrasse panoramique avec vue sur le lac. La taille de ces espaces a été particulièrement bien pensée car ils ne sont pas trop grands malgré le nombre important de spectateurs. “Nous n’avons pas installé de bar au premier niveau, évitant un engorgement à la sortie de la salle. Les spectateurs sont dirigés vers le rez-de-chaussée, ce qui permet davantage de fluidité.”
Le Théâtre partage un espace tampon avec le Palais où la billetterie, le vestiaire et les sanitaires ont été aménagés, résolvant aussi des problèmes phoniques. “Les escaliers monumentaux dans le foyer servent de sortie de secours, ce qui est rare mais nous manquions de place et nous avons pensé à cette solution qui a été acceptée après des simulations d’évacuation incendie. De manière générale, la sécurité a été compliquée à gérer avec le désenfumage qui n’était plus aux normes.”
La nouvelle vie de la salle
La nouvelle pensée de la rénovation de la salle a été possible grâce à une réorganisation de l’arrière-scène. Des circulations existaient derrière la scène mais entravaient sa fonctionnalité. “Sous le Comptoir suisse existait un passage appelé le ‘passage des cantons’ que les entrepreneurs empruntaient pour accéder aux caves. C’était un lieu de rendez-vous très important. En détruisant ce passage clé se trouvant derrière la scène, nous avons revu toute la philosophie de cet espace en le vidant totalement.” Une arrière-scène a été créée, les coulisses et circulations techniques agrandies. Des espaces administratifs et une nouvelle salle de répétition bénéficiant d’un espace extérieur avec une belle vue ont été aménagés. La scène a été mise à plat et le niveau de la scène a été baissé de 20 cm afin d’avoir une hauteur de 1,10 m plutôt que 1,30 m. La courbe de visibilité de la salle a été ainsi revue. Les pieds de gradins ont été augmentés, procurant davantage de confort aux assises, surtout au balcon qui était particulièrement inconfortable. La jauge a été réduite à 1 623 places avec 400 places au balcon. Les deux premiers rangs à l’avant-scène sont rétractables. Le cadre de scène en bois fait 14 m de large sur 7,12 m de hauteur. Il est possible de réduire la jauge en occultant le balcon avec un rideau. La salle est très compacte avec des proportions particulières. À l’image d’un tonneau, elle est aussi profonde que large. Ainsi, malgré sa jauge importante, une impression d’intimité se dégage. “Nous voulions conserver son aspect patrimonial tout en lui donnant une nouvelle identité.” Les parois ont été déposées et les conques de bois cintrées ont été partiellement conservées et remplacées à l’identique mais avec un nouveau calepinage. Le volume des conques cache la sonorisation active et produit un joli mouvement dans la salle tandis que l’éclairage intégré lui procure un rythme vertical. Le balcon en béton armé suit le niveau d’implantation des fauteuils. “Nous avons fait un moule de la courbe du balcon et choisi comme nouvel habillage des barreaux de bois qui suivent un tracé horizontal. La rencontre des deux mouvements donne une jolie ondulation aux balustrades en plâtre.”
Un plafond en conque
La grande réussite de cette salle, et la plus étonnante sans doute, est son nouveau plafond avec une courbe complexe. L’ancien plafond faisait partie des éléments patrimoniaux devant être conservés. Pourtant, l’espace technique au-dessus de 1,20 m était très compliqué à utiliser pour les techniciens. “Le faux plafond était en plâtre. Nous nous sommes rendus compte que les conques du plafond ne tenaient plus et cela a changé l’histoire de la salle. Nous avons revisité le faux plafond en augmentant le volume.” La toiture a été remontée de 1 m et permet l’installation d’espaces techniques dont un faux-gril et des gaines. Profitant de l’opportunité de ce changement, un nouveau plafond a été conçu. “Nous avons tiré au maximum le faux plafond – au cordon – et notamment avec l’acousticien. Une cloche s’installe au-dessus du lustre afin d’optimiser tous les m3 et pour un rendu acoustique le plus homogène possible. Tout a été pensé dans une cohérence d’ensemble. Nous avons fait quinze maquettes avec différentes courbes de niveaux. Composée de milliers de lamelles, une courbe élégante en bois aggloméré OSB est constituée. L’entreprise de menuiserie Schwartz Système – qui avait déjà installé ce matériau dans la salle de concert du Rosey (projet mené avec l’architecte Bernard Tschumi) – a ainsi effectué une mise en œuvre précise.” Le dessous du plafond – où les lamelles en courbe forme une conque à l’image de celle d’un bateau – est aussi impressionnant que le dessus et mériterait d’être visité. Le lustre (auquel les Lausannois.es sont très attaché.e.s) est conservé et davantage mis en scène, comme les appliques qui participent aussi à l’âme de la salle. Le lustre a été restauré avec chaque pièce démontée et remontée. Il est aujourd’hui sur vérin électrique.
Le Théâtre de Beaulieu est un théâtre de diffusion qui retrouve désormais les qualités techniques nécessaires pour toutes sortes de représentations. Florence Favrod, la directrice, explique : “Avec aujourd’hui cent représentations, nous espérons monter en puissance”. Les partenaires historiques sont toujours présents comme le Béjart Ballet Lausanne et le Prix de Lausanne, la saison lausannoise de l’Orchestre de la Suisse Romande ainsi qu’une série de spectacles organisée par Opus One.
Générique
- Maîtrise d’ouvrage : Beaulieu SA
- Maîtrise d’œuvre : Fehlmann Architectes
- Scénographie : Thierry Guignard
- Acoustique : Kahle Acoustics
- Construction : 2019-2022
- Surface brute de plancher : 16 697 m2
- Budget total : 43 m CHF