(LA)HORDE prend d’assaut le CNCS
Le collectif (LA)HORDE s’invite au CNCS (Centre national du costume de scène) à Moulins. Ils sont trois – Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel – à signer les créations de ce collectif qui enchaîne les projets enthousiasmants. De l’exposition dansée We Should Have Never Walk on the Moon aux pièces chorégraphiques Room with a view, leur style s’impose comme une marque de modernité et souffle sur son passage un vent d’air frais sur le monde de la danse contemporaine. Installé à la tête du Ballet national de Marseille, le Collectif hérite du fonds Roland Petit. Énergie singulière, dynamisme, renversement des codes, les costumes demeurent la seule histoire active de l’institution. Danser l’image rend grâce à cette histoire. Conversation avec Mathieu Buard, commissaire.
Atmosphère(s)
Comment la vision d’une direction artistique déploie-t-elle l’identité avec et au-delà de la danse ? Qu’est-ce qu’un ballet contemporain ? De quelle création artistique parlons-nous alors ? Telles sont les premières lignes de l’ouvrage édité à l’occasion de l’exposition Danser l’image. C’est toute la singularité de l’aventure du Ballet national de Marseille créé par Roland Petit en 1972 à la demande de Gaston Defferre, alors maire de Marseille, qui se lit en traversant les espaces de l’exposition. C’est aussi, et surtout, son inspiration et son souffle, de Roland Petit jusqu’à (LA)HORDE en passant par Frédéric Flamand. La belle équipe qui a réfléchi à composer ce vestiaire d’archives ouvertes rassemble – outre la direction artistique de (LA)HORDE autour de Mathieu Buard, Alice Gavin à la création graphique, Julien Peissel à la scénographie et Mathieu Cabanes au design lumière, autant dire la garde rapprochée du Collectif. Et aux premiers pas, nul ne peut l’ignorer. Un néon “WE SHOULD NEVER WALK ON THE MOON”, la musique de Rone, un bruit étouffé de club, des néons suspendus dans l’escalier amenant à la porte du vestiaire. L’archive ouverte, une zone alternative et backstage de l’autre côté du miroir de la scène, expose une somme de vêtements emballés, costumes et accessoires classés par typologies. La scénographie reprend le dispositif des rails mécanisés d’un pressing avec une lumière donnant à voir l’habit pour ce qu’il est. Rentrer par le vestiaire, métonymie d’une archive animée, patrimoine qui se prépare à danser l’image. “Nous avons voulu quelque chose de très immersif ; le mot est aujourd’hui galvaudé alors je dirais que nous avons cherché à créer une atmosphère. Nous ne voulions pas être didactiques mais faire comprendre les statuts du vêtement, de costumes, dans des dimensions différentes. Au départ, l’exposition devait s’appeler Une communauté extatique. En regardant (LA)HORDE, il y a quelque chose d’assez hybride entre la danse, les sports de combat, la cascade, … Nous avons tenté des mises en scène très variées de costumes pour créer un sentiment d’étrangeté.” Entrée en scène inspirée, donc. À jardin, en quittant le vestiaire, une salle obscure, un bar sculptural – dont l’esprit fait penser au casino – où des silhouettes fabriquent l’espace et où nous pouvons entendre des documents d’archives sonores témoignant de la création du Ballet. Pas de chronologie, les époques se font face, les costumes se mélangent. En face, une salle de contrôle diffuse une série de films, fragments des enregistrements passés. Room with a view en répétition, silhouettes (les jumpers de To Da Bone) avachies dans un canapé, … Le décor est planté, les choix et l’écriture de l’espace sont précis, la magie opère.
L’entrée par le(s) geste(s)
Répétitions, sauts, combats, séries dansées et gestes chorégraphiques, héros.ïne.s modernes, muses et meneuses, air du temps et de la mode. Pour renverser le souvent contraignant déroulé chronologique, et eu égard à la nature puissante et radicale des gestes artistiques (Roland Petit, Frédéric Flamand, (LA)HORDE), les vitrines ont été composées par le geste. Répétitions, la première vitrine est la reproduction d’un tableau de danse de Notre-Dame de Paris dans une chorégraphie de Roland Petit avec des costumes créés par Yves Saint Laurent. Pourpoint à la Mondrian avec empiècement blanc et bleu ou blanc et skaï noir, tuniques en coton de toutes les couleurs, queue de pie et pantalon en lainage noir, … Les douze mannequins répètent un geste orchestré par un personnage cross over agitant la scène. Avec Sauts, un jeu de passe-muraille donne le sentiment qu’une des silhouettes traverse le mur d’une des vitrines et gagne la suivante. Tutus, robe de cabaret en mousseline rose, galons de paillettes et plumes, robe en tulle blanc recouverte de plumes d’autruche, bustier en satin brodé de strass et de paillettes, panache de plumes, … L’image est légère et dynamique. Avec Combats, tel un tableau fantasque, deux troupes se font face et s’affrontent. Les figures de L’Ange bleu tiennent un corps à corps avec les personnages de Casse-Noisette. “Nous avons fabriqué ce sentiment de mannequinage un peu réaliste avec les étudiant.e.s de l’École Duperré. Ils ont fabriqué les structures et les corps pour les sauts, et pour la scène des accessoires et des mains. Une vitrine, reprise d’une scène de film réalisée en drone lors d’un concert, scène de liesse où Ophélie circulait dans un bateau, a été l’objet d’une reconstitution.” C’est déroutant et très beau. Cimetière vivant d’accessoires en tout genre, canot pneumatique, belle lumière, scénographie soignée, cette proposition, au moment où elle apparaît, est réjouissante. “Il s’agissait de montrer la profusion et la question de l’énergie ornementale que le ballet porte aussi par le biais de ces costumes. La vitrine devient écran.”
Inspiration(s)
Yves Saint Laurent, Hockney, Keith Harring, Rone, le Ballet national de Marseille s’est illustré dans des collaborations fertiles avec des artistes de haut vol. Si la tentation a été grande pour créer du dynamisme, il n’a pas été possible, dans le cadre de l’exposition, de passer du côté du stylisme et de mélanger les costumes les uns avec les autres. Usual suspects : identité, figure & style de vies est dédiée aux créations d’entertainment de Roland Petit. À la manière d’une scène cinématographique entre cabaret et interrogatoire de police, les silhouettes d’Hollywood Paradise, du Show de Zizi, reprennent les rôles stéréotypés (marins, bateleurs, policiers, danseurs, …). Dans la vitrine Prêt-à-porter, Gianni Forever, s’agrègent les représentations sportwear en prise avec l’air du temps ; les mannequins portent des masques 3D des danseurs de (LA)HORDE sublimés sur une étoffe synthétique et conçus par Armand Croisonnier et Marius Perraud, anciens étudiants de l’École Duperré. “Nous n’avons pas été autorisés à faire du stylisme mais il était très intéressant d’être confrontés à cette question et, d’une certaine manière, nous y avons répondu autrement. Si nous ne pouvions pas mélanger les costumes, nous pouvions les faire dialoguer, discuter les uns avec les autres. Discuter peut vouloir dire se bastonner ! C’est ainsi qu’est née la vitrine nommée Combats ! Il y a un anachronisme lynchéen dans la friction et nous retrouvons des espèces d’apparition de personnages. Cette première salle, un peu atmosphérique, où nous avons une vue sur le spectacle Room with a view, est un bel exemple d’expression pour les collaborations artistiques.” L’éditorialisation du bel ouvrage qui comprend des documents exemplaires a été conçue en parallèle de l’exposition, permettant un aller-retour entre les deux. Complémentaires, les deux espaces de parole sont remarquables. La dernière salle, toujours attendue, vient clore l’exposition. La reprise des lettres en néon “WE SHOULD NEVER WALK ON THE MOON” cueille le visiteur avec une trentaine de pièces et une scénographie immersive. Le vêtement et le costume pour faire société, nous terminons la visite avec cette conviction que l’habit est politique et qu’il s’agit bien là d’une des plus passionnantes expositions qui ait vu le jour au CNCS. Un dialogue subtil entre patrimoine et création, un souffle de vie, du mouvement, un vrai regard sur l’art, sur le monde, sur la danse, sur la société. Témoin précieux de ce dialogue, la sublime série photographique d’Harley Weir dont une des photos a servi à illustrer l’ouvrage, où les costumes historiques ont été supports à des mises en scène contemporaines. Impeccable. Un immense bravo.