Los Años (Les Années)

Le futur regarde le présent

Toutes les photos sont de © Isabel Machado Rios

Quel regard sera porté depuis le futur sur les utopies de notre époque ? La pièce Los Años (Les Années), écrite et mise en scène par Mariano Pensotti, dans une scénographie de Mariana Tirantte, nous parle du temps qui passe, dans la ville de Buenos Aires et d’une maison à trente années d’intervalle. L’année 2020 et l’année 2050 sont présentes simultanément à travers deux maisons côte à côte sur scène. Nous glissons d’une année à l’autre, dans un rythme rapide caractérisant le déroulement de la pièce. Nous comprenons ce qui se passe aujourd’hui avec la vision du futur.

La création à partir de la scéno

Auteur et metteur en scène argentin, Mariano Pensotti a fondé le Grupo Marea avec la scénographe Mariana Tirantte, le musicien Diego Vainer et la productrice Florencia Wasser. Il avait présenté en 2013 El pasado es un animal grotesco et Cineastas au Festival d’Automne, développant ainsi ses recherches sur les frontières entre réalité et fiction, où la notion du temps prend toujours une dimension importante.

Mariana Tirantte a fait ses études aux Beaux-Arts Ernesto de la Cárcova à Buenos Aires, section scénographie, et a collaboré avec plusieurs metteurs en scène sur des productions internationales. Elle explique : “Notre démarche est particulière puisque nous partons toujours de la scène. Nous travaillons aussi dans des sites spécifiques ou dans l’espace public. Mariano est auteur. Lorsque le thème est trouvé et que nous savons ce que nous voulons raconter, nous réfléchissons en espace. Dès la première idée, la pièce est pensée dans sa scénographie”. Ce à quoi répond Mariano Pensotti : “C’est l’un des premiers éléments que nous envisageons. Les scénographies de Mariana Tirantte sont bien plus que des décors, ce sont de véritables dispositifs narratifs sans lesquels je ne pourrais pas raconter des histoires comme je le fais”.

La compagnie profite des coproductions internationales pour proposer des projets plus importants. “Dès le départ, je réfléchis aux déplacements de mon décor et aux tournées. Quand la pièce est coproduite et présentée en Europe, le décor est construit en Europe. C’est le cas de celui de Los Años, produit au Münchner Kammerspiele à Munich, et qui partira en bateau en Argentine. Mais il nous arrive aussi de reconstruire le décor en Argentine si financièrement c’est plus intéressant.

Une dystopie à travers une quête

C’est l’histoire d’un groupe d’amis parmi lesquels Manuel, que nous voyons à trente ans puis soixante ans. Dans ce double récit familial, la fille de Manuel raconte notre époque depuis le futur. Pour Mariano Pensotti, “l’œuvre est donc en permanence dans la tension entre ce qui est et ce qui sera”. Manuel est architecte. En 2020, il réalise un documentaire sur l’influence des bâtiments européens dont Le Corbusier à Buenos Aires qui, au début du XXe siècle, a eu la volonté de devenir une copie européenne. Il rencontre un garçon abandonné dans les rues de la capitale et décide de réaliser un documentaire sur lui, qui deviendra un succès. Après trente ans passés en Allemagne, il retourne à Buenos Aires avec l’intention de le retrouver et de réaliser un second documentaire sur lui. En 2050, les idéaux du père architecte sont mis à mal et renvoyés en miroir par sa fille de trente ans qui se raconte depuis un futur où tout a changé dans la Ville. Sous l’influence des écologistes, la Ville est envahie par la végétation et les animaux sauvages. Les Hollandais se sont réfugiés en Amérique latine après la submersion de leur pays, le parti au pouvoir est favorable à un rattachement de l’Argentine à l’Espagne. Et néanmoins, une vision optimiste raconte que les festivals de cinéma et les réseaux sociaux ont disparu car les gens, fatigués des écrans, veulent du vivant et les théâtres sont à nouveau plein.

La ville, support d’une utopie déçue

L’architecture et la ville sont des éléments dramaturgiques de la pièce. Les lieux sont identifiés et construits dans un aspect réaliste. La ville n’est pas qu’un fond de décor mais le support d’une quête, idéaliste dans le futur mais dégradée dans sa réalité. L’errance de l’architecte dans cet urbanisme désolant en témoigne, notamment à travers la référence à deux quartiers où la construction urbaine s’est révélée être un échec : celui de Lugano où vit le jeune garçon est constitué de logements ouvriers dans une architecture fonctionnaliste des années 60’ qui est aujourd’hui dans un état de semi-abandon et dégradé à cause des crises économiques. Le deuxième est la République des enfants (República de los Niños), un parc à thème construit par Eva Perone comme une ville idéale pour les enfants et qui ne correspond plus à son idée originale. L’évolution de la ville renvoie donc au thème principal de la pièce qui est le rapport au temps et, surtout, aux utopies de jeunesse déformées dans l’avenir. Le documentaire des années 2020 représentait déjà la ville dégradée et ce décalage. “Nous sommes la somme de ce que nous inventons sur notre passé, puisque nous le modifions un peu à chaque fois que nous le racontons, et de ce que nous imaginons sur notre avenir, que nous essayons de créer dans la mesure de nos possibilités.

Le temps passe, l’architecture reste

Comment raconter l’évolution d’une ville en trente ans sur une scène ? La scénographie – point central de cette narration – permet la représentation de la simultanéité du récit à deux époques. Mariana Tirantte explique : “Nous avions besoin de ce parallélisme entre 2020 et 2050, et ceci nous a aidés à imaginer comment circuler d’une époque à l’autre”. Deux temporalités sont alors présentes en même temps sur scène. Tout d’abord à jardin, un pianiste accompagne en direct le récit. Deux maisons similaires sont installées sur scène, côte à côte, représentant deux époques différentes. Vue en coupe, elles sont constituées d’un rez-de-chaussée et d’une chambre à l’étage, d’un escalier étroit en façade et d’une cuisine à l’arrière. Le deuxième étage donne davantage de dynamique à l’espace de jeu et au corps de l’acteur, notamment à cause de la dimension peu large du dispositif. Les deux modules de 6 m de haut mesurent 3,810 m x 2,499 m (4,60 m de longueur avec la terrasse). La structure est la même, la décoration aussi, mais quelques détails comme la vaisselle, les luminaires, les rideaux et la climatisation changent. À l’étage supérieure, un tulle en façade devient le support de l’écran de projection. “Je souhaitais que les films fassent partie intégrante de leurs vies. Donc, à chaque fois que le documentaire est évoqué, il fait partie de la maison. Ce n’est pas un écran de projection mais quelque chose qui est intégré dans leurs vies. Quand j’imaginais ces deux maisons, j’avais envie qu’elles ressemblent à des maquettes, plutôt à des maisons de poupée avec lesquelles la narratrice (la fille de Manuel) joue, tout en étant dedans et dehors. À l’image d’un jouet, je les ai voulues très colorées et joyeuses alors que je conçois davantage des scénographies dans des couleurs grises et blanches.” C’est comme si la fille/narratrice jouait en déplaçant les mobiliers et les acteurs. Elle observe comme elle aurait regardé deux maisons de poupée. Les deux maisons sont séparées par un vide de 25 cm “parce que ce ne sont pas deux maisons mais bien la même. Il fallait les séparer pour bien montrer que ce sont deux éléments disjoints. L’espace entre les deux permet aux acteurs de sauter d’une époque à l’autre, rendant le déroulement plus dynamique. C’était la bonne distance pour donner cette impulsion et, en même temps, ne pas être dangereux”. Ce vide permet aussi le pivotement des modules. Posées sur des roulettes, les deux maisons recomposent l’espace. Pour représenter l’espace public, les modules tournent et créent un mur plein en continu qui devient aussi un autre support de projection. “La première tendance de vouloir tout le temps faire bouger les maisons a été très vite abandonnée puisque cela n’avait pas de sens ! Quand les maisons bougent c’est pour changer le point de vue.

Maquette - Photo © Mariana Tirantte et Mariano Pensotti

Maquette – Photo © Mariana Tirantte et Mariano Pensotti

Mariana Tirantte conclut : “J’admire l’écriture de Mariano Pensotti, son obsession du temps et comment le traiter dans une pièce de théâtre. C’est une analyse très profonde avec beaucoup de poésie. Il doit toujours avoir l’image de la scénographie quand il écrit. Les éléments ne sont pas séparés, nous pensons le projet dans son ensemble et travaillons ensemble. Dans ce processus de travail, tout est connecté”.

Maquette - Photo © Mariana Tirantte et Mariano Pensotti

Maquette – Photo © Mariana Tirantte et Mariano Pensotti

 

Générique

Los Años (Les Années)

  • Texte et mise en scène : Mariano Pensotti – Collectif Grupo Marea
  • Scénographie et costumes : Mariana Tirantte
  • Lumière : David Seldes
  • Création musique : Diego Vainer
  • Vidéo : Martin Borini
  • Son : Ernesto Fara
  • Dramaturgie : Aljoscha Begrich et Martin Valdés-Stauber (Münchner Kammerspiele)
  • Chorégraphie : Luciana Acuña
  • Assistant mise en scène et assistant plateau : Juan Reato
  • Production : Florencia Wasser
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