Spectacle en immer’son

Toutes les photos sont de © Bruno Suner

L'Étourdissement - Photo © Alban Lécuyer

L’Étourdissement – Photo © Alban Lécuyer

L’immersion sonore s’invite de plus en plus fréquemment dans le spectacle vivant, au théâtre. Les leaders du marché de la sonorisation se sont dotés, pour la plupart, d’une offre de processeurs dédiés, allant jusqu’à mettre sur le marché des enceintes développées spécifiquement pour ce marché émergent. Une offre logicielle permet aussi de s’autonomiser en embarquant sur ordinateur portable le traitement des signaux pour des configurations modulables à l’infini, ajoutant à tout cela une offre de formation croissante. Comment transporter une création sonore immersive du studio au plateau, d’une configuration d’enceintes à une autre ? La prise de repères sur une écoute binaurale au casque proposée suffit-elle pour anticiper les adaptations aux différents lieux de diffusion en tournée ? Nous avons sondé quelques-uns des régisseurs son les plus chevronnés dans ce domaine à l’occasion d’une rencontre organisée à Nantes au printemps en partenariat avec les Éditions AS.

Le temps de l’exploration

Florian Chauvet a adopté le logiciel Spat Revolution (Flux::) dans sa version la plus complète pour la création autant que pour la diffusion en tournée. Il a inauguré en mai dernier le studio de la Fab’Sonic au sein de Trempolino à Nantes avec ses complices Jérôme Boudeau et Christophe Sartori. La mise en œuvre de ce studio optimisé pour l’audio spatialisé sur vingt-quatre canaux parachève un travail d’exploration et de formation que Florian a consolidé sur la plupart des systèmes disponibles. La Fab’Sonic ambitionne d’offrir un lieu d’écoute optimisé au plus grand nombre, qu’ils viennent du cirque, de la danse, du théâtre, de l’art contemporain, de la musique, de l’événementiel ou de la muséographie pour y explorer le potentiel scénographique et d’écriture du son spatialisé jusqu’à la diffusion.

Un pied dans la formation, Florian a pu ménager ces temps d’exploration et de recherche qui ont nourri le spectacle L’Étourdissement (mise en scène de Cathy Castelbon). Adapté du roman éponyme de Joël Egloff, la création de ce spectacle s’est amorcée dans le cadre d’un travail pédagogique au sein du DMA Lumière et Son à Nantes. Consolidé par une résidence avec la compagnie Le Théâtre Cabines au Quatrain à Haute-Goulaine, le son spatialisé s’y est imposé, dans un premier temps, pour accroître l’intelligibilité des dialogues alternés ou en recouvrement avec des séquences musicalisées jouées en direct par un comédien, le tout baignant dans un environnement sonore parfois envahissant.

L’Étourdissement, répétitions

L’Étourdissement, répétitions

Cette satire sombre du quotidien sordide de deux travailleurs des abattoirs se peuple des chocs sourds des carcasses débitées. Aux confins périurbains de la zone, elle interroge notre capacité à vivre dans un univers saturé de pollution jusqu’à l’absurde. Entre déchetterie, lignes à haute tension, station d’épuration, le tableau des nuisances se complète avec le passage oppressant des avions en survol. Les éclats lointains des aboiements ponctuent le trajet du retour au foyer à bicyclette. Les ambiances sonores plus feutrées et confinées s’y installent. La conduite sonore déploie ainsi une riche palette qui dilate l’espace par contraste avec une scénographie resserrée sur les trois comédiens manœuvrant à vue des éléments de décor/accessoires. “Je ne supporte pas d’entendre des voix accrochées au manteau de scène sur deux clusters espacés de 18 m. La WFS (synthèse de front d’onde) s’est imposée comme une évidence pour accroître la mise en cohérence auditive et visuelle”, plaide Florian Chauvet. Cependant, il s’était donné pour défi de partir du parc d’enceintes banalisées mobilisable dans les lieux d’accueil, le tout piloté par le logiciel Spat Revolution : “Il y a toujours une petite dizaine d’enceintes qui traîne, quitte à la compléter par la location. Reprises par des micros HF, les voix sont en place avec une efficacité redoutable de localisation. Sur ce plan c’est gagné ! Le gain en confort d’écoute est redoutable. Il reste à faciliter le process d’équilibrage et de correction de timbres pour compenser l’hétérogénéité d’un parc disponible”. Il est nécessaire de pointer également le gain d’uniformisation de la couverture de l’auditoire affranchi du fameux sweet spot.(1)

L’Étourdissement, la régie son

L’Étourdissement, la régie son

Suivi de trajectoire

La configuration de diffusion sonore de L’Étourdissement s’est finalisée au printemps 2022 pour la dernière représentation à ONYX (Saint-Herblain). La salle – réouverte après une série de travaux portant notamment sur le système de sonorisation – déployait six enceintes Nexo PS10 disposées à la face au manteau complétées par une rampe de sept enceintes compactes Nexo ID24 en nez-de-scène (front fill) et deux jeux de quatre enceintes PS10 en latéral.

Pour sécuriser sa régie, Florian mobilise deux ordinateurs : le premier exploite le logiciel modulaire USINE, pour les gestions des flux, le séquençage de la conduite audio et le rappel des configurations (snap shot) ; le second assure avec Spat Revolution les effets de spatialisation et le matriçage du décodage pour l’immersion sonore. La représentation à ONYX mobilisait un nouvel élément dans la chaîne : l’automatisation du suivi de mouvement des comédiens à l’aide du système développé par Naostage.

Le système Naostage - Photo © La Fab’Sonic

Le système Naostage – Photo © La Fab’Sonic

Pour assurer les échanges de données, un réseau sécurisé autonome de l’équipement d’accueil est mis en place sur un switch Ethernet PoE alimentant les différents équipements. “Pas question d’utiliser le WiFi trop instable !” La carte son RME Digiface assure l’interfaçage avec le réseau Dante qui transporte l’audio au sein de l’installation. Le protocole MADI est également mobilisé pour s’interfacer avec la console DiGiCo SD8.

Le repérage des positions automatisé en temps réel par le système Naostage s’opère par le canal de messages transportés par l’OSC directement interprétés par Spat Revolution. Deux capteurs Kapta à cour et au proscenium assuraient le suivi automatique des comédiens par reconnaissance de forme. Après quelques tâtonnements pour raccorder le système de coordonnées des deux environnements en origine et en amplitude de déplacement, le système assure un suivi globalement précis. Il faut toutefois reprendre quelques fois la main sur les entrées/sorties au plateau pour réassigner les comédiens “ciblés”. La technologie, utilisant le registre infrarouge pour capter la signature thermique des artistes, se trouve prise subitement en défaut lorsque l’un d’eux endosse son tablier de découpe en cotte de maille. Ces anicroches contribuent à rendre plus robustes les détections puisque le logiciel s’appuie sur le deep learning (ou apprentissage profond) pour consolider ses algorithmes.

L’Étourdissement, synoptique. Les sources - Document © La Fab’Sonic

L’Étourdissement, synoptique. Les sources – Document © La Fab’Sonic

Du studio au plateau

La transplantation de la création d’un studio pleinement adapté à l’écoute immersive comme la Fab’Sonic au plateau se trouve ici d’autant facilitée qu’elle mobilise le même environnement logiciel ; à quelques réserves près sur les mises à l’échelle à opérer et le contrôle des trajectoires d’une configuration de sonorisation à l’autre.  Cette continuité est également recherchée par Amadeus qui propose désormais une version standalone native de son système Holophonix limité en canaux de sortie à seize voies mais allant jusqu’à 128 sources virtuelles. Elle offre une passerelle avec le protocole ADM via l’OSC tout comme la plupart des systèmes concurrents. Cette norme, édictée par l’EBU et plutôt destinée à constituer un format de sauvegarde de mixage dit objet qui s’affranchit du système employé pour la diffusion en nombre ou position d’enceintes, semble s’imposer comme le “MIDI” du son immersif. Elle préfigure une interopérabilité attendue entre les systèmes. Ainsi, il est possible d’exploiter le logiciel d’écriture de trajectoires Spacemap Go proposé gratuitement par Meyer Sound pour piloter Spat Revolution.

L’Étourdissement, synoptique. Les sources - Document © La Fab’Sonic

L’Étourdissement, synoptique. Les sources – Document © La Fab’Sonic

D’autres promoteurs de logiciels en diffusion libre conçus à partir d’une pratique de régie son comme Axoa, développé par François Weber, ou WFS DIY par Pierre-Olivier Boulant, campent vent debout contre une normalisation jugée réductrice. Pierre-Olivier pointe par exemple la surcharge des réseaux en informations de localisation via le protocole ADM-OSC là où le codage d’un mouvement de source virtuelle peut s’opérer plus simplement via une commande de départ et d’arrivée associée à une vitesse qui reste modulable via un potentiomètre par exemple. Tous deux plaident pour un travail d’écoute et de création au plateau, immergé dans la configuration adoptée pour la production. Il faudra ménager ici un temps de répétition adapté à ce travail d’écriture qui attend encore son solfège, ou du moins une sorte de grammaire partagée. L’ouvrage Vocabulaire de l’espace en musiques électroacoustique, parrainé par l’AFIM(2), tentait d’apporter, en 2006, une première ébauche. Néanmoins, ce positionnement tranché s’appuie sur une pratique approfondie de la sonorisation en WFS que Pierre-Olivier Boulant partage lors de formations relayées désormais par plusieurs organismes.

Régie WFS DiY - Photo © Pierre-Olivier Boulant

Régie WFS DiY – Photo © Pierre-Olivier Boulant

Axoa - Document © François Weber

Axoa – Document © François Weber

Notes

(1)   Zone d’écoute idéale théoriquement identique à celle du mixer

(2)   Association française d’informatique musicale, ouvrage paru aux Éditions Delatour

Formations au son spatialisé

La Filière – CFPTS
  • Coordinateur : Sébastien Noly
  • www.cfpts.com
  • Pionnier dans l’offre de formation pour la spatialisation du son, La Filière – CFPTS continue de proposer un stage comportant un tronc commun de trois jours pour asseoir les bases théoriques, complété par la mise en œuvre sur un même lieu et une même installation de sonorisation de différents systèmes (Soundscape, L-Isa, Adamson Fletcher Machine, AFC Yamaha). La formation se poursuit par des travaux pratiques sur la prise de son et la sonorisation pour se clôturer par la présentation des logiciels natifs. En 2022, deux modules de formation centrés sur les systèmes L-Isa (L-Acoustics) et Soundscape (d&b audiotechnik), en partenariat avec les constructeurs, proposent en complément une approche métier de ces outils en accord avec la philosophie de La Filière – CFPTS.
ENSATT
  • La formation en niveau Master aborde le son spatialisé comme partie intégrante de la pédagogie depuis de nombreuses années, tant dans les techniques de prise de son immersive que dans le traitement du signal audio et la diffusion (WFS, ambisonie) à partir notamment de l’outil Axoa développé par François Weber.
Whiti Audio
  • Animé par Terence Briand, le pôle formation de Whiti Audio, en partenariat avec différents acteurs, propose un parcours complet à commencer par deux sessions portées par Jean-Marc Duchêne, adepte de longue date de la multiphonie au service de laquelle il a développé moult plug-ins. Il propose un environnement pour la création sonore spatialisée après un premier parcours sur fondement d’une solide culture musicale des pionniers de la création contemporaine. Les autres modules de formations (Spat Revolution, L-Isa) s’appuient sur les intervenants des différents fournisseurs.
  • https://formation.whitiaudio.fr/
Plate-forme MAS (Musique audio sons) au LMA (Laboratoire de mécanique et d’acoustique) / TripinLab
  • Au sein de la cellule MAS DU LMA à Marseille équipée d’un lieu d’écoute immersif dédié, Maxence Mercier et Amélie Nilles proposent des formations s’appuyant sur l’outil d’écriture de trajectoires Sound Trajectory (développé par Maxence Mercier) et Spat Revolution
  • www.tripinlab.com/formation/
  • https://mas-lma.cnrs.fr/author/maxence/
Pierre-Olivier Boulant
  • Il propose des formations sur-mesure en déployant un système de sonorisation complet dans le lieu d’accueil piloté par ses patchs MAX/MSP et explorant progressivement les apports de la WFS dans l’écriture du son spatialisé. Cette approche permet à des institutions tentées par le déploiement de cette technologie d’éprouver ses potentialités dans leur lieu-même.
  • https://wfs-diy.net
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