Rencontre prévention des risques

Cette année, passons ensemble à l’action

Rencontres prévention des risques - Photo © Paul Bourdrel

Rencontres prévention des risques – Photo © Paul Bourdrel

Lors de cette quatrième édition, les organisateurs de la rencontre prévention des risques dans le spectacle vivant nous proposaient de passer à l’action. Les Nuits de Fourvière et AURA-SV (Auvergne Rhône-Alpes Spectacle Vivant) nous invitaient ainsi à poser la question du “pourquoi” et du “comment”. Un format conférence en matinée et des ateliers de travail l’après-midi pour se mettre immédiatement en mouvement. Une formule qui fonctionne et une rencontre qui rassemble désormais toute la profession. Récit d’une longue journée caniculaire où nous avons appris – entre autres – que Samuel Beckett s’occupait déjà de prévention des risques.

Après l’Opéra de Lyon en 2021, c’est le Musée des Confluences qui, cette année, a gagné les faveurs des organisateurs de cette rencontre. Un écrin splendide de verre et d’acier pour abriter les échanges de la matinée. Ce 17 juin, à 9 h, il fait déjà plus de 25°. Nous nous réfugions rapidement à l’intérieur du bâtiment climatisé en songeant aux températures caniculaires prévues pour l’après-midi. Café en main, nous croisons des visages connus. Toute la profession s’est donnée rendez-vous à Lyon. Pas d’effet “visio” pour cette rencontre. Si les échanges sont diffusés en streaming, nombreux sont ceux qui ont fait le déplacement. La journée se joue d’ailleurs à guichets fermés. Deux cents participants sont annoncés en présentiel et une centaine en distanciel. Interrogée sur ce succès, Claire Fournier, assistante à la direction technique des Nuits de Fourvière répond : “C’est vrai que nous ignorions si les participants feraient l’effort de nous rejoindre. Les webinaires et rencontres professionnelles en streaming sont vraiment rentrés dans les mœurs. Nous avons été rassurés en constatant près d’une centaine d’inscriptions en présentiel dans les deux premières semaines. Les gens ont besoin de se voir, d’échanger et savent que le format de cette rencontre favorise les discussions”. Nicolas Riedel n’a pas tort en disant que les organisateurs peinent à mettre fin aux discussions café croissant et à rassembler les participants dans la salle de conférence. La rencontre débute enfin. Il est temps de s’interroger sur les moteurs de l’action.

Pourquoi je passe à l’action

Pour aborder cette thématique, les organisateurs ont choisi de donner la parole à une professionnelle du secteur. Audrey Sterlingots, directrice technique des Bouffes du Nord, a été formée au management à l’Université Paris Dauphine. En 2020, elle est sollicitée par une grande institution parisienne pour apaiser les tensions dans un service technique. Un management vertical et autoritaire, un manque de clarté dans les responsabilités de chacun et une absence de dialogue sont à déplorer. En mobilisant l’intelligence collective, en redéfinissant les règles et en s’appuyant sur le document unique pour hiérarchiser les urgences, Audrey ramène la sérénité. Premier moteur de l’action : l’accident, le problème majeur, la catastrophe en devenir. Une politique de prévention des risques en mode curatif est mise en œuvre lorsqu’il est trop tard… ou presque trop tard.

Marjorie Poupet Renaud, contrôleuse de sécurité à la CARSAT (Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail), fait le même constat. Nous passons souvent à l’action suite à un accident. Après avoir rappelé que la CARSAT se tient aux côtés des professionnels pour les aider dans le domaine de la prévention (expertise, accompagnement, subvention, …), Marjorie Poupet Renaud rappelle qu’un accident n’est pas neutre financièrement (de 300 € pour un accident sans arrêt de travail à 59 000 € pour une incapacité permanente de 10 %). Elle souligne également que les implications juridiques sont lourdes pour l’entreprise. Pour preuve, elle énumère différentes jurisprudences où l’accident du travail s’est accompagné d’une sanction pénale pour le chef d’entreprise. Elle illustre ainsi un second moteur de l’action : la prévention des risques par peur du gendarme.

Et si la bienveillance et l’attention portée à nos collaborateurs constituaient une troisième raison ? Démonstration avec Pascal Parsat, expert du vivre ensemble pour le groupe Audiens. Il rappelle que 90 % des handicaps sont invisibles. Ainsi, une grande partie des travailleurs porteurs de handicaps masque ses troubles. Un silence qui ne pourra être dépassé qu’en “faisant profession”. Il appelle à envoyer des signaux très favorables en faveur de toutes les différences ; la diversité n’est pas un frein à l’efficacité, bien au contraire.

À ce titre, Sabine Danquigny, directrice de l’agence Pôle emploi Scènes et Images Auvergne-Rhône-Alpes, fait état d’une plate-forme d’accompagnement des professionnels qui rencontrent un accident de parcours.

Accident, peur de la sanction, bienveillance, … Pourrions-nous trouver un quatrième moteur à l’action ? Jérôme Bertin, chargé de mission à l’ARACT (Agence régionale de l’amélioration des conditions de travail), ose parler de performance : “Non, ce n’est pas un gros mot”. Performance économique, sociale ou organisationnelle, parler de prévention des risques, c’est d’abord questionner le travail et les conditions de sa réalisation. Il s’agit de s’interroger sur les facteurs qui permettent l’activité et ceux qui l’empêchent. Une réflexion collective donnant la possibilité à tous les acteurs de dialoguer et collaborer efficacement. Une maturité managériale qui permet le lever de rideau dans de bonnes conditions… et pas à n’importe quel prix. La prévention des risques est donc facteur de performance. Voilà une motivation plus stimulante que la peur du gendarme. Mais concrètement, comment fait-on ?

Rencontres prévention des risques - Photo © Paul Bourdrel

Rencontres prévention des risques – Photo © Paul Bourdrel

Comment je passe à l’action

Joseph André, directeur technique de la Cité musicale-Metz, est un habitué des rencontres Réditec et des journées professionnelles sur la prévention des risques. Il est vrai que sa posture et ses réalisations en matière de santé au travail sont remarquables. Il ouvre cette seconde table ronde à coup de punchlines : “La prévention des risques c’est du bon sens” ; “le DUERP (Document unique d’évaluation des risques professionnels) est une œuvre collective” ; “la prévention, c’est au quotidien”, … Joseph André livre ses conseils avec passion et conviction : réfléchir au travail en équipe, adapter ses outils de prévention pour chaque spectacle, responsabiliser tous les collaborateurs, travailler en réseau, ne pas hésiter à faire appel à des experts et, enfin, toujours se montrer courageux.

Puis arrivent au micro Claire Guillemain, directrice de Thalie Santé (ex-CMB) et Jean-Robert Steinmann, directeur de l’AST Grand Lyon, présentant des outils en devenir qui permettront aux salariés de mieux appréhender les logiques de prévention. Thalie et l’AST viennent en effet de signer une convention afin de muscler leur partenariat. Demain, un “kit” permettra aux salariés de suivre des webinaires et de valider les modules d’un “passeport prévention”. Thalie et l’AST cherchent à sortir de la conformité et à aller vers l’action. Ne pas pousser les entreprises à élaborer des documents vides de sens mais, au contraire, les aider à développer la qualité de vie au travail et traquer les risques psychosociaux.

L’AFDAS, de son côté, permet aux professionnels du spectacle de passer à l’action grâce à plusieurs leviers, dont la formation et l’accompagnement. En effet, les formations en management se développent et la prévention ne se résume plus à un stage geste et posture. Agnès Giangrande, directrice adjointe développement et réseau pour l’AFDAS, présente par ailleurs les appuis-conseils, de formidables outils permettant aux entreprises de la branche de bénéficier de l’accompagnement d’un consultant pendant cinq jours. Un vrai boost pour mettre en œuvre une politique de prévention.

Ce coup de pouce, le secteur en a cruellement besoin à en croire Yann Hilaire, responsable des projets pour Thalie Santé. Pour lui, 12 % des entreprises du spectacle s’appuient sur une culture de la prévention. Pour accélérer le mouvement, l’accès à l’information est essentiel : faire connaître l’offre des services de santé et donner une lisibilité sur les financements. Sur ce dernier point, Jean-Jacques Monier, directeur technique du TNS et président de Réditec, souligne que le financement est parfois un faux problème : “Réfléchir collectivement à l’organisation du travail ne coûte rien”.

La conclusion de la table ronde revient à Jérôme Bertin. Si un levier pour passer à l’action devait être retenu, quel serait-il ? Pour le chargé de mission de l’ARACT, il s’agirait du réseau. Les bonnes pratiques se transmettent entre pairs. Ces échanges essentiels permettent de se débarrasser des représentations, de discuter de la manière de réaliser le travail ou d’avoir le courage de rompre l’omerta qui existe encore dans notre secteur. La prévention progressera nécessairement lorsque le “non” deviendra plus fréquent : “Non, je ne prendrai pas ce risque” ; “non, je refuse de travailler dans ces conditions”, “non, je n’accepterai pas ce contrat”, …

Affiche INRS - Dessin © Chadebec

Affiche INRS – Dessin © Chadebec

IMPRO-Spectacle

Avec ces deux tables rondes, nous mesurons aisément l’immense chemin à parcourir pour que le secteur d’activité s’empare de la culture de la prévention. Le projet IMPRO-Spectacle, présenté par Claire Fournier et Nicolas Riedel, directeur d’AURA-SV, a l’ambition d’impulser le mouvement. Le mouvement, c’est d’ailleurs ce qui se cache derrière les acronymes de ce projet : Impulser le mouvement pour la prévention des risques dans les organisations du spectacle. Jolie trouvaille ! Un projet de trois ans financé par l’ANACT (Agence nationale d’amélioration des conditions de travail), la DREETS (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) – anciennement DIRECCTE – et l’AFDAS. Durant ces trois années, huit entreprises du secteur seront accompagnées par des consultants sur des thématiques liées à l’organisation du travail, au management et à la prévention des risques. Trois ans d’accompagnement qui permettront d’identifier les bonnes pratiques, les freins, les outils adaptés au monde du spectacle. Les organisateurs du projet souhaitent capitaliser et diffuser ces informations pour que le plus grand nombre en profite. Nicolas Riedel explique : “Ce projet est une aventure collective. Nous allons sans doute apprendre beaucoup pendant ces trois années. Ce 17 juin, nous avons lancé un appel à candidatures et espérons qu’il sera entendu. Nous commencerons à travailler avec les entreprises sélectionnées à compter de cet automne et espérons pouvoir présenter les premiers enseignements de nos travaux lors de la rencontre prévention des risques 2023”. Claire Fournier ajoute par ailleurs que le site prevention-spectacle.fr sera le relais naturel de ce projet.

Direction Fourvière

Fin des tables rondes. Les participants quittent l’air climatisé du Musée pour s’engouffrer dans deux grands bus. Direction Fourvière où une douzaine d’ateliers attend les participants : document unique, plan de prévention, gestion du risque sonore, régulation de la charge de travail, prise en compte de la QVCT (Qualité des conditions de vie au travail), lutte contre les violences et le harcèlement sexiste et sexuel, inclusions, dialogue, … Chaque organisation du spectacle – de la plus petite à la plus imposante – peut se retrouver dans ces problématiques. De fait, ces ateliers constituent l’âme de cette rencontre. Servis par le cadre enchanteur du village des Nuits de Fourvière et par une organisation au cordeau, ces ateliers deviennent immédiatement des lieux vivants d’échange de pratique. “Dis-moi quels sont tes problèmes, je te donnerai mes recettes… ou au pire… nous en rirons ensemble.

À l’issue des ateliers, les discussions se poursuivent de manière conviviale. Rendez-vous donné en Avignon, échange de cartes de visite, nous constatons que les recommandations de Jérôme Bertin sont entendues. Si le passage à l’action repose sur le réseau, les choses sont en bonne voie. Le format de la rencontre génère du lien entre les professionnels. C’est incontestable. Les plus courageux poursuivront la rencontre par une représentation d’En attendant Godot mis en scène par Alain Françon. Le texte de Beckett raisonnera d’ailleurs étrangement après cette rencontre. La pièce parle d’humanité, de relations, de domination, de bienveillance, d’attention à son prochain. On dirait presque que Beckett nous glisse quelques pistes en matière de prévention des risques.

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