Le Site Verrier de Meisenthal

Une reconversion qui crée des liens

Toutes les photos sont de © Patrice Morel

Le Site Verrier de Meisenthal - Photo © CIAV

Le Site Verrier de Meisenthal – Photo © CIAV

Lorsque l’ultime sonnerie de la verrerie de Meisenthal retentit le 31 décembre 1969, annonçant sa fermeture définitive, personne, et surtout pas les 230 derniers ouvriers, ne pouvait imaginer que le lieu pourrait revivre un jour. C’était sans compter sur l’attachement des habitants à leur usine et le soutien des différentes initiatives afin de lui redonner vie. En mai 2022, la troisième tranche de réhabilitation et de reconversion du site s’est achevée, renforçant les liens et les accueils.

Ancré dans l’histoire du territoire

L’histoire du Site Verrier de Meisenthal est riche. Ancré dans un territoire, celui du Pays de Bitche, des villages et des usines, il est le témoin d’une histoire sociale, artistique et artisanale. Il est inscrit sur la route des Arts du feu, dans la vallée du Parc national des Vosges, celle de la tradition verrière comme le Musée Lalique à Wingen-sur-Moder et le Musée du Cristal à Saint-Louis. La Verrerie de Meisenthal est née en 1704 et produit des objets de première nécessité. Avec la révolution industrielle, les progrès techniques et scientifiques permettent le développement et la diversification de la production. La région devient le berceau de l’Art nouveau grâce à la présence d’Émile Gallé. Cet âge d’or de la Verrerie s’étendra jusqu’en 1930 avec l’emploi de 650 salariés.

La seconde Guerre mondiale affaiblit l’usine mais Meisenthal se distingue par sa résistance. Le directeur de l’époque, Antoine Maas, permit l’évasion du camp de Bitche d’un millier de prisonniers de guerre français, en les cachant dans les sous-sols de la Verrerie et parmi les habitants.

Le déclin de l’usine commence au début des années 60’, avec notamment le choix de revenir à un mode de production plus artisanal, jusqu’à sa fermeture définitive en 1969. Le lieu se transforme alors en friche ; les ferrailleurs recyclent 8 000 moules en métal et démantèlent l’usine. Le site sera sauvé de la destruction grâce au conseil municipal du village. La friche sera acquise par la commune.

Nouveau parcours, terrasses, cour intérieure

Nouveau parcours, terrasses, cour intérieure

La renaissance du site

Le Site Verrier de Meisenthal doit sa nouvelle vie à l’engagement des habitants et des bénévoles qui, grâce à l’organisation des expositions d’art depuis 1978, initient la création d’un musée en 1983 et du CIAV (Centre international d’art verrier) en 1992. La Halle Verrière, sous l’impulsion de l’association Eurêka, se transforme en lieu de spectacle pour des concerts. Le site et les programmes se développent, l’équipe se professionnalise. Comme dans tout site industriel se développant au fil du temps avec une accumulation de fonctions et de lieux, l’activité doit faire face à un archipel de bâtiments vieillissants et à une organisation empirique, une circulation à la distribution altimétrique compliquée. Ce site de 7 000 m2 nécessitait donc une réflexion architecturale : comment fédérer le CIAV, le Musée du Verre et la Halle Verrière, trois partenaires cohabitant sur un même site ? L’étude a été menée en 2011 par Café-Programmation, en étroite collaboration avec les usagers et acteurs du site, et soutenu par la Communauté de communes de Bitche. Un concours international est lancé en 2014 et 184 agences d’architecture issues de huit pays ont présenté leur candidature. Trois équipes sont choisies pour concourir et une association de deux jeunes agences : l’agence SO – IL (Jing Liu, Florian Idenburg, Ilias Papageorgiou) basée à New-York et l’agence Freaks (Guillaume Aubry, Cyril Gauthier, Yves Pasquet) de Paris, avec dUCKS scéno pour la scénographie, seront lauréats. Yves Pasquet, architecte, nous raconte : “Le projet était complexe, techniquement et dans sa temporalité, puisque le chantier se déroulait en site occupé et sur trois phases. Les usagers et la Communauté de communes ont su faire constamment des efforts pour mener à bien le projet. La programmation du lieu, entre concerts et musée, était surtout ancrée dans le ‘faire’ avec une grande force pour attirer un public”. Le chantier se déroula sur trois phases en commençant par la Halle Verrière et le CIAV. La deuxième phase fut la construction du bâtiment d’accueil ainsi que l’aménagement de la cour intérieur pour finir avec le Musée du Verre.

L’Usine, accès public, promenoir, vestiaire

L’Usine, accès public, promenoir, vestiaire

La valorisation du travail

Meisenthal s’inscrit dans une dynamique territoriale de sites et musées verriers. Sa particularité est d’être à leur croisée par la présence de la production et du travail avec, entre autres, la proximité des fours et leur chaleur. “La force de ce lieu est la visite d’un site de production. Nous avons tenu à ne pas cloisonner les circuits des visiteurs et du personnel en expliquant cette singularité : nous sommes d’abord sur un site de production où des touristes sont acceptés. Ainsi, le visiteur peut croiser les verriers avec leurs matériaux dans les couloirs et dans le monte-charge.

Le travail préparatoire a été long du fait d’un diagramme complexe. Les trois entités – Musée, CIAV et salle de spectacle – étaient à renforcer, fédérer et un accueil devait être créé. “L’idée était de travailler autour du vide de la cour, ce qui a nécessité de détruire quelques bâtiments malgré le contexte patrimonial. Notre but était l’effacement c’est-à-dire ne pas créer un quatrième bâtiment qui aurait concurrencé les existants. Clarifier les entrées et mettre en relation les différents bâtiments étaient les deux axes principaux du projet.

Bar/club - Photo © David Foessel

Bar/club – Photo © David Foessel

La vague en béton

Un circuit de passerelles, comme une nappe ondulée, crée un anneau en béton et devient l’élément remarquable de cette nouvelle liaison. Cette coursive en pente dessert les trois entités et résout ainsi les différentes altimétries, créant un parcours fluide qui met en valeur les bâtiments existants. “La vallée est très minérale avec l’omniprésence de la brique et du grès rouge des Vosges. Nous avons proposé le béton, un matériau minéral possédant une plasticité qui, tout en maintenant une certaine neutralité, rend visible notre intervention et ceci dans la constante évolution du site des années 2000.” Les entrées sont clarifiées et la forme de vague permet l’intégration de l’espace de l’accueil sous la première voûte de l’anneau. Dans les anciens ateliers de décor sur verre avec ses murs en brique, la boutique, à l’origine très sombre, est aménagée dans un espace plus grand et lumineux. Un escalier sculptural mène à une salle multifonctions pour des réunions ou accueils scolaires et une grande fenêtre offre un point de vue sur le CIAV. La très grande fréquentation au moment de Noël concerne l’achat des fameuses boules de Noël, dessinées chaque année par un nouvel artiste contemporain. Ce lieu de vente permet l’autofinancement du Musée et du CIAV à 90 %.

Boîte Noire, système à 2 cadres, réversible - Photo © David Foessel

Boîte Noire, système à 2 cadres, réversible – Photo © David Foessel

Du Musée au CIAV

Le nouveau circuit commence par le Musée. Caroline Roelens-Duchamp, directrice du Musée du Verre de Meisenthal, explique : “L’association Les barbouilleurs du dimanche a collecté des pièces et a constitué la première collection qui s’est enrichie au fil du temps de nouveaux éléments. Les recherches historiques ont mis en lumière la collaboration d’Émile Gallé et sa technique. Cette collection montre l’histoire d’un territoire comme le passage de l’Art nouveau à l’Art contemporain du verre. Mettre en regard les objets et la technique utilisée fait partie de cette exposition. C’est aussi un vocabulaire mis à la disposition des créateurs qui collaborent avec nous”. La nouvelle entrée est située dans les caveaux du Musée qui abritait le premier four de la Verrerie. Cette nouvelle scénographie crée des séquences de visite : rentrer dans un tunnel très étroit, bas de plafond, dans une ambiance sombre pour monter au niveau 3 sous la charpente, afin de commencer la visite. “Il était compliqué de penser la future entrée dans un espace utilisé pour le stockage ; mais les usagers ont toujours accompagné les propositions avec une grande confiance. L’apport de dUCKS scéno sur l’intelligibilité du propos scénographique a été important.” Le circuit continue en descendant, dans une image muséale plus classique, pour découvrir les salles d’exposition. La technique est représentée, tout comme le lien avec le patrimoine et les collections. 300 ans d’aventures verrières, du XVIIIe siècle à nos jours, regroupent environ 200 pièces, notamment une exceptionnelle collection d’œuvres signées Émile Gallé, avec le spectaculaire Vase à la carpe, belle œuvre d’Art nouveau. La muséographie a été conçue par l’agence parisienne Designers Unit. Le grenier possède une charpente exceptionnelle dite “en résille” et datant de 1930, lamellaire en bois de l’architecte et ingénieur Friedrich Zollinger, qui était invisible au visiteur. En empruntant la passerelle extérieure qui donne un point de vue sur l’ensemble du site, la visite mène aux bâtiments du CIAV dont le directeur, Yann Grienenberger, est à l’origine. Il est composé d’un atelier de fabrication et de deux nouvelles constructions en béton appelées les faux jumeaux et qui contiennent des nouveaux fours, des salles pour le personnel et du stockage. “Au départ, une ossature en béton contenant initialement la machine à vapeur existait sous forme d’une ruine. L’architecte des bâtiments de France avait d’ailleurs conseillé de garder ce très beau squelette mais le béton était en mauvais état. Nous avons alors fait un relevé exact pour une reconstruction à l’identique. Nous y avons adjoint une copie de ce volume à côté pour contenir les nouveaux fours.” La captation de la chaleur des fours permet de chauffer les bureaux. Il est possible d’assister au travail des souffleurs de verre et de découvrir leur savoir-faire dans le circuit de la visite à travers une mezzanine.

Boîte Noire, tribune déployée - Photo © David Foessel

Boîte Noire, tribune déployée – Photo © David Foessel

La Halle Verrière

Le bâtiment le plus spectaculaire du site est une grande halle dotée d’une belle verrière. Cet espace, à l’origine de 3 000 m2, était dédié aux souffleurs de verre. Il possède encore deux imposants fours de fusion et la tour de contrôle. Depuis 1980, l’association Eurêka y organisait des concerts. Aujourd’hui, le lieu abrite le CADHAME (Collectif artistique de développement de la Halle de Meisenthal) dirigé par Pascal Klein qui milite depuis le début de l’aventure pour cette présence culturelle : la rencontre entre concerts, musiques actuelles, théâtre de rue, cirque, arts contemporains et visuels que cet espace hors norme rend possible. Depuis 2019, le CADHAME-Halle Verrière est une Scène conventionnée d’intérêt national mention art et création. “Nous ne voulions pas nous cantonner et rentrer dans une case afin de maintenir une liberté de programmation et d’action culturelle”, précise Pascal Klein. Yves Pasquet ajoute : “Ce bouillon de culture dans ce petit bourg nous avait beaucoup impressionnés. Notre collaboration avec Pascal Klein a été très riche. Avec dUCKS scéno, nous avons proposé cette black box afin de laisser l’espace de la grande Halle le plus vaste possible. En évitant d’installer une boîte dans la boîte, la qualité de cet espace n’a pas été détériorée. Puis, nous avons réfléchi à une vraie flexibilité”. En 2005, la Halle Verrière a bénéficié d’une première mise en sécurité. La première tranche des travaux concernait l’aménagement de l’espace scénique de la Halle.

Boîte Noire, cloison acoustique ouverte - Photo © David Foessel

Boîte Noire, cloison acoustique ouverte – Photo © David Foessel

La Boîte Noire a été aménagée pour créer une salle de spectacle modulable d’une jauge de 340 places assises et 900 places debout, grâce à un gradin rétractable. Elle a été repositionnée sur de nouvelles fondations. Quatre-vingts puits de fondation de 4 m de profondeur ont été mis en œuvre. Sa dalle flottante repose sur des ressorts afin de l’isoler acoustiquement. L’outil peut ainsi proposer différentes formes. Le surdimensionnement des unités de passage des issues de secours (dix au total) donne des possibilités quant à la jauge et la configuration des spectateurs. La particularité de cet outil est sa modularité inédite. Le fond de scène, composé de deux portes coulissantes de 8 m de hauteur sur 16 m de largeur, s’ouvre sur la grande Halle. La scène mobile de 16 m x 10 m se repositionne dans ce grand espace de 2 400 m2 baigné de lumière pour des manifestations allant jusqu’à une jauge de 3 000 personnes, possible grâce aux trente-deux unités de passage. La hauteur importante de la grande Halle permet des manifestations d’art contemporain et d’arts de la rue.

L’accès à la Boîte Noire s’effectue au niveau de la cour avec une vue en contre-plongée sur la Halle. Grâce à cette relation visuelle, le spectateur s’informe des événements et notamment des expositions qui s’y déroulent. Les circulations et aménagements ont été pensés en relation directe avec les usagers. “L’escalier d’accès à la Halle a été réorienté jusqu’au dernier moment.

L’Usine, salle de spectacle - Photo © CIAV

L’Usine, salle de spectacle – Photo © CIAV

Le bar peut recevoir 150 personnes et est relié à la Boîte Noire ; il donne une vue sur la Halle. Équipé scéniquement, de petites formes peuvent y être présentées. Il a la possibilité de s’ouvrir et de se prolonger vers la Halle grâce aux éléments sur roulettes. Grâce à l’anneau en béton, une terrasse prolonge le bar ainsi que des espaces extérieurs fumeurs.

Les loges, pour la plupart collectives, aménagées pour trente-quatre personnes, sont spacieuses, claires et pensées comme un lieu de vie. L’espace des artistes est en liaison directe avec l’espace administratif situé au-dessus du bar, en traversant la Boîte Noire. “Nous tenions à cette proximité”, insiste Pascal Klein.

Plan de situation - Document © SO - IL / Freaks

Plan de situation – Document © SO – IL / Freaks

Un studio de répétition est aménagé dans le sous-sol, techniquement équipé. Il peut être loué par les musiciens qui bénéficient d’un accompagnement.

Le Site Verrier de Meisenthal a pu ressusciter et se développer grâce à la passion, l’engagement et l’investissement des habitants et des différents protagonistes. Ce site culturel rayonne au-delà du village de 700 habitants et devient un élément essentiel, culturel et social, dans le développement d’un territoire. L’architecture de ce nouvel aménagement lui procure une image actuelle dans le respect de son histoire et renforce les liens.

Elévations, coupes transversales et longitudinales - Document © SO - IL / Freaks

Elévations, coupes transversales et longitudinales – Document © SO – IL / Freaks

 

Réhabilitation du Site Verrier de Meisenthal

  • Maîtrise d’ouvrage : Communauté de communes du Pays de Bitche
  • Étude de programmation : Café Programmation
  • Maîtrise d’œuvre :
    • Architectes mandataires : SO – IL (Florian Idenburg, Jing Liu, Illias Papageorgiou)
    • Architectes associés: Freaks (Yves Pasquet, Cyril Gauthier, Guillaume Aubry)
  • Scénographie : dUCKS scéno
  • Acoustique : Peutz
  • Architecte opérationnel : LFA – Florent Lukas
  • Muséographie : Designers Unit https://unit.paris/ (Emmanuel Labard, David Lebreton, Juliette Bâcle, Lucie Pindat, Marie Remize, Stéphane Toque)
  • Économiste : MDETC
  • Surface : 4 230 m2
  • Budget : 15 M€ dont 12 M€ de travaux

 

 

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