Samuel Favart-Mikcha

Une certaine musicalité sonore

Propos recueillis par Antoine Richard, silencesplateaux.fr, été 2020

Formé à l’École du TNS dont il sort en 2010, Samuel Favart-Mikcha est un créateur son pour le théâtre à la pratique mêlant recherche musicale, création sonore et parfois interprétation en direct. Musicien autodidacte et libéré des contraintes académiques, il met sa “naïveté fertile” (comme il le dit) au service de son écriture sonore, à la fois dense et éthérée, qui participe tout autant à la dramaturgie du spectacle que la scénographie ou les costumes. Elle accompagne ainsi les créations de Maëlle Poésy, Charlotte Lagrange, Jean-Paul Wenzel, Joël Jouanneau, …

Samuel Favart-Mikcha - Photo © Bérangère Bienfait

Samuel Favart-Mikcha – Photo © Bérangère Bienfait

“On est seul à faire du son mais on est ensemble à faire du théâtre…”
Samuel Favart-Mikcha

Antoine Richard : Une question simple pour commencer : pourquoi avoir choisi le son, la création sonore. Quel chemin t’y a conduit ?

Samuel Favart-Mikcha : Quand j’ai commencé le théâtre au lycée, par le plateau, j’ai eu l’impression de trouver un endroit qui me correspondait ; je m’y suis senti si bien qu’ensuite je n’ai plus voulu le quitter. D’abord par le jeu puis par des études littéraires et théâtrales. Puis, je me suis rendu compte que je ne voulais pas être comédien mais plutôt rester proche du plateau. J’ai alors découvert la régie avec la régie lumière d’abord, en suivant un éclairagiste, en apprenant le métier “sur le tas” pendant deux ans. À côté, j’ai toujours eu un lien passionné avec la musique ; et en arrivant à l’École du TNS, j’ai eu la possibilité de m’exprimer librement, en conjuguant le son et la musique. Avant l’École, je pensais qu’il fallait avoir fait douze ans de solfège pour créer de la musique ! La question de la légitimité m’a beaucoup perturbé au début : qui j’étais, moi, guitariste du dimanche, pour prétendre composer de la musique ? L’École venait de faire l’acquisition du logiciel Ableton Live mais il n’y avait pas de formation poussée dessus ; j’ai passé des nuits sur ce logiciel pour me l’approprier… Petit à petit, j’ai fait de moins en moins de lumière et de plus en plus de son pour mon grand bonheur car je rêve plus de sons que de lumières.

On dit souvent que des études scientifiques sont à privilégier pour faire ce métier mais toi tu as un parcours littéraire.

S. F.-M. : Oui, j’ai toujours vu le théâtre à travers le prisme du texte ; c’est ainsi en France quand on veut faire du théâtre à quinze ans. Peut-être que cela a changé mais à l’époque, personne ne m’a parlé des autres métiers du théâtre, ou alors en les dévalorisant par rapport au métier de comédien (plus tard, face à mon désir de technique on m’a même dit “Mais tu vas être un ‘pousse-boutons’ ?”).

Il faut savoir que la section régie de l’École du TNS ne nous cantonne pas à une discipline technique ; nous passons par tous les postes : machinerie, lumière, son, vidéo, régie générale. Cela a débloqué pas mal de timidité. Chaque domaine est sans doute moins complet que dans d’autres formations spécifiques mais cela permet d’avoir une vue d’ensemble, de savoir comment travaillent les autres et libre à chacun de se plonger dans tel ou tel domaine. Après, il faut une base technique solide pour s’en libérer, quand la technique n’est plus un obstacle mais un allié. Il y a une infinité de manières de faire du son et il me semble important de toujours remettre en question ce que nous faisons, repartir de zéro (ou presque), ne pas appliquer une même recette que nous croyons efficiente.

Le fait d’être autodidacte musicalement offre des contraintes mais également des libertés, une sorte de naïveté fertile.

Dans tes créations, la musique semble avoir une place centrale.

S. F.-M. : Mon rapport à la musique est assez similaire à mon rapport au son en général, à la texture, l’atmosphère, la sensation. Je ne me focalise pas sur la composition musicale, j’essaie d’intégrer une certaine musicalité à l’univers sonore général. Cela part souvent de rêveries et ensuite j’utilise les outils techniques comme un bloc-notes, je griffonne, j’ébauche, je me laisse porter et puis je creuse. Souvent le théâtre n’appelle pas à des musiques trop “pleines”, trop orchestrées (il y a bien sûr des contre-exemples). Il faut vider, créer du vide, laisser de la place, de l’espace, exploser la stéréo, morceler la composition dans l’espace. Du coup, quand nous réécoutons à la maison sur deux enceintes, c’est parfois un peu pourri ! J’aime aussi l’idée de se fabriquer ses propres outils sonores, à l’image d’un bruiteur : telle embouchure de tuyau métallique sera ma percussion, tel plastique fera ma pluie, tel sifflement sera mon vent, …

Je pars toujours avec des contraintes qui tiennent plus ou moins jusqu’au bout. Par exemple, pour Désirer Tant, mis en scène par Charlotte Lagrange, c’est l’histoire de plusieurs générations de femmes qui s’entrecroisent. J’ai choisi de faire tous les sons du spectacle à partir de vinyles, cette matière sonore qui traverse le XXe siècle. La vitesse et la rotation comme une image du temps, cyclique et accidenté (craquements, sautes, reverse, accélération, décélération, …).

Je ne prétends pas pouvoir répondre seul à certaines attentes musicales de la mise en scène (en termes de composition ou d’interprétation). Ainsi, il m’est arrivé récemment “d’inviter” un musicien sur une création (quelle joie de composer à deux cerveaux !). C’était pour Sous d’autres cieux, mise en scène par Maëlle Poésy, il s’agissait entre autres d’un travail sur la Méditerranée et cet ami musicien m’a beaucoup aidé, étant lui-même passionné de rythmes et de croisements que nous rencontrons dans les musiques du bassin méditerranéen. Les rôles se sont définis naturellement : je prenais en charge les ambiances, les sons réalistes, les textures plutôt abstraites et électroniques, et lui les instruments, principalement cordes et percussions. Ainsi, nous pouvions avancer chacun sur des terrains différents, pour les croiser ensuite. Il y a eu beaucoup d’improvisations également, autour de thèmes donnés par la mise en scène, et un travail rythmique avec les danseurs car il y avait des longues parties chorégraphiées. C’est un équilibre entre les “commandes” et la grande liberté de proposition dont nous disposions. Nous pouvons distinguer les musiques au premier plan de celles intégrées à la narration. Le son raconte une histoire parallèle à l’histoire qui se déroule sous nos yeux ; si nous racontons la même chose cela s’annule.

Tu composes donc la majorité des musiques que tu utilises ?

S. F.-M. : Quand j’ai commencé – un peu par défi, un peu pour trouver une singularité – je refusais d’utiliser des musiques préexistantes (les banques de sons également). Deux raisons à cela : donner un caractère “unique” à la création et éviter les fausses pistes. Nous ne savons pas toujours comment réagit l’inconscient collectif face à une musique connue ; cela peut être trop chargé ou porteur de références que nous ne maîtrisons pas toujours. Il peut arriver que nous voulions utiliser une musique pour un élément de son orchestration mais pas l’ensemble. Et à moins de posséder le morceau en pistes séparées, il est impossible d’en retirer un élément. Il m’est arrivé alors de refaire un peu “à la façon de” (en toute humilité bien sûr) ou de chercher à m’en approcher. Quand il s’agit de musiques rappelant une époque, nous ne pouvons y couper ; la qualité de l’enregistrement et des arrangements va aider à se situer tout de suite. Maintenant, il m’arrive d’utiliser des musiques préexistantes quand elles sont nécessaires ; nous nous en rendons compte, rien ne sert de lutter contre !

Et tu es aussi souvent interprète en live…

S. F.-M. : Le direct vient des répétitions. Lorsque nous cherchons, il est plus simple de garder du direct pour être plus réactif. Ne pas fixer trop tôt permet aussi d’être connecté au plateau, aux acteurs ; certains y sont d’ailleurs sensibles. Ce n’est jamais deux fois exactement pareil, comme une réplique ou un mouvement vivant. C’est aussi une manière de se mettre en danger, l’adrénaline du moment t’engage.

Encore plus lorsque tu es visible au plateau j’imagine.

S. F.-M. : J’aime être sur scène pour jouer un personnage, de la musique, faire la régie sur scène (d’ailleurs ne pourrions-nous pas dire “jouer une régie” ?). C’est là que nous ressentons le danger, le risque ; l’énergie du public n’est pas ressentie pareil selon que nous nous trouvions devant ou derrière lui, voire au milieu de lui. Dans un cas nous lui soufflons sur la nuque, dans l’autre nos souffles s’entremêlent…

Du coup, es-tu le seul “interprète” possible de tes créations ?

S. F.-M. : J’ai toujours considéré la création et la régie comme un seul mouvement et, sauf exception, j’essaie de faire moi-même les régies et suivre le spectacle en tournée où il continue de bouger dans tous les domaines (rythme, jeu, niveaux, temps, …). Mais si je ne peux pas le faire, je m’arrange toujours pour que la régie soit “jouable” par quelqu’un d’autre car personne n’est irremplaçable.

Samuel à la régie  - Photo © Claire Gondrexon

Samuel à la régie – Photo © Claire Gondrexon

Lorsque nous observons ta table de création, nous y trouvons une platine vinyle, une guitare et des pédales d’effet, des objets sonores en tous genre, … Tu accordes beaucoup d’importance à la diversité des outils avec lesquels tu travailles ?

S. F.-M. : J’essaie d’apporter des accidents dans le son, de chercher de l’imprévu, des grains. De la même manière que nous ne pouvons pas maîtriser le craquement d’un disque vinyle, nous pouvons assumer parfois le côté “crade” d’un son ou la fragilité d’une interprétation, et cela va contribuer à donner des couleurs à la création. Je ne me considère pas vraiment comme guitariste mais la guitare est un instrument que j’utilise beaucoup pour chercher des textures, plus ou moins musicales. Il y a une telle infinité d’objets sonores, y compris dans l’univers électronique, mais j’essaie de les relier au propos et à la sensation voulue. Par exemple, dans Tentative de disparition, mise en scène par Charlotte Lagrange, une jeune femme d’aujourd’hui cherche à “disparaître”, partir, se couper de son passé sans laisser de trace. J’avais alors composé un morceau pour sa “fuite” dans lequel je chantais à travers un vocodeur. C’était pour moi une façon de rendre anonyme une voix, de faire disparaître son identité et d’évoquer le monde d’aujourd’hui à travers cette texture musicale particulière.

Tu es donc à la croisée de la musique et de la création sonore. Comment te définis-tu professionnellement ?

S. F.-M. : Nous en revenons à la question de la légitimité et des termes pour désigner ce que nous faisons avec le son. À partir de quoi estime-t-on qu’un son est musical ? Qu’un musicien est compositeur ? Qu’un créateur sonore est un artiste ? “Artisan du son” me plaît plus que “sound designer” mais c’est une histoire de sensibilité. Ce sont souvent les autres qui définissent le mieux ce que nous faisons. C’est intéressant dans le vocabulaire employé par différent.e.s metteur.se.s en scène désignant le son. Le terme de nappe par exemple revient souvent mais il est très vaste. Un jour, quelqu’un m’a demandé : “Comment sont appelés tes sons ? Des plages ?« . L’idée de créer des plages avec le son m’enchante. L’étendue, le mouvement, l’infini, …

Tentative de disparition de Charlotte Lagrange - Photo © Claire Gondrexon

Tentative de disparition de Charlotte Lagrange – Photo © Claire Gondrexon

Dans le processus de création d’une pièce de théâtre, il y a des moments qui nourrissent particulièrement ton imaginaire de créateur sonore ?

S. F.-M. : Je dirais que tous les moments sont importants mais ils n’ont pas la même force. La première lecture du texte seul, les premières images, les songes qui surgissent, … Évidemment, j’adore les premiers moments de plateau, les improvisations, quand tout tourbillonne encore, mais j’aime aussi le travail à la table ou le travail de détail quand la première approche. Quand nous avons la chance d’être là dès le début du projet, cela rend les choses plus faciles et l’imaginaire a tout le temps de faire son “travail”.

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