New techs days

Urgence et conséquences de la transition vers l’éclairage LEDs

Scenarchie est un bureau d’études né en 1980. Son champ d’activité couvre la réalisation de projets à vocation culturelle et technique dans le cadre de marchés publics ou privés. Afin de s’adapter aux évolutions technologiques dans le domaine du spectacle, la société a élargi au fil des années ses compétences en intégrant de nouveaux collaborateurs. Forte de son expertise en la matière, l’équipe de Scenarchie s’est vue confier en 2020 par l’Agence Culturelle Grand Est une étude sur la transition vers l’éclairage à LEDs dans le spectacle vivant. Au vu des constats, Sébastien Riou et Frédéric Chauveau ont décidé de proposer les New techs days,  des journées d’information sur ce thème et sur l’informatisation des réseaux scéniques, afin d’éclairer les responsables techniques de lieux culturels sur ce qui nous attend.

New techs day au TNG, Lyon le 30 juin 2022 – Photo © Ludovic Bouaud

New techs day au TNG, Lyon le 30 juin 2022 – Photo © Ludovic Bouaud

La réglementation européenne 2009/125/CE

Tout découle de cette directive votée en 2009 par le parlement européen, qui donne les règles pour diminuer l’impact énergétique des bâtiments, des véhicules et de leurs équipements. Elle planifie le retrait progressif de toutes les ampoules autres que classe A à partir de 2017.

Suite au dépôt d’une requête par un consortium de professionnels du spectacle vivant, le parlement européen a décrété une exception pour la plupart des sources halogène et HMI utilisées dans le secteur de l’événementiel. Cependant, elle doit être réexaminée à partir de cette année et un nouveau vote aura lieu avant fin 2024. Si d’aucuns prédisent un report supplémentaire de l’exception, la situation reste précaire et la fin approche inexorablement. La disponibilité des lampes est conditionnée au maintien de ces exceptions et des productions des principaux constructeurs, certains ayant déjà complètement arrêté leurs chaînes de fabrication. À plus ou moins courte échéance, les parcs constitués aujourd’hui en majorité de projecteurs traditionnels vont donc devoir migrer vers des sources à LED.

Les exigences de la conception à la production

Contrairement aux projecteurs traditionnels qui ne nécessitaient qu’une conception mécanique et électrique, les projecteurs à LEDs nécessitent une gestion électronique complexe. Par contre, là où l’halogène produisait toujours la même lumière quelle que soit la marque du projecteur (exception faite de ses qualités optiques) le rendu de la LED n’a souvent rien à voir d’un projecteur à l’autre, car chaque LED a une signature spectrale différente.

Les constructeurs doivent donc se doter d’un département R&D compétent afin de proposer à la fois une source lumineuse de qualité et une maîtrise de la technologie de gradation numérique PWM, qui nécessite une très grande résolution pour atteindre la finesse naturelle de la gradation d’une ampoule. Une bonne qualité de fabrication et un sourcing des composants sont aussi indispensables pour assurer la longévité et la réparabilité de l’appareil. Enfin, la disponibilité et la continuité d’une gamme dépendront de la résistance du constructeur au marché mondialisé.

Le choix de fonctionner en synthèse soustractive (LEDs blanches devant lesquelles on place des filtres de couleur) permet en général un meilleur rendement lumineux du blanc, là où la synthèse additive (LEDs RGB, RGBW… jusqu’à 8 teintes différentes) apporte un meilleur indice de rendu des couleurs, une plus grande souplesse dans la gestion colorimétrique et une saturation inatteignable pour les projecteurs à lumière blanche, qu’ils soient à LEDs ou halogènes. Cette seconde technologie semble prendre le pas. Même le constructeur Robert Juliat, qui ne proposait jusqu’ici que des modules à LEDs blanches pour remplacer les modules halogènes des découpes 600SX va sortir d’ici peu un modèle 4 couleurs (rouge, vert, bleu, lime) baptisé Sully 4C.

Si elle s’en rapproche par certains aspects (fonction dim to warm ou red shift permettant de reproduire le réchauffement de la source lors de la gradation) la lumière des LEDs ne pourra jamais reproduire à l’identique le spectre de la lumière halogène. Ne pouvant plus continuer à utiliser comme référence les sources halogènes qui sont vouées à disparaître, il faut définir de nouveaux référents culturels d’éclairage pour l’avenir.

Comparaison de courbes d'indice de rendu des couleurs – Document © leclairage.fr

Comparaison de courbes d’indice de rendu des couleurs – Document © leclairage.fr

La problématique de l’IRC

L’Indice de Rendu des Couleurs a été développé  par la Commission internationale de l’éclairage en 1963. Il consiste à comparer le rendu de la source de lumière étudiée avec celui d’une source de référence sur 15 échantillons de couleurs définies. Les notes obtenues à l’époque par les lampes fluorescentes et les lampes à décharges étant exécrables, il a été décidé de n’établir la moyenne que sur les 8 premiers échantillons : l’IRC ne correspond donc pas à la perception visuelle réelle.

Heureusement, la réglementation européenne demande aujourd’hui dans ses objectifs de révision de développer une nouvelle méthode d’étude du rendu des couleurs. La méthode ANSI/IES TM-30, développée par l’Illuminating Engineering Society et utilisée par la plupart des constructeurs de sources lumineuses, semble pouvoir répondre à cette exigence, elle étudie le rendu sur 99 couleurs et donne les résultats sous forme de diagramme.

ANSI-IES TM-30-18 - Document © IES-D

ANSI-IES TM-30-18 – Document © IES-D

Comment phaser la transition?

Lors de l’étude commanditée par l’agence culturelle Grand Est, un sondage auprès des constructeurs, des prestataires et des utilisateurs a permis de faire un état des lieux de la situation. Il a notamment démontré qu’il y avait une grande disparité entre les parcs de projecteurs des prestataires, constitués d’environ 90% de projecteurs à LED, et ceux des théâtres qui en comptait à peine 10%, pour la plupart des modèles bas de gamme. Il apparaît donc urgent, pour ces lieux, de commencer leur transition.

Le remplacement des équipements doit être pensé dans la durée. Il faut l’échelonner car si tout le monde attend d’être au pied du mur, le changement sera brutal, les investissements exorbitants, et les constructeurs ne pourront pas adapter leur capacité de production pour répondre à la demande.

Puisqu’il n’est pas possible de trouver des équivalences précises entres les sources traditionnelles et celles à LED, le bon mode opératoire consiste à lister tous les projecteurs utilisés dans son lieu, à préciser leur  utilisation générale (types de réglages, directions, couleurs couramment utilisées…) puis à trouver les sources les plus pertinentes pour les remplacer. L’idée n’est pas de changer chaque appareil par un équivalent à LED mais plutôt d’envisager d’exploiter au maximum la polyvalence des sources électroniques. Ainsi, la transition devrait permettre de diminuer de 25 à 30 % le volume d’un parc de projecteurs.

La topologie du réseau - Document © Sébastien Riou

La topologie du réseau – Document © Sébastien Riou

Côté chiffres…

Si le coût moyen de renouvellement complet d’un parc se situe autour de 80 à 150K€ pour une salle polyvalente possédant moins de 100 projecteurs, il peut atteindre 500K€ pour un CDN, voire 3M€ pour celui d’un opéra comportant à peu près 500 sources. La complexité de ces nouvelles machines peut expliquer l’aspect vertigineux de ces montants, mais les lieux les moins bien dotés risquent d’essayer de faire baisser les coûts en achetant des produits moins chers.

Si 9 projecteurs sur 10 présents actuellement dans les parcs de nos théâtres ont été fabriqués en France, une très grande partie des sources à LEDs est produite en Chine, ce qui pose aussi le problème des retombées économiques des futurs investissements, la plupart étant conditionnés à des subventions publiques. Par ailleurs, ce type d’investissement étant soumis à un amortissement, la solution du leasing ne semble pas non plus envisageable dans le cadre des théâtres publics.

Pour le moment, certains lieux réussissent à négocier des subventions exceptionnelles mais il n’existe pas de fonds dédié à la transition LED, que ce soit au niveau national ou européen. En Occitanie, les directeurs techniques des lieux culturels se sont regroupés au sein d’une association afin de peser auprès des pouvoirs publics. Ce genre d’initiative semble s’avérer prometteuse pour faire progresser la situation, voire aussi pour penser les investissements de manière complémentaire ou pour envisager de mutualiser une partie du matériel entre les lieux d’une même zone géographique.

Au delà des sources…

La transition ne peut pas se limiter au remplacement du parc de projecteurs. En raison de la complexité d’usage de ce type de matériel, il s’avérera, dans beaucoup de cas, nécessaire de faire aussi évoluer la chaîne en amont, car les consoles AVAB et ADB présentes dans les théâtres vont vite être inappropriées pour faire de la programmation avec beaucoup de sources à LED, notamment en ce qui concerne la gestion de la couleur. Il va donc falloir investir dans des pupitres plus ergonomiques et former les techniciens à leur usage.

Un problème de taille se pose aussi du côté de la maintenance, jusqu’alors réalisée en interne sur les projecteurs traditionnels, elle devra faire l’objet d’une externalisation ou de formations spécifiques pour le personnel, sur chaque type d’appareil !

Les protocoles utilisés dans le spectacle - Document © Sébastien Riou

Les protocoles utilisés dans le spectacle – Document © Sébastien Riou

Développer son réseau

Enfin, avec le nombre croissant de canaux DMX utilisés par projecteur (jusqu’à 22 adresses pour une boite à lumière type Sully 4C) et l’augmentation du nombre de machines dans les plans de feu, le transport de l’information ne va pas pouvoir continuer à se faire via quelques lignes DMX réparties entre la scène et la salle. Le problème se retrouve aussi en son et en vidéo, où les protocoles numériques utilisés avant 2010 (AES3, AES10, SDI) et qui utilisaient des liaisons individuelles (XLR3 ou BNC) arrivent aujourd’hui à leur limite. Si on ajoute à cela la nécessité croissante d’interconnexions entre la lumière, le son et la vidéo, la solution ne peut plus résider dans le fait d’installer des lignes supplémentaires en point à point dans le principe  » 1 câble / 1 format / 1 liaison  » comme beaucoup de lieux l’ont fait jusqu’à présent en créant un réseau pour le son et un autre pour la lumière.

Il devient donc nécessaire de développer un réseau local (LAN) permettant de faire transiter tous types d’informations, disponibles en tous points du maillage, via le protocole IP. Au départ, un audit de l’installation existante est nécessaire pour déterminer les évolutions à apporter. Puis, on doit penser un déploiement rationalisé des points de connexion et choisir la topologie de son réseau. Il sera souvent préférable d’assurer les liaisons physiques entre les baies en fibre optique plutôt qu’en câble cuivre (ethernet) dont les capacités finiront par être limitées, notamment pour faire transiter des flux vidéo en 4k. Des connectiques solides, type Neutrik EtherCon et OpticalCon seront privilégiées sur le plateau et les passerelles.

Il faut, enfin, configurer au mieux son LAN : le fractionner en VLAN par format (Dante, Artnet…) pour sécuriser au maximum chaque usage, et définir des priorités pour minimiser la latence des flux synchronisés (vidéo, son). Une solution de backup permettant une commutation de secours instantanée en cas de panne, doit aussi être pensée, elle impose notamment de doubler les liaisons physiques.

Le choix des switchs peut se porter soit vers des modèles standards, moins chers mais plus compliqués à configurer, soit vers des produits mettant ces technologies à la portée de tous (Luminex, Agora Ghost) grâce à une interface simplifiée. Cependant, leur typologie bridée et calibrée pour l’événementiel n’est pas forcément adaptée à tous les usages et leur prix peut être prohibitif pour certains.

L’administration du réseau doit donc être réfléchie comme pour un réseau bureautique mais avec les particularités liées au spectacle. Choisir et configurer un matériel optimisé et sécurisé demande des compétences informatiques jusqu’ici marginales dans nos métiers. Là encore, il va falloir former le personnel et trouver des collaborateurs ayant à la fois des compétences dans les réseaux informatiques et dans le spectacle vivant.

Le prochain New Techs Day se déroulera à Lausanne fin octobre. Un autre aura lieu à Paris d’ici la fin de l’année… Avis aux amateurs !

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