Théâtre de Montélimar

Un nouveau souffle

Toutes les photos sont de © Ilka Kramer

Après quinze années d’inoccupation, le Théâtre intercommunal de Montélimar a rouvert ses portes en septembre 2021. Sa réhabilitation est un projet de grande ambition puisqu’il s’agit de restituer au théâtre une valeur culturelle forte pour la ville mais également pour l’agglomération ; une aventure de longue haleine qui aboutit à la réalisation d’un équipement moderne, techniquement complet, sans effacer l’esprit du théâtre à l’italienne.

Façade de la place du Théâtre

Façade de la place du Théâtre

Un besoin de renouveau

Daté de 1885, le Théâtre intercommunal Émile Loubet se situe en plein cœur de la ville de Montélimar. Se détachant des édifices environnants de par son architecture néoclassique, le Théâtre s’érige dans le prolongement d’une petite place embellie par sa fontaine respectant le style de l’époque. Malgré sa notoriété, ce petit théâtre à l’italienne d’une jauge de 250 places devient vétuste et perd, au fil des années, sa vocation première ; en effet, uniquement son hall est utilisé en période électorale. Il ferme alors ses portes en 2006 et toute la programmation est transférée à l’Auditorium Michel Petrucciani, à quelques rues du Théâtre. Une solution temporaire qui aura tout de même duré environ huit ans.

Des premiers travaux de conservation sont finalement engagés en 2014 afin de s’assurer que le Théâtre ne se démantèle complètement. Désamiantage, traitement des peintures au plomb, rénovation de la toiture en zinc, remplacement des portes et fenêtres, la longue liste des travaux met en lumière le besoin réel et pressant de redonner une nouvelle vie à l’équipement. Or, ce n’est qu’en janvier 2016 que le concours de la réhabilitation du Théâtre est lancé. Les objectifs sont multiples : valoriser le patrimoine historique de l’Agglomération en redonnant au Théâtre sa visée fédératrice, agrandir la cage de scène et augmenter la jauge de la salle afin de répondre aux ambitions culturelles de l’Agglomération. Enfin, il était important de préserver l’esprit du théâtre à l’italienne tout en créant un outil de haute technicité pour lui donner une résonance plus nationale. “Le Théâtre doit devenir un vrai lieu de vie”, ajoute Fabienne Menouar, vice-présidente à la Culture ayant succédé à André Orset-Buisson, fervent porteur du projet.

L’extension

L’extension

L’extension, vue rapprochée

L’extension, vue rapprochée

“Tout était à refaire”

Le concours est remporté par l’architecte Maria Godlewska entrourée, entre autres, du scénographe Thierry Guignard. Le défi est de taille puisque “tout était à refaire à l’intérieur”, explique l’architecte. En bref, il fallait reconstruire un théâtre d’une plus grande capacité dans une enveloppe tout juste restaurée, demeurant tout de même encore fragile. “Au moment où les premiers travaux se sont achevés, nous commencions le projet”, renchérit-elle en soulignant la difficulté de cette réhabilitation en deux temps. S’en suivent donc deux années denses d’études et de mise au point puisque pour atteindre les objectifs du programme, “l’ensemble des planchers, y compris la scène, ainsi que l’ensemble des ouvrages de circulations verticales, lesquels n’étaient plus aux normes, devaient être démolis”, expliquent Pierre Bisotto et Tristan Bernard, ingénieurs en charge chez Batiserf.

En septembre 2018, le premier coup de pioche est donné ; un chantier chahuté par la crise sanitaire et un tremblement de terre ! « Une des premières phases du projet a été de faire la grande ouverture à l’arrière du bâtiment […] pour pouvoir rentrer avec une pelle, vider toute la coquille intérieure du bâtiment et poursuivre toute la démolition”, explique Laura Piantoni, directrice d’exploitation chez COSEPI France. “Cela a entraîné certains choix techniques tels que la réalisation de l’enveloppe de la salle en maçonnerie de blocs à bancher plutôt que par prémurs. Par ailleurs, les fondations du Théâtre ont été partiellement déstabilisées par les travaux de réalisation du parking souterrain en 1991, nécessitant d’apporter un soin particulier sur les travaux de reprise en sous-œuvre. […] Finalement, seuls les refends porteurs de façade et transversaux, la charpente bois et sa couverture, ainsi que les dallages sur terre-pleins du rez-de-chaussée ont été conservés”, poursuivent les ingénieurs de Batiserf.

Le cadre de scène

Le cadre de scène

En parallèle de la reconstruction de l’intérieur, une extension neuve de 6 m est greffée à l’arrière du Théâtre (possible puisque l’édifice n’est pas classé). “Son ossature générale est en béton armé, majoritairement réalisée à base d’éléments préfabriqués d’usine de type prémurs et prédalles, associée à une charpente métallique, support du complexe de couverture identique à l’existant. Ce choix d’opter au maximum pour des éléments préfabriqués d’usine a été dicté pour des raisons de planning”, précise Pierre Bisotto. Cet ajout sur toute la hauteur a été essentiel afin de reloger tous les espaces destinés à l’administration, aux techniciens et aux artistes.

Non seulement il a fallu renforcer tout le pourtour intérieur du Théâtre mais aussi assurer la tenue des fondations existantes pour la création du sous-sol technique, dédié aux locaux techniques, dont la zone de traitement d’air de la salle, dans la partie de l’existant et dans l’extension. Ainsi est réalisée “une paroi micro-berlinoise pour l’ensemble des voiles périphérique du sous-sol contre l’existant, ouvrage de soutènement à base de micropieux rapprochés (distant de 1 m à 1,50 m maxi) associés à une paroi en béton projeté”. Une étape non des moins délicates puisque le nouveau sol se situe à 10 cm de la nappe phréatique.

La salle

La salle

Entre passé et modernité

L’extension marque volontairement l’évolution du Théâtre vers la modernité. Les toitures en zinc viennent se raccorder alors que la façade arrière en semi-rideau est en fort contraste avec le reste du bâtiment ; même si nous retrouvons la géométrie et la sobriété de l’architecture néoclassique. “Ce contraste correspond aux vérandas présentes dans l’architecture de l’environnement proche du Théâtre et datant également du XIXe”, explique Maria Godlewska. Un autre rappel à l’époque originelle du Théâtre se lit sur les longs brise-soleil. D’étroites tôles noires perforées d’environ 7 m de haut laissent en effet découvrir un motif de fleur d’acanthe dessiné par l’agence d’architecture ; motif qui sera parsemé à l’intérieur et à l’extérieur comme une signature élégante.

L’entrée principale du public s’effectue par la façade donnant sur la place du Théâtre. Nous pourrions nous attendre à une reconstruction similaire au hall déjà connu. Or, passé le sas central, nous entrons dans un charmant hall de 95 m2 dont l’agencement est moderne et épuré. Avec une importante hauteur sous plafond et une attention à l’apport de lumière naturelle, ce premier espace d’accueil est d’autant plus engageant. L’œil du public se laisse guider automatiquement par le fond rouge du comptoir d’accueil. Ce dernier, de taille très modeste pour toutes les fonctions attribuées (accueil/vestiaire/bar), est enclavé dans une petite coquille bombée d’environ 10 m2 dont la forme contraste avec les cadres de porte noirs bien marqués. L’enveloppe de l’accueil et le revêtement du sol donnent à ce premier volume une jolie et discrète note minérale.

Vue de la salle et de la régie

Vue de la salle et de la régie

De part et d’autre du hall, deux cages d’escalier, protégées par des portes vitrées coupe-feu, mènent aux différents étages. Un mur d’échiffre en tôle perforée, reproduisant le motif de feuille d’acanthe, filtre gracieusement la lumière et met en jeu une lecture de l’espace à multiples niveaux. À l’entresol, une petite mezzanine d’environ 40 m2, simplement meublée pour l’attente des spectateurs, surplombe le hall. Son garde-corps totalement vitré crée un lien direct avec le reste du hall et dynamise l’espace. De nouveau, l’apport généreux en lumière permet de ne pas s’y sentir oppressé malgré une hauteur sous plafond diminuée.

Le cœur

Le cœur du Théâtre est directement accessible depuis le hall par des sas à cour et jardin, mais également depuis les escaliers latéraux donnant accès au premier balcon. La salle mesure 210 m2 avec une jauge de 313 places au parterre. Or, si l’ancien Théâtre demeurait dans les tons ocre et bleu ciel, c’est le rouge qui a été choisi par la maîtrise d’œuvre pour redynamiser le lieu et lui donner une forte personnalité. Un rouge qui englobe toute la salle : les murs sont revêtus d’un tissu imprimé où nous retrouvons le fil conducteur de la fleur d’acanthe et les fauteuils en velours bordeaux tranchant légèrement avec le reste. “Maria a su recréer un théâtre où nous avons envie de prendre le temps d’admirer l’esthétique en détail avant le lever de rideau, comme une première partie de spectacle”, nous confie Thierry Guignard.

Vue sur les balcons et le plafond

Vue sur les balcons et le plafond

Malgré ces fortes tonalités, l’avancée du premier balcon et la proximité avec la scène créent une ambiance feutrée et intimiste. Sous la volonté de la maîtrise d’ouvrage, il n’a pas été question de créer de fosse d’orchestre pour justement maintenir ce rapport scène/salle rapproché. La régie, quelque peu étroite, est installée en fond de salle pour dégager au maximum les circulations du public, optimiser la jauge et assurer une bonne visibilité. “Il fallait tout de même que nous ayons des rappels de l’existant car les gens y sont attachés”, pointe l’architecte. La composition des balcons (balcons public et technique) précédents est donc respectée mais ces derniers diffèrent de par leurs formes plus amples et harmonieuses qui semblent embrasser toute la salle. Le cadre de scène aux dimensions imposantes est agrandi, renforcé par des reprises en sous-œuvre au droit des poteaux du portique monumental en béton armé.

La cage de scène

La cage de scène

Ces marques d’agrandissement et de modernité sont magnifiées par le travail de l’entreprise Rouveure Marquez, sous-traitant de l’entreprise ERBA, un travail en staff finement réalisé au niveau du cadre de scène, des rambardes, des balcons et du plafond, pensé pour être un potentiel support de projection vidéo. Ici, la complémentarité des techniques acoustiques intégrées à l’esthétique de la salle est remarquable. “Les projets de rénovation sont toujours des défis car ce sont des contraintes par rapport aux géométries fixes. […] Le jeu est de s’en servir pour développer au mieux le projet et lui donner une signature acoustique propre”, exprime Federico Cruz-Barney, acousticien au Studio DAP. Ici, il était donc question de bien mesurer la ligne de courbe, la taille, la profondeur et les nez des balcons pour obtenir un son enveloppant et homogène sans se sentir dans une caverne. Le plâtre utilisé par le travail en staff permet en effet de “donner une vivacité au son” alors que les nez des balcons éclatent bien le son et évitent les réflexions franches. Les revêtements muraux, habillés par le tissu floral, mais également les discrets parements en bois en fond de salle permettent une réverbération contrôlée. Toutes les nuisances liées à la climatisation sont maîtrisées par un soufflage en vrac via des grilles au niveau du parterre et du premier balcon. La reprise via une grille est située sur le balcon technique.

Le gril

Le gril

La scène, d’environ 200 m2, est généreuse avec une ouverture du cadre à 12 m, une largeur de 19 m et une profondeur de 11 m. Avec un plancher posé sur lambourdes, la scène est pensée et adaptée à une programmation classique. L’arrière-scène de 46 m2, se situant dans la partie de l’extension, est séparée du plateau par deux larges portes coulissantes. Cet espace permet un accès direct à l’espace extérieur de livraison pour le déchargement des décors, mais peut également être utilisé pour des spectacles comme prolongement de la scène ou en loge supplémentaire. Pour un confort acoustique absolu, le Théâtre se dote d’une imposante porte acoustique extérieure allant jusqu’à 53 dB d’affaiblissement acoustique, protégeant ainsi la salle de l’animation du centre-ville, notamment des nuisances de la circulation.

Une nouvelle fois, l’espace technique est optimisé tout en se modernisant avec une machinerie contemporaine composée de vingt-six perches motorisées à vitesse fixe ainsi que de nombreuses passerelles en pourtour de la scène distribuées sur deux niveaux. Le nouveau gril technique est à 11,84 m et le faux gril à 14,20 m de hauteur, offrant de bonnes possibilités pour les spectacles. “Nous avons un joli outil de travail. […] C’est un lieu très fonctionnel”, conclut Frédéric Ciscardi, directeur technique du Théâtre. Chacune des passerelles mène justement aux balcons des niveaux respectifs en passant par les loges techniques, fluidifiant ainsi les circulations scène/salle/hall. La légère différence de niveau et l’étroitesse de ces couloirs peuvent rendre toutefois contraignants les passages de matériel entre les locaux côté scène et le balcon technique (58 m2).

Les loges

Les loges

Le premier balcon représente une superficie de 111 m2. Il est uniquement destiné au public en augmentant la jauge de 141 places avec une visibilité optimale. Au total, le théâtre possède 454 places, 200 places supplémentaires après l’opération de réhabilitation. Enfin, une lisse d’accroche le long de la courbure du balcon augmente les possibilités des techniciens ; un usage qui nécessitera la réalisation d’une échelle afin de ne pas se limiter au deuxième balcon.

Toujours au R+1, dans la partie existante, les spectateurs peuvent profiter du foyer, salle de réception d’une surface de 100 m2. Entièrement restaurée avec un plancher clair, un faux plafond acoustique et un revêtement mural blanc, la pièce est extrêmement lumineuse et agréable. Des luminaires modernes et longilignes ponctuent la salle pour venir en contraste avec le style classique et institutionnel des trois portes fenêtres, aux huisseries boisées peintes en blanc. Ces dernières donnent accès à un petit balcon dominant la place du Théâtre.

Le mur d’échiffre

Le mur d’échiffre

L’extension

En parallèle de la reconstruction de l’intérieur, l’extension raccordée à l’arrière du Théâtre est créée sur trois étages. Y sont distribués, de manière fonctionnelle, les loges d’artistes, les bureaux ainsi que les divers espaces techniques (chaufferie, atelier, gradateurs, …). La circulation verticale de ces espaces est largement fluidifiée par la présence d’ascenseur et escaliers sur les parties latérales. Les cinq loges sont d’esthétique très simple et toutes équipées de sanitaires pour le confort des usagers. Exposées sud, les ouvertures profitent des brise-soleil en feuille d’acanthe, ajoutant un petit cachet et de l’intimité aux espaces. Les pièces sont sobres mais avec une attention particulière aux finitions, notamment sur les huisseries vernies et les revêtements de portes rappelant la ligne marbrée du hall. Quant aux équipes techniques, leur zone se concentre au niveau R+2 pour un accès direct au balcon technique et une meilleure circulation du personnel.

Coupe longitudinale - Document © Agence Maria Godlewska

Coupe longitudinale – Document © Agence Maria Godlewska

Futures capacités

L’opération aura également permis un dégagement des combles dans la partie existante du Théâtre. Pensé pour être aménagé dans le futur, l’espace est déjà facilement accessible par escaliers et ascenseur. Même si aveugles, ces 200 m2 avec poutres de charpente apparentes ont déjà un certain cachet et pourraient en effet être réinvestis en une large salle de répétition.

 

 

  • Surface : 1575 m2 SDP
  • Budget : 6 660 000 € HT
  • Calendrier : livraison en mars 2021
Facebook
LinkedIn

à propos de l'auteur

CONNEXION