La simplicité du mouvement
Toutes les photos sont de © Patrice Morel
Le Pavillon de la danse, lieu de résidence de l’ADC (Association pour la danse contemporaine) est un édifice lisible et élégant, posé sur la Place Sturm, dans un quartier résidentiel en bordure de la vieille ville et sur les hauteurs de Genève. La structure démontable met en scène le mouvement – thème principal de sa fonction – dans son architecture et agit comme un révélateur urbain qui organise un espace public avec vue sur l’église russe et le Jura en surplomb.
Recherche d’un lieu pour la danse
Le Pavillon a pu exister grâce à la persévérance de l’ADC et de sa directrice Anne Davier après un long combat pour avoir un lieu pour la danse à Genève. Très active depuis 1986 – date de sa création – et bénéficiant d’une convention quadriennale avec la Ville de Genève, l’ADC a pour objectif la sensibilisation à la danse contemporaine avec la présentation de créations chorégraphiques, coproductions et accueils ainsi que des médiations et collaborations avec des écoles professionnalisantes de danse. Provisoirement installée depuis 2004 dans la salle communale des Eaux-Vives, l’ADC s’activait pour créer une “maison de la danse”. Celle-ci ne va pas être réalisée à cause d’un référendum votant contre ce projet. La Ville voulant récupérer la salle communale, il était urgent que l’ADC propose un nouveau projet ; celui-ci va durer de 1997 à 2020.
En 2013, le concours pour la construction d’un lieu dédié à l’art chorégraphique contemporain est lancé. Alexandre Forissier, ingénieur scénographe, a rédigé pour l’ADC les détails de ce concours. Soixante-cinq équipes internationales ont participé et c’est l’agence ON Architecture de Lausanne avec leur projet “Bombatwist” qui a été choisie. Dans un deuxième temps, après un appel d’offre, Changement à Vue a eu la mission pour la scénographie. Depuis 2014, Daniel Demont, directeur technique de l’Arsenic (centre d’art scénique contemporain de Lausanne), a été mandaté pour suivre le projet auprès de la directrice, présente à toutes les réunions.
Le projet du Pavillon de la danse a pu avoir l’autorisation de construction en 2019, malgré le référendum et les oppositions des riverains. La demande était d’avoir un bâtiment démontable même si au niveau constructif cela devenait plus complexe. Son implantation a été négociée pour une durée de sept ans avec l’association des riverains.
La salle, élément central
Comme l’explique Anne Davier, “le Pavillon de la danse a été pensé pour la danse. Il est fonctionnel et adapté à cet art”. Le lieu a donc été imaginé pour une seule et même fonction. Sur un terrain contraint, le volume de 51 m de long et 19 m de large, avec une hauteur de 11 m, est implanté au bout de la Place et dégage un grand espace pour une esplanade. Le programme architectural est composé d’une grande salle dans son centre et à chaque extrémité, des épaisseurs techniques contiennent les autres éléments programmatiques. L’élément principal du programme est donc la salle d’une dimension de 16,85 m x 24,65 m et 9,05 m sous poutres, d’une jauge de 200 à 230 assis et 400 debout. Le plancher de scène n’est pas orienté, le gradin est démontable. La circulation cour/jardin est possible au lointain. La liaison de part et d’autre du bâtiment s’effectue par les passerelles de la salle puisqu’il n’y a pas de circulation face/lointain. Le Pavillon s’organise sur deux étages plus mezzanines, uniquement hors-sol. L’accès au bâtiment est de plain-pied. Du côté de la Place, au rez-de-chaussée, se trouvent l’accueil et le bar. Un escalier et un ascenseur permettent l’accès au R+1, un plateau complètement vitré avec les bureaux de l’administration et un centre de documentation, ainsi qu’une salle polyvalente et des sanitaires et l’accès à la régie de la salle. De l’autre côté du bâtiment, nous trouvons l’espace de stockage et l’atelier ainsi que l’espace de livraison et les loges. Une loge PMR est aménagée au rez-de-chaussée. Pour des raisons économiques, les dimensions du bâtiment ont été réduites de 10 %. Pour l’équipe, il était important de ne surtout pas toucher à la dimension du plateau ; ce sont donc plutôt les espaces techniques qui ont été repensés.
La structure qui danse
Jean Camuzet, architecte, explique : “Nous nous sommes posés la question de la manière dont ce bâtiment en structure bois pourrait retranscrire le lieu qui l’accueille. Nous avons proposé une structure porteuse sur laquelle le mouvement est imprégné. Dans notre imaginaire, une danseuse serait passée dans le bâtiment et aurait laissé son empreinte. La chronophotographie (photographie qui a pour but de décomposer le mouvement) a guidé notre recherche et nous avons proposé une succession de cadres de bois se déformant pour imprimer puis figer un mouvement”.
Le volume est constitué d’une structure répétitive autocontreventée et posée sur un radier en béton, sans volume souterrain. Le terrain étant pollué, il ne pouvait y avoir d’excavation. Le bâtiment peut durer plus de quatre-vingts ans.
Comme la structure porteuse est située de chaque côté du bâtiment, les deux seules ouvertures ne pouvaient être qu’aux extrémités. “Les normes incendie en Suisse sont très contraignantes ; proposer des issues uniquement aux extrémités était donc impossible. Les services voulaient des ouvertures de chaque côté, ce qui n’était pas l’intention du projet. Après de nombreuses discussions, nous avons installé au plafond du foyer un rideau coupe-feu qui tombe en cas d’incendie afin de créer une voie de fuite.”
Vingt et un portiques monumentaux composés de quatre-vingt-quatre cadres symétriques en mélèze lamellé-collé, préfabriqués en atelier à Genève, ont été assemblés sur place. Les éléments de structure sont clipsés dans des rotules. “Les éléments sont montés en L, par groupe de trois, permettant d’avoir des poutres moins longues et facilitant aussi leur transport en ville. Cela nous permettait de n’utiliser que deux grues. Trois modules par jour étaient montés et le montage a duré six semaines. C’était un chantier rapide mais la coordination au préalable a été longue. Il était important, à chaque fois que nous le pouvions, de présenter les assemblages pour prouver que le bâtiment était démontable. Ainsi, nous avons fait les assemblages sur place lorsque les efforts demandés pour la structure étaient les moins importants. Cependant, à l’endroit où il y avait davantage d’efforts, les assemblages étaient effectués dans l’atelier.”
Une structure porteuse en bois et à l’air libre pose des questions d’étanchéité du bâtiment. Recouvrir tout le bâtiment d’un chéneau devenait irrationnel en termes de linéaire d’acier. “Nous avons alors proposé de faire un faux chéneau intégré dans la structure du bâtiment. D’autre part, le fait que nous retrouvions le même mouvement des parois dans la toiture aide à créer une ventilation.”
La structure est désolidarisée du mur intérieur et dans l’épaisseur, toute la technique et la ventilation sont intégrées. Ce principe a surtout un bénéfice acoustique, un enjeu fort de ce projet. L’environnement urbain est bruyant et les spectacles ne devaient pas être dérangés par les nuisances extérieures ainsi que les habitations par le bruit de la salle. Grâce à la boîte dans la boîte, la transmission des sons et des vibrations est coupée. Les deux bandes techniques contribuent aussi à l’isolation acoustique. Les parois sont en mélèze et épicéa. À l’intérieur de la boîte, les matériaux utilisés ne coûtent pas cher, comme les panneaux en paille compressée du plafond de la salle, bénéfiques pour l’acoustique, ainsi que les panneaux microperforés.
Wind you never felt
Une œuvre artistique a été pensée pour le hall d’accueil, s’inscrivant dans l’esprit du mouvement qui règne dans le bâtiment. Grâce au FMAC (Fonds d’art contemporain de la Ville de Genève), au DCTN (Département de la culture et de la transition numérique), et une collaboration entre l’ADC, la DPBA (Direction du patrimoine bâti de la Ville) et ON Architecture, un concours a été organisé auprès de six artistes locaux. L’installation lumineuse et cinétique de Rudy Decelière Wind you never felt (le vent que tu n’as jamais senti) a été retenue. L’œuvre est composée de 1 687 unités montées à la main, une par une. Les fils et bobines – fabriqués à partir d’acier, de cuivre et de diodes électroluminescente (LEDs) – se balancent grâce à des impulsions électriques induisant une réaction électromagnétique. Le mouvement des pièces de l’installation est aléatoire, sans réelle organisation.
Le Pavillon est une des premières salles construites pour la danse à Genève. Son architecture porte le récit de sa fonction. La programmation ambitieuse démontre le dynamisme de l’art chorégraphique et, par conséquent, la nécessité d’un lieu dédié à cet art.
Générique
- Maître d’ouvrage : Ville de Genève, Direction du patrimoine bâti
- Maître d’usage : ADC (Association pour la danse contemporaine)
- Maîtrise d’œuvre : ON Architecture, Jean Camuzet, Lausanne
- Scénographie : Changement à Vue
- Acoustique : Architecture & Acoustique
- Ingénierie civile : Ratio Bois
- Œuvre du foyer : Rudy Decelière
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Coûts des travaux : 8,1 M€ HT
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Surface : 1 633 m2
- Livraison du bâtiment : mai 2020