Des microfestivals maxi exigeants

Ils ne rassemblent que quelques centaines de personnes autour de leur programmation mais ne s’en plaignent pas. Bien au contraire ! Les microfestivals gagnent depuis quelques années des publics fidèles, séduits par leur côté intimiste, leurs valeurs (écoresponsabilité, inclusivité) et leur rôle de défricheurs culturels.

Concert du musicien Brecht Ameel, festival Baignade Sauvage, août 2021 - Photo © Jean-Luc Clercq-Roques

Concert du musicien Brecht Ameel, festival Baignade Sauvage, août 2021 – Photo © Jean-Luc Clercq-Roques

Aux yeux de la loi, leur événement est plus proche du mariage que du festival, se plaisent à dire les organisateurs de Paturia. “Notre jauge est limitée à quatre-cents personnes. Nos festivaliers doivent adhérer à notre Association pour pouvoir venir. Nous avons un statut de fête privée et non pas d’ERP (Établissement recevant du public)”, détaille Antoine Odin, cofondateur de cette manifestation dont la troisième édition aura lieu les 19, 20 et 21 août, dans une petite commune près de Rodez, dans l’Aveyron. Une taille humaine que Paturia défend tout autant que les artistes de musiques actuelles (au sens le plus éclectique du terme) qu’il promeut. “C’est rassurant. Nous avons envie de rester libre. Or, plus il y a de monde et plus les choses nous échappent”, commente Marie Desseauves, également à l’origine du projet.

Paturia qui, comme une myriade d’autres propositions culturelles apparues ces dix dernières années en France et en Europe, se définit volontiers comme un “microfestival”. Une appellation que revendique aussi ATOM Festival qui, pour sa dernière édition en août 2021, a réuni quelque neuf-cents personnes à Payra-sur-l’Hers, village de l’Aude, autour d’une programmation plutôt axée sur les musiques électroniques. “Les jauges augmentent beaucoup depuis une vingtaine d’années dans les festivals de musiques actuelles. Cela s’accompagne d’un sentiment de malaise chez une partie des publics”, assure Pablo Belime, coordinateur d’ATOM. Selon lui, “l’émergence d’un mouvement de fond autour des microfestivals depuis sept ou huit ans”, répond à un désir de respiration exprimé par certains festivaliers. “Les gens nous disent qu’ils se sentent bien à ATOM, qu’ils ont de l’espace et que notre format réduit permet de se sentir vraiment proches des autres”. Et non les uns sur les autres…

Jauges limitées

Nous proposons une offre de rupture par rapport aux événements qui n’en finissent pas de grossir et aux grands festivals où les gens sont entassés comme du bétail”, lance de son côté Benjamin Maumus, cofondateur de Baignade Sauvage. Ce festival itinérant de musiques “hors normes” (c’est-à-dire aventureuses, inclassables et/ou confidentielles) organise, pour la seconde année consécutive, une série de concerts le long de la vallée du Tarn, dans le département du même nom, du 25 au 28 août prochain. Une manifestation lancée en 2021 avec, en matière de jauge, la modestie pour ambition : il ne peut accueillir, au mieux, que cinq-cents personnes par soir. Ses animateurs ont d’ailleurs mis fin à leur précédent festival, “Baignade Interdite”, pour cause de succès public… “Nous étions arrivés à la fin d’un cycle, après huit éditions et une annulation pour cause de Covid en 2020”, explique Benjamin Maumus. “Nous sommes passés progressivement de quelques centaines de festivaliers à près de 1 400 personnes, ce qui commençait à faire beaucoup. D’autant que nous organisions cet événement dans les bassins d’une piscine désaffectée et que nous étions confrontés à des problématiques d’accessibilité. Les contraintes augmentaient, les bénévoles commençaient à saturer. Nous avons alors entamé une réflexion sur une décroissance maîtrisée.

Une démarche et un sentiment partagés par Paturia. “Publics et organisateurs ont la volonté de se retrouver dans des événements où ils se sentent considérés”, estime Marie Desseauves. Car, plus encore que les artistes, ce sont les festivaliers qui sont mis au cœur de ces rassemblements intimistes que sont les microfestivals. “Nous souhaitons créer un esprit de communauté, en faisant en sorte que les gens vivent au même rythme durant le Festival. Ainsi, par exemple, les repas sont compris dans le prix de nos entrées et tout le monde mange au même moment”, poursuit-elle. Cette dimension peut également se concrétiser dans des choix scénographiques, comme l’illustre Pablo Belime et ATOM : “Pour notre prochaine édition qui aura lieu en 2023, l’une de nos scènes sera au ras du sol et le DJ sera entouré par le public. Ce dernier sera au centre du dispositif. Nous voulons que l’espace soit un lieu de rencontre et sortir du rapport purement frontal entre artiste et spectateurs”.

ATOM Festival mise sur la sobriété et la récupération (scénographie d’Andy Pero) - Photo © Lilian Thibault

ATOM Festival mise sur la sobriété et la récupération (scénographie d’Andy Pero) – Photo © Lilian Thibault

Écoresponsabilité

Toutefois, au-delà de la question du “bien-être” des personnes, pour Pablo Belime, un faisceau de multiples facteurs explique l’apparition et l’essor du phénomène “microfestival”. “Le microfestival reprend les caractéristiques générales d’un festival classique car il est récurrent, limité dans le temps et dans l’espace ; cependant, il s’en démarque par sa taille ainsi que par des préoccupations sociales, artistiques et environnementales spécifiques”, précise-t-il. Les organisateurs de microfestivals mettent d’ailleurs souvent en avant le lien entre jauges “raisonnables” et écoresponsabilité ; certains d’entre eux ont fait de l’écologie l’un des éléments constitutifs de leur identité et de leur image. Citons par exemple le Slowfest, festival girondin itinérant dont nous avons déjà parlé dans ces colonnes (AS 233) et qui mise sur la sobriété énergétique (concerts acoustiques ou amplifiés avec une sono solaire, déplacement doux, …) ou encore, en Indre-et-Loire, Sarcus, autoproclamé “festival champêtre” et qui propose au public de laisser leurs smartphones à la maison pour mieux se connecter à la nature et aux autres durant quelques jours.

Une nature que les microfestivals choisissent fréquemment comme décor, à l’image de Baignade Sauvage qui organise des spectacles au bord de la rivière Tarn, sur des plages de galets ou encore sur une colline surplombant un méandre du cours d’eau. Le lien entre petit nombre de spectateurs et préservation de l’environnement prend ici tout son sens. “Ce sont des lieux sauvages et préservés. Il y a beaucoup de forêts aux alentours et les étés sont très secs. Nous faisons beaucoup de sensibilisation sur les feux”, confie Benjamin Maumus. Cette volonté de ménager les sites investis peut se matérialiser par la mise en œuvre d’une scénographie “douce”, ayant pour ambition de faire corps avec les lieux. Ainsi, Amalia Jaulin, responsable de la scénographie de Paturia, a créé pour l’édition 2021 des dispositifs s’inscrivant au mieux dans la forêt où se déroulait le Festival. “J’ai composé une décoration simple et champêtre. Par exemple, une structure sur laquelle étaient disposés des végétaux, suspendus au-dessus de la scène principale. Concernant la lumière, nous avons travaillé sur des choses sobres, avec une colorimétrie naturelle et très simple, sans trop de mélange et de saturation.

Défricheurs culturels

L’ensemble de ces orientations portées et défendues par les microfestivals renvoie finalement à une seule et même mission : promouvoir une autre façon de vivre la musique live. “J’ai l’impression que les gens prennent de moins en moins de plaisir à se retrouver dans des marées humaines. Ils cherchent à sortir de l’acte consumériste consistant à acheter une place pour aller voir un artiste dont nous connaissons les chansons par cœur. J’ai le sentiment que cela s’est accentué avec l’épidémie de la Covid-19”, analyse Benjamin Maumus.

En ce sens, les microfestivals renouent avec une certaine tradition de défrichage. Un rôle autrefois assuré par les bars et les petites salles de concert associés depuis la fin des années 60’ à différents courants underground de la musique rock (psychédélisme, punk, post-punk, rock indépendant) et par les “free party” dans les années 90’ et 2000 ; même si, dans le cas présent, les choses sont globalement plus cadrées en matière d’organisation. Citons par exemple ATOM dont l’équipe élabore collectivement la programmation en s’appuyant sur des quotas : 75 % des projets artistiques présentés doivent être soit des premières scènes soit avoir moins de cinq ans. Ils doivent par ailleurs être portés pour moitié par des femmes et des hommes. “Nos événements ont à voir avec un certain renouvellement des pratiques chez une partie des publics. Pour ces personnes, ce n’est pas grave de ne pas connaître les noms des artistes programmé.e.s. Elles savent qu’elles seront étonnées par ce qu’elles vont découvrir chez nous”, explicite Pablo Belime. “Lorsque nous avons lancé Baignade Interdite, il nous semblait que le paysage des festivals français était trop cloisonné d’un point de vue esthétique”, relate quant à lui Benjamin Maumus. “Nous voulions pouvoir faire se rencontrer du rock, de la musique contemporaine ou des musiques improvisées. Mais toujours dans une volonté de présenter des choses pas très médiatisées et des artistes qui prennent des risques.” Le désir de surprendre le public s’allie alors à l’exigence de soutenir des créateurs émergents. “Nous voulons mettre en avant des choses rarement présentées en France. Des programmateurs ont commencé à venir à Paturia et le Festival est devenu un bon moyen pour certains artistes de tester leurs performances et même de se faire repérer”, affirme Antoine Odin.

L’artiste sonore et visuel Mika Oki au Château de Marcoux (Haute-Loire), Festival Paturia, juin 2021 - Photo © Caroline Dussuel - Paturia

L’artiste sonore et visuel Mika Oki au Château de Marcoux (Haute-Loire), Festival Paturia, juin 2021 – Photo © Caroline Dussuel – Paturia

Le rapport aux territoires

Des programmations pointues et exigeantes qui interrogent néanmoins la notion de proximité avec les territoires dans lesquels s’inscrivent ces manifestations et leurs habitants. “La première édition de Paturia a eu lieu en 2020 dans une commune de l’Allier. Nous souhaitions inscrire l’événement dans le paysage local et apporter, sans être prescripteur, des propositions artistiques éloignées des pratiques culturelles locales. Nous nous sommes heurtés à des amalgames ou à de la méfiance de la part de certaines personnes, mais cela reste une minorité”, confie Marie Desseauves. “Il y a évidemment de l’entre-soi dans ce genre de festival de petite taille. Mais ce qui nous intéresse, c’est aussi d’échanger avec des habitants, des producteurs locaux et d’essayer de faire tomber des préjugés.

Parvenir à mélanger les publics reste l’un des plus grands défis des microfestivals qui, à bien des égards, apparaissent comme des événements urbains organisés à la campagne. Mais des décloisonnements semblent possibles. “Une partie importante de notre public vient plutôt des villes”, avoue Benjamin Maumus. “Mais un tiers vient du milieu rural et n’a pas forcément l’habitude d’aller voir des concerts. Le fait d’intégrer les gens à l’organisation, de demander de l’aide facilite les choses.

Les liens qui relient les microfestivals à leurs territoires d’attache peuvent cependant se tisser autrement. ATOM a par exemple fait le choix de programmer 50 % d’artistes régionaux. Un sujet sur lequel les avis sont partagés alors que le débat autour des “changements d’échelle” de production et de diffusion traverse le secteur du spectacle vivant, en particulier depuis la publication du rapport du Shift Project, ”Décarbonons la culture !” en 2021(1). “Notre bilan carbone est un sujet épineux car nous faisons parfois venir des artistes de loin”, reconnaît Benjamin Maumus. “Mais ce serait dommage de ne faire jouer que des groupes venant d’un rayon de 100 km et de ne pas faire découvrir des gens qui n’ont jamais joué en France.

Petits, certes, mais jamais étroits d’esprit.

 

 

 

Notes

(1)   Lire notre entretien avec David Irle, “Une bonne scénographie comporte un vide.” dans l’AS 240

 

 

Les microfestivals interrogés

  • ATOM Festival
    Événement inauguré en 2018, à Payra-sur-l’Hers, commune de quelques 200 habitants, près de Castelnaudary, dans l’Aude. Un village que l’événement n’a depuis plus quitté malgré une annulation en 2020 pour cause de pandémie. Après une édition 2021 qui a réuni près de 850 festivaliers pour une jauge limitée à 1 000, ATOM a fait le choix de se mettre en veille en 2022 pour mieux revenir les 25, 26, 27 août 2023 avec une programmation pluridisciplinaire largement centrée sur la présentation d’artistes émergents. Plus d’infos sur www.atomfestival.fr
  • Baignade Sauvage
    La première édition de Baignade Sauvage a eu lieu fin août 2021 sur les bords du Tarn, dans le secteur d’Albi. Une formule que l’association Triple A renouvelle cette année, du 25 au 28 août. À l’affiche : Ben Bertrand, clarinettiste belge qui donne un souffle inédit à son instrument en utilisant des boucles et des pédales d’effets, Archetypal Syndicate, trio parisien mélangeant musique improvisée et sonorités traditionnelles, l’accordéoniste norvégien Frode Halti ou encore Ruth Goller, chanteuse et bassiste britannique inclassable, pour ne citer que quelques uns des musiciens “hors normes” programmés. Plus d’infos sur baignade-sauvage.fr
  • Paturia
    Après Mazirat (Allier) en 2020 et Montregard (Haute-Loire) en 2021, Paturia et l’association Soleil Rouge investissent un petit village de l’Aveyron, du 19 au 21 août 2022 (les organisateurs souhaitent pour l’instant rester discrets concernant le lieu exact de la manifestation). Au programme, trois jours de fête, de musique et de découvertes en pleine nature. Surprises garanties ! Plus d’infos sur www.facebook.com/soleilrougecollectif/
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