Il grandit dans le Périgord noir, en Dordogne, non loin des Grottes de Lascaux, à Montignac dans la vallée de la Vézère. C’est bercé à cet art pariétal qu’il rejoint Bordeaux puis Paris, direction les Arts Déco – l’EnsAD, où il rêve de construire des décors de cinéma. C’est l’époque où Richard Peduzzi dirige l’École accompagné de Françoise Darne et Guy-Claude François pour la section scénographie. Les Arts Déco sont infusés au théâtre. Il fait ses premiers pas dans le métier aux côtés de Félix Lefebvre comme assistant au bureau d’études du Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence. Depuis, il déploie son art avec un œil vif et un savoir-faire avéré. Il sculpte l’espace à force de sens.
Inspiration(s)
Robert Wilson, Tom Waits, Kathleen Brennan, Woyzeck d’après Georg Büchner, … Au Théâtre de l’Odéon, à l’aube du deuxième millénaire, la poésie de l’imagerie wilsonienne l’hypnotise : “C’était extrêmement marquant car très différent de tout ce que nous pouvions voir au théâtre”. Il infiltre la Comédie-Française en stagiaire pour assister le maître Wilson. Ces expériences le conduisent au Watermill Center. Dans un autre registre, Jérôme Bel à la Ménagerie de Verre, Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma l’inspirent. Aux Arts Déco, une émulation se crée ; il voit des spectacles. Les deux premières années, il touche à tout.
“C’est la grande force de l’École dans le parcours scénographie. Nous avons accès à l’ensemble des outils numériques, aux cours de graphisme, de multimédia, de vidéo, de gravure, de peinture, de sculpture, … Il y a des cours liés à l’espace, à l’architecture, au design mobilier. Au sein d’un même projet, il est possible de croiser les ateliers, de travailler à la pluridisciplinarité. Nous acquérons des savoir-faire, mélangeons les domaines d’apprentissage. Cela s’oppose à un enseignement compartimenté. La spécialisation advient en troisième année. C’est passionnant. Se rencontrent l’illustration et quelque chose qui a à voir avec l’espace, c’est une approche de la scénographie singulière. Cela imprime un mode de pensée. Les Arts Déco forment des concepteurs, des personnes capables d’inventer des formes nouvelles. L’idée du décor de théâtre n’existe pas vraiment, nous essayons d’inventer des formes qui font résonner du sens, expérimentons des matériaux peu exploités pour faire naître de nouvelles formes.”
Des chocs esthétiques, des rencontres et des compagnonnages naîtront un art de sculpter l’espace, une attention à la lumière et l’intime conviction de la puissance de la matière.
Immersion(s)
L’expérience de deux années en immersion dans le bureau d’études du Festival d’Aix-en-Provence pose les fondations. Patrice Chéreau crée Cosi Fan Tutte, Peduzzi est présent. L’apprentissage est conséquent. Suivi de construction, acquisition de savoir-faire, confiance et légitimité. À Aix, il complète sa formation avec un solide bagage technique et logistique.
“J’ai beaucoup appris, dans les discussions avec les peintres, les équipes techniques.”
Il apprend et comprend l’endroit de travail du scénographe dans la machine théâtrale. Il invente, au fil du temps, sa place de collaborateur. Il sait comment travailler avec les autres corps de métier. Il connaît la nécessité d’amener sur un plateau un dispositif prenant en compte et respectant le temps de travail de chacun. Il sait que le théâtre est une aventure collective, un sport d’équipe.
“Dans les premiers spectacles, le plus intéressant et le plus déstabilisant est la découverte du travail en équipe. Rendre une scénographie, c’est respecter une certaine temporalité. À l’intérieur de ces collaborations, nous pouvons créer une œuvre singulière. C’est cette tension, ce paradoxe qui fait la richesse de ce métier.”
Les espaces qu’il conçoit embrassent la diversité des formes et des éclats scéniques. S’il reconnaît volontiers à travers sa passion pour la lumière, nourrie par des années de collaboration avec Marie-Christine Soma, avoir cherché à travailler sur des scénographies assez plastiques, il se dirige aujourd’hui vers des conversations entre les récits, les metteur.se.s en scène et la place des spectateurs dans l’espace. Trouver des matériaux qui se métamorphosent en lumière, qui transforment les espaces, écrire les différentes voies possibles dans le rapport au projet. Sans conteste le signe du talent, ses plateaux semblent chercher au fil du temps l’épure et la justesse.
Écrire l’espace
Il se souvient des Vagues d’après le roman de Virginia Woolf dans la mise en scène de Marie-Christine Soma, des voilages tendus comme des parois, un mélange de voilages et de miroirs se métamorphosant à force de lumière et qui permettait à l’espace de se dilater. Il se souvient d’Und d’Howard Barker dans la mise en scène de Jacques Vincey, où un ensemble de blocs de glace, tel un grand chandelier suspendu, fondait, chauffé à la lumière des PAR, l’histoire d’une disparition. Il se souvient de Léonce et Léna de Georg Büchner, du fantasme de l’Italie ancienne, du panorama recomposé à partir des paysages italiens de Claude Lorrain, un espace circulaire, un paysage unique imprimé sur toile. Il se souvient de Cataract Valley d’après Camp Cataract de Jane Bowles dans la mise en scène de Marie Rémond, un paysage de camp de vacances avec apparition d’une cascade au milieu des pins ; une nouvelle racontée à la première personne par le prisme de la narratrice qui livre ses perceptions. Il se souvient d’avoir réfléchi à un espace naturaliste qui puisse produire cette sensation d’étrangeté dans la perception. Il se souvient du Ciel de Nantes de Christophe Honoré et de sa joie d’enfant à imaginer un vrai décor de cinéma, celui de ses rêves d’enfant. Un exercice de style, cette demande très claire de travailler sur un ancien cinéma des années 80’. Travailler dans un espace unique qui joue avec le réalisme, un espace donné d’emblée, un espace autoritaire. Il se souvient du travail de recherche de ces lieux, des esthétiques, des réflexions sur le rapport à l’image : écran au lointain ? Sièges tournés vers le lointain ou face public ? Un travail à l’échelle architecturale et un travail dans le détail de chaque chose ; ce qui est rare au théâtre car les budgets ne le permettent pas souvent. Il évoque ces nouvelles voies de la scénographie, ce rapport juste cherché avec le public, comme avec Gurshad Shaheman, Patricia Allio ou encore Marcus Lindeen et son projet L’Aventure invisible. Tous trois, chacune et chacuns à leur manière, interrogent le rapport idéal pour recevoir une œuvre dans des espaces et des dispositifs liés à l’écoute, au fait d’être ensemble, de partager des moments.
“Nous sommes là dans des rapports hybrides, soit circulaires, soit quadri-frontaux qui essaient de trouver la bonne distance et la bonne proximité ; bref qui essaient d’interroger la meilleure façon d’être ensemble dans un espace.”
La recherche de l’hyperréalisme
Un échange avec Mathieu Lorry-Dupuy est infini tant la passion de son métier et l’intelligence de son regard le rendent intarissable. Il est réfléchi, malin, joueur ; il répond à toutes les questions avec une précision et une pertinence vivifiante. Avec Marcus Lindeen qui va chercher un endroit de réel qui tend vers l’hyperréalisme, il construit un espace circulaire dans lequel se rencontreront trois personnes, qui réfléchiront ensemble sur ce qu’est l’identité, et des spectateurs. Les acteurs ont des oreillettes leur permettant d’être très précis tout autant que présents.
“L’échelle des corps dans l’espace est une donnée essentielle et fondamentale. En fonction du nombre de corps présents sur un plateau, l’espace que nous imaginons est lié au volume de ces corps en mouvement. Lorsque nous essayons d’imaginer les corps, les proportions que nous allons donner aux éléments vont créer les tensions spatiales plus ou moins intéressantes.”
À l’heure où nous écrivons, il travaille à Annecy avec François Chaignaud et Geoffroy Jourdain sur la dernière création Tumulus. La scénographie est un objet scénique, une petite montagne sur le plateau. “Nous nous sommes beaucoup inspirés des peintures de Giotto.” Il se prépare également à la conception d’un projet lauréat du programme Mondes nouveaux qu’il porte seul ; un projet plastique sur la question de l’érosion, la disparition, la décomposition. Il souhaite réaliser des objets en sel qui vont s’éroder avec l’eau, la pluie, … Cette installation aura lieu à Marseille.
“Cela me plaît d’avoir la chance de réfléchir à une performance sur plusieurs mois qui évolue avec les éléments naturels.”
Il collabore enfin avec Adeline Rispal et Félix Lefebvre en réponse à l’appel à projet du CNCS (Centre national du costume de scène) qui s’apprête à ouvrir un nouvel espace dédié à la scénographie. Des retrouvailles émouvantes avec celui avec lequel il a débuté.