Villeurbanne en mode projet

La première Capitale française de la Culture

Créé en octobre 2020 pour donner un coup de projecteur à la vitalité artistique des territoires, le label “Capitale française de la Culture” a été décerné pour la toute première fois par le ministère de la Culture. À l’issue d’un appel à candidature qui a mobilisé vingt-neuf communes, Villeurbanne l’a emporté avec la thématique “Place aux jeunes”, un programme ambitieux rassemblant plus de 700 manifestations. Une équipe dédiée gère la profusion et veille à la cohérence du projet ; un back office directement en prise avec les défis techniques, administratifs et artistiques ; une tour de contrôle qui donne à voir l’efficacité du mode projet et ses bienfaits pour l’ensemble des services impliqués.

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael - Photo © Gilles Michallet

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael – Photo © Gilles Michallet

Profusion et non confusion

Les chiffres sont vertigineux : plus de 700 manifestations dont trente festivals, 300 spectacles, quarante-quatre grandes expositions, vingt-deux parcours patrimoniaux, … Le programme de cette Capitale française de la Culture surfe intelligemment entre temps forts et manifestations plus intimistes. Ainsi, une création de Royal De Luxe coexiste avec un concert bruitiste préparé dans les groupes scolaires, un travail d’écriture à destination des collégiens jouxte le dernier spectacle d’Ariane Mnouchkine, … Cette “grande saison” s’accompagne par ailleurs de projets pérennes qui survivront à cette année d’exception. C’est le cas de minimixes, des mini centres culturels directement implantés dans les écoles, pour lesquels la ville investit et crée vingt postes permanents.

Simon Meyer, chef de projet pour la ville de Villeurbanne, insiste sur la solidité de ce programme. Aucune proposition n’est labellisée sans une discussion avec le porteur ; chaque projet est retravaillé dans une logique de co-construction. Simon Meyer et son équipe tissent ainsi des liens entre les acteurs et favorisent la cohérence d’ensemble. La fête de la jeunesse, par exemple, rassemblera cent-quinze bénévoles pour un festival de trois jours dans un parc public. Un budget d’un million d’euros est envisagé pour cette manifestation organisée par des jeunes et pour les jeunes. De la programmation à la technique, en passant par la production, tout est organisé par des bénévoles de 12 à 25 ans. Pour que la magie opère, de nombreux acteurs professionnels ont accepté de jouer le rôle de “parrains”. Les Nuits de Fourvière, Le Transbordeur, le festival Woodstower, … s’impliquent dans une logique de transmission et de partenariat.

Simon Meyer précise : “Nous avons refusé d’inclure dans la programmation les productions nationales qui cherchaient à bénéficier du label dans une pure logique de diffusion. Finalement, nous avons accepté très peu de projets clés en main. Ce qui est intéressant, c’est de créer des contrastes entre les formes d’expression, de s’adresser à tous les publics”.

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael - Photo © Gilles Michallet

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael – Photo © Gilles Michallet

Lorsque nous parlons de la profusion d’événements, le chargé de projet recentre le propos : “Le nombre n’est pas important ; qu’il y ait 600, 700 ou 800 manifestations n’est pas essentiel. Il faut retenir ce que chaque événement raconte. Je peux vous parler de la genèse de chacun de ces projets, la petite histoire qui se cache derrière chacun d’entre eux”.

Co-construction et place à la jeunesse s’imposent comme deux axes majeurs de la programmation. Au fil des discussions, nous croyons en déceler un troisième : la volonté de s’inscrire dans la durée. À nouveau, Simon Meyer explique : “Nous mettons en réseau, animons une communauté, produisons des choses pour l’après. La Capitale française de la Culture est un catalyseur. Nous imaginons des projets, faisons bouger les lignes et mettons les idées en mouvement”. Citons par exemple l’écoresponsabilité ou l’accessibilité. Deux impératifs qui imposent souvent d’inventer des solutions ad hoc au regard des projets portés par la ville de Villeurbanne ; des solutions pérennes qui impacteront les futurs événements de la commune. La position est identique du côté du maire Cédric Van Styvendael et il est catégorique : “Nous ne faisons pas de la communication ! Nous ne sommes pas dans une logique événementielle. Pour moi, ce que nous construisons aujourd’hui doit durer. Nous nous inscrivons dans une volonté de transformation”. C’est pourquoi la Ville a choisi d’internaliser totalement l’ingénierie et la conduite de ce très vaste projet. Un choix courageux si nous considérons les défis auxquels les services techniques sont confrontés.

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael - Photo © Gilles Michallet

Inauguration avec la présence de Roselyne Bachelot et du maire Cyril Van Styvendael – Photo © Gilles Michallet

Défis techniques et administratifs

Un service d’une quinzaine de personnes est directement impliqué dans la conduite de ce vaste projet : un pôle administratif, un service production, des pilotes sur la partie artistique, une équipe technique et même une équipe mécénat. Nous retrouvons ici la structure connue de nos théâtres et de nos festivals. Un service dédié en prise avec les défis techniques et administratifs de la manifestation.

Le directeur de l’équipe technique en charge des événements n’est pas inconnu des services municipaux. Bernard Natalucci – dit “Ber” – est également le directeur technique des Invites de Villeurbanne(1) depuis 2017. Il est ainsi au fait des us et coutumes des services de la Ville. Un sérieux avantage compte tenu des challenges quasi quotidiens. La création de Royal De Luxe, par exemple, générera son lot de questions. Si le contenu artistique reste pour l’instant couvert par le sceau du secret, nous savons que la Compagnie proposera une déambulation pendant trois jours (du 23 au 25 septembre). Deux géants s’empareront de la ville et transformeront les quartiers en plateau de théâtre. Nous imaginons aisément des avenues coupées à la circulation, des parkings improvisés, une gestion complexe des flux de publics, la mobilisation des associations de sécurité civile et des forces de Police, … De “gros événements” exceptionnels par leur taille et leur nombre.

Pour gérer ces “gros événements”, Bernard Natalucci peut compter sur trois collaborateurs permanents : un régisseur chargé des questions de sécurité, un régisseur général et un assistant. Le directeur technique explique : “Nous dégrossissons les dossiers et assurons un suivi régulier. Nous gérons toute la mise en place et confions l’événement à un régisseur un mois avant le début de la manifestation. Nous ne nous en débarrassons pas pour autant ! Nous gardons un œil sur tous les projets”.

Le nombre de manifestations à suivre concomitamment est une gageure. Aller vite, être organisé, sauter d’une réunion à une autre, … le rythme de cette année capitale est soutenu. Le directeur technique affirme “jongler” avec les dossiers mais ne s’en plaint pas. Une quinzaine d’événements mobilisent ainsi l’équipe de “Ber”. Ce dernier souligne que le contexte complexifie toutes les manifestations dans l’espace public. Le risque sanitaire puis la menace terroriste renforcée par la guerre en Ukraine impactent nécessairement la gestion des foules. Face à la complexité de ces situations, la gestion en régie n’est pas vécue comme un handicap, bien au contraire. Le directeur technique précise : “Faire partie des services de la Ville est un gros avantage. Tous les services sont très investis, c’est une aide essentielle. Les réunions en préfecture ont parfois lieu quelques jours avant l’événement concerné. Lorsque des remarques sont formulées, il faut pouvoir réagir très rapidement”.

Minimix de l’école Jules-Ferry - Photo © Julien Roche

Minimix de l’école Jules-Ferry – Photo © Julien Roche

Lorsque nous l’interrogeons sur le potentiel “effet Capitale française de la Culture”, sa réponse est immédiate : “C’est certain ! Dans le cadre de la Capitale française de la culture tout est plus simple ! Tout le monde a envie de s’impliquer, que la Ville brille ! Derrière ce label, il y a une reconnaissance nationale, un rayonnement. C’est fédérateur”. Nous touchons ici une réalité qui transparaît en filigrane dans le discours de toutes les personnes impliquées dans le projet : la fierté d’en être.

Les bienfaits du mode projet

“L’effet Capitale française de la Culture” s’est imposé dès les tous premiers instants, dès la constitution du dossier. Cédric Van Styvendael rappelle que la candidature de Villeurbanne s’est construite avec les acteurs du territoire durant le second confinement. Un projet qui se structure en “visio”. Dans cette période incertaine, difficile de miser sur l’adhésion des professionnels de la Culture. Pourtant, le maire de la commune souligne l’engagement immédiat : “Nous avons tout de suite senti que cela accrochait, nous permettant ainsi de nourrir le dossier de candidature. Cela nous a donné les moyens de nous projeter. Villeurbanne proposait un dossier sans grande tête d’affiche. Royal De Luxe est arrivée plus tard dans l’aventure. Cette énergie collective a rassuré les membres du jury”.

Après l’attribution du label à la ville de Villeurbanne, les propositions des acteurs culturels ont afflué en masse. Simon Meyer parle de “raz-de-marée” : “Les propositions ont afflué de partout ! De Villeurbanne, de la Métropole, de toute la France ! Nous sentions cette volonté très forte de vouloir en être”.

Comment expliquer cet engouement ? La potentialité d’avoir accès à un nouveau marché, un nouveau “canal de vente” n’explique pas tout. En effet, certaines propositions bénéficient du label “Capitale française de la Culture” sans pour autant profiter de subsides. Certaines structures sont ainsi disposées à mobiliser leurs ressources propres pour inscrire leur projet dans ce programme capital. Il y a donc bien “une volonté d’en être”, une volonté de “briller” et de faire briller Villeurbanne pour reprendre les termes de Bernard Natalucci.

Simon Meyer a parfaitement conscience de cette énergie collective et de ses bienfaits : “Nous nous appuyons sur tous les services de la Ville : logistique, sécurité, vie économique, juridique, vie associative, … Ce projet est un OVNI qui amène les services à travailler quotidiennement ensemble et à trouver des solutions collectivement. Nous avons souvent très peu de temps pour prendre des décisions. Les services sont réactifs et d’une agilité extraordinaire”.

Même position du côté du directeur technique : “C’est difficile de me surprendre ! Pourtant, je suis toujours étonné par l’implication de tous les services de la Ville. Ils sont à l’écoute et nous n’avons pas besoin de demander les choses deux fois. Tout ceux qui travaillent dans cette commune sont à fond !”.

Troupe éphémère du TNP, 2021 - Photo © Christophe Raynaud de Lage

Troupe éphémère du TNP, 2021 – Photo © Christophe Raynaud de Lage

Cette fierté ne s’épanouit pas en vase clos, entre les murs de la Mairie. Elle est portée par la Ville toute entière et par ses habitants. Le Maire avoue d’ailleurs avoir été saisi par une puissante émotion lors de l’inauguration : “À l’issue des discours, lorsque la foule s’est mise à rugir, je me suis dit ‘la Culture est capable de faire cela ? De raconter cela ?’ La Culture est capable de dire : vous êtes de cette Ville, de ce moment, de cette histoire. La fierté des Villeurbannais m’a vraiment touché”.

Co-construction, transversalité, vision à long terme, sincérité, capacité à communiquer sur le sens, … Voici quelques-uns des ingrédients mobilisés avec succès par la ville de Villeurbanne. Des enseignements sont sans doute à en tirer. Ces derniers dépassent la seule dimension artistique et rejoignent le champ du management d’équipe. Certains projets fédèrent ; certaines initiatives mettent en mouvement, sont porteuses d’enthousiasme et ne sont pas vécues comme un poids supplémentaire. La capitalisation de cette expérience est un enjeu majeur parfaitement identifié par la ville de Villeurbanne. Un colloque sera organisé sur le sujet, en collaboration avec l’Observatoire des politiques culturelles. Une rencontre qui s’annonce déjà comme passionnante et riche d’enseignement.

 

 

Notes

(1)   Festival de quatre jours dans l’espace public, géré en régie directe par la ville de Villeurbanne

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