Sète, Manitas de Plata en ses murs

Toutes les photos sont de © Lisa Ricciotti

Il en est qui transporte leur poésie dans les murs. Nous l’avons déjà dit, c’est vrai. Rudy Ricciotti est de ceux-là. À Sète, le nouveau Conservatoire Manitas de Plata – un chantier conduit par Pierre di Tucci du cabinet d’architecture Signal, associé à la maîtrise d’œuvre – porte la griffe Ricciotti et le nom de Ricardo Baliardo, guitariste gitan aux mains d’argent. Élégance dans la conception, finesse dans le choix des matériaux, beauté, simplicité. Une visite en compagnie de Guy Sbarra, directeur du Conservatoire, et une conversation avec Pierre di Tucci ont été de nature à confirmer le soin mis à l’ouvrage. Des cœurs battants qui parlent vrai, qui aiment les gens et qui sont à ce qu’ils font.

Parvis du CRI, entrée principale, façade nord

Parvis du CRI, entrée principale, façade nord

Lames de pierres noires des Pyrénées

Le Quai des Moulins borde le Canal de la Peyrade. Ce sont des anciens chais dans un site portuaire, héritage d’un XIXe siècle industrialo-portuaire, qui viennent d’être déconstruits puis reconstruits. Ricciotti, qui s’affaire à placer la beauté au cœur de la vie des êtres, ne prend jamais en otage les sites. Il va traquer dans les formes ce qui respire l’esprit d’un temps. Le conservatoire Manitas de Plata est plein de l’esprit des chais. Les cinq trames de chais travaillés s’écrivent dans le gabarit des chais existants. “Le bâtiment existant était posé sur des terre-pleins perméables à l’eau. Il y avait des remontées capillaires et c’était très difficile à traiter. Les murs étaient en très mauvais état, le pourcentage d’hygrométrie étant très important. Il fallait renforcer les sols.

Quai des Moulins, façade sud

Quai des Moulins, façade sud

Fort de ces constats le choix de reconstruire sur le même gabarit s’est imposé. “Les chais étant des bâtiments aveugles – une nécessité pour la conservation du vin – nous avons souhaité conserver cet esprit mais en imaginant des ouvertures et des patios ; un peu comme si nous avions creusé dans les bâtiments existants. Nous avons habillé les façades en lames de pierres noires des Pyrénées, pour conserver l’image.” Le clivage de la pierre noire des Pyrénées, taillée à la main, crée une vibration tout à fait étonnante. L’épaisseur des pierres assemblées en brise-soleil varie de 8 à 12 cm. “Ce sont des éléments de 2,50 m qui reposent, en alterné, sur des épines métalliques.” Pour le poète Ricciotti, ces chais ont sauvegardé une image pictorialiste du XIXe siècle. Les volumes ont été conservés. Cinq trames de 9 m dans lesquels des vides ont été creusés pour amener la lumière. Deux patios, un atrium central, une partie en préau, une rue intérieure, … “Pour aller chercher la lumière, il a fallu que nous découpions des espaces du toit jusqu’au sol”, précise Pierre di Tucci.

Lames de pierre noire des Pyrénées

Lames de pierre noire des Pyrénées

Puissance de la matière

Ce chantier de 6 500 m2 a fait l’objet d’une étude très poussée sur le bâtiment, sur sa structure (fondations, voile et planchers courants, plancher de grande portée). Les gravats provenant de la démolition ont été utilisés pour renforcer les sols. Comme toujours avec Ricciotti, les métiers et savoir-faire – maçon, coffreurs, boiseurs, couvreurs, tailleurs de pierre, … – s’expriment avec une virtuosité et un soin tout particulier, comme les instruments d’un orchestre parfaitement ouvragés guidé vers une interprétation de la plus haute exigence. Les matériaux sont toujours choisis dans un périmètre proche, la pierre calcaire lacustre dite noire des Pyrénées, les carreaux de ciment noirs et blancs (une création originale), la pierre tendre, le calcaire coquillé servant de chaînage vertical et d’appui de baie se nomme Amarillo Fossil, en sous-bassement le calcaire jurassique de la Gardiole, … Les escaliers centraux sont recouverts de merbau, un bois dur rouge flammé brun ; le nez de marche, en marqueterie, inclus un bois différent ; les gardes-corps pour cet intérieur cossu travaillés avec des moulures en plomb apportent la touche XIXe.

Atrium ouvert, cour intérieure, entrée principale

Atrium ouvert, cour intérieure, entrée principale

Le choix des matériaux est essentiel”, intime Pierre di Tucci. Ce qui frappe dans cet ensemble de bâtiment d’une simplicité élémentaire, c’est la beauté et le regard affuté dans le choix des matériaux. Ces sols en carreaux de ciment recouvrant des grands couloirs où sont distribuées les salles – cinquante-huit – portant toutes le nom d’un musicien ou d’un compositeur, de Béla Bartok à Georges Brassens, de Wolfgang Amadeus Mozart à Astor Piazzola, de Georges Gershwhin à Jimi Hendrix, et une salle Louis Jouvet dédiée à l’art dramatique qui a aussi sa place au Conservatoire. Les salles sont blanches, de configurations variables relativement à l’instrument pratiqué. Les patios centraux inondent les espaces de lumière. Un auditorium de 400 places équipé d’un plateau de 142 m2, de loges et d’un lieu de stockage accessible par le lointain vient terminer cet ensemble. Un pôle administratif comprend un lieu d’accueil des élèves. Il y a également une bibliothèque, une instrumenthèque et une salle dédiée aux professeurs.

Escalier en merbau, sol en carreaux de ciment

Escalier en merbau, sol en carreaux de ciment

Habiller la ville

Le Conservatoire Manitas de Plata s’inscrit dans un vaste projet mené par l’Agglomération d’habiller le côté est de la ville. Il est question de l’implantation du MIAM (Musée international des arts modestes) et que cette entrée de ville devienne un grand pôle culturel. Il est question également d’intégrer des résidences d’artistes. Guy Sbarra, pianiste et professeur de piano, est devenu le directeur du Conservatoire il y a quatre ans. Alors qu’il s’apprête à prendre sa retraite, il est juste et touchant dans sa manière de défendre la nécessité de choisir des artistes à la direction des conservatoires. Une âme inspirée, qui aime la musique et qui, en quatre années, a su créer une classe de tuba, de violoncelle et d’art dramatique. Il a préparé le terrain à son successeur, Grégory Rattez, pour la mise en place d’une classe CHAM (Classe à horaires aménagés pour la musique).

Auditorium Maurice Ravel

Auditorium Maurice Ravel

Il a fait venir un pianiste de jazz pour créer une classe de piano jazz, lancé la musique actuelle et, sur le modèle de Démos, travaille à un orchestre à l’école. Le lieu est beau, et au moment où de nombreux tiers-lieux naissent dans des configurations parfois hasardeuses et sans grand soin, nous sommes tentés de penser qu’il ne faut jamais renoncer à la beauté, et que quelques 2 000 enfants venus de Sète et des villages alentours vont pouvoir profiter de ce temple de la musique. Il est difficile de ne pas saluer le choix de nommer ce Conservatoire Manitas de Plata, musicien autodidacte, fils spirituel de Django Reinhardt, dont le disque Pélerinage gitan aux Saintes Maries de la Mer, sorti en 1957, lui vaut ces mots de Jean Cocteau : “Le disque ne ressemble pas à ces conserves de beauté qu’on nous livre dans la cellophane. Il est direct et pur comme le style flamenco et voilà de la beauté prise au piège. On me parle d’une chicane au sujet du droit. Cela m’étonne. Aucune danse flamenco ne se ressemble, malgré un rythme ancestral. Ce disque est admirable”. Une exposition très bien documentée retrace la vie du musicien. Il semblerait qu’à Sète, quelque chose se soit aligné.

Grande salle de répétition

Grande salle de répétition

 

 

  • Maîtrise d’ouvrage : Sète Agglopôle Mobilité
  • Architecte mandataire : Rudy Ricciotti
  • Architecte associé : Architecture Signal (Pierre di Tucci)
  • Acoustique : Atelier Rouch
  • Structure : Lamoureux et Ricciotti ingénierie

 

  • Surface : 6242 m2 (SU), 6463 m2 (SDP)
  • Calendrier : démarrage du chantier en 2017, livraison en 2021
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