Bois et polyvalence
Les équipements de la Scène de Bayssan à Béziers ont été inaugurés en juillet 2021. Un ensemble de trois constructions réalisé par l’agence K architectures pour le Conseil départemental de l’Hérault. Ce vaste ensemble, dédié au spectacle vivant sous toutes ses formes, allie avec équilibre bois local et béton. Le projet a été sacré lauréat 2021 du Prix régional de la construction bois d’Occitanie dans la catégorie “Se divertir”.
Les équipements du Domaine de Bayssan sont désormais pérennes mais ils ont su conserver leur âme circassienne. Les lieux sont dominés par un amphithéâtre extérieur et deux bâtiments en bois circulaires, accolés l’un à l’autre. Ces deux soucoupes de dimensions différentes sont un hommage évident aux chapiteaux de toiles qui, auparavant, occupaient cet espace appartenant au Département de l’Hérault, à Béziers, au cœur de la plaine viticole qui s’étend entre la ville haute et le littoral du Golfe du Lion.
Exit Sortie Ouest…
Livré à la fin de l’année 2020 et inauguré en juillet 2021, ce complexe dédié au spectacle vivant est implanté au cœur d’un ancien domaine agricole qui fut tour à tour possédé par de grands propriétaires terriens et une congrégation religieuse. Il est acquis par le Conseil général dans les années 80’. Le vaste ensemble de 160 ha comprend un grand parc arboré ainsi que plusieurs bâtiments dont certains abritent une antenne de la Bibliothèque départementale de prêts mais également une charmante petite église désacralisée où sont aujourd’hui organisés des concerts. Car l’endroit est depuis longtemps orienté vers la Culture. Le Département choisit d’y installer un chapiteau de toile en 2006 ; une construction légère et démontable qui peut accueillir jusqu’à 300 spectateurs. Un chapiteau de taille plus réduite est monté à ses côtés pour faire office de restaurant et hall d’accueil. Baptisé “Sortie Ouest”, en référence à la proximité du site avec l’autoroute A9, ces toiles serviront à la diffusion de spectacles et à l’organisation de résidences jusqu’à la toute fin des années 2010.
Sortie Ouest avait trouvé son public. Et, pour le Conseil départemental, il devenait urgent de lui réserver un écrin plus confortable. “L’hiver, nous chauffions les oiseaux avec une soufflerie. L’été, il était impossible d’organiser des représentations à cause de la chaleur. Ce n’était pas raisonnable d’un point de vue environnemental”, commente Hélène Avril, chargée des opérations de constructions neuves pour le Département de l’Hérault. Les toiles étaient aussi soumises à rude épreuve par le vent qui souffle souvent fort dans ce secteur du Languedoc.
Par ailleurs, la volonté de la collectivité de prolonger son engagement en direction du spectacle vivant, après le transfert du Domaine d’O à la Métropole de Montpellier en 2017, n’est sans doute pas étrangère à la création de nouveaux aménagements en “dur” à Bayssan. Nous noterons à ce propos que cette réalisation, œuvre de l’agence parisienne K architectures, recourt largement au bois et comprend un théâtre non couvert. Il fait ainsi écho à deux éléments forts de l’identité du Domaine d’O : une approche environnementale affirmée et la possibilité de profiter de la douceur des soirées estivales méditerranéennes pour présenter des spectacles en plein air.
Chapiteaux pérennes
Le maître d’ouvrage souhaitait disposer d’équipements polyvalents pouvant aussi bien accueillir du théâtre, du cirque, que des concerts de musiques amplifiées ou de musique classique. “Il s’agissait d’être polyvalent car, en plus des spectacles, nous recevons aussi des conférences et pouvons louer les espaces pour des salons. La grande salle se devait d’être très modulable. Beaucoup de réseaux ont été tirés pour pouvoir nous adapter à de multiples cas de figure”, témoigne Christophe Robin, directeur technique de la Scène de Bayssan. Cette polyvalence se traduit notamment dans les différentes configurations possibles offertes par le Théâtre couvert (Théâtre Michel Galabru). “Le Département souhaitait conserver les dimensions des chapiteaux. Nous avons proposé d’augmenter un peu le vide de la cage de scène pour pouvoir accueillir un plus grand nombre de spectateurs”, poursuit-il.
Si l’extérieur du bâtiment principal évoque indubitablement l’univers du cirque, son aménagement intérieur est celui d’une salle de spectacle conventionnelle, avec un classique dispositif frontal. Un gradin rétractable disposé en trois pans coupés peut contenir 432 personnes au maximum. Le retrait possible de la partie centrale permet de réduire la jauge (200 places). Le gradinage peut également être ramené à 250 places via l’installation d’un rideau de partition, suggérant ainsi une plus grande proximité entre artistes et public. Enfin, une configuration debout autorise la salle à recevoir jusqu’à 1 450 personnes.
La scène présente les dimensions suivantes : 7,80 m sous porteuses, 22 m d’ouverture et 15 m de profondeur. De l’avis même de Christophe Robin, l’un des points forts du Théâtre est sa praticité, l’ensemble étant doté de circulations en hauteur s’avançant plusieurs mètres devant la scène et offrant de nombreux points d’accroche.
Les deux “chapiteaux” sont reliés l’un à l’autre. Le public entre dans le hall/billetterie, large couloir qui épouse la courbe du petit chapiteau, avant de pouvoir accéder à la grande salle, située dans le Théâtre Michel Galabru. Le petit chapiteau comprend également en son centre un vaste espace circulaire ouvert faisant office de bar et de restaurant, et disposant d’une cuisine et de sanitaires. Sa configuration se prête bien à la présentation de petites formes et de spectacles de type “cabaret”. Le plafond conique, dont les pentes sont soulignées par un ensemble très graphique de luminaires/guirlandes, rappelle là encore l’univers du cirque.
Thomas Ehrhardt, architecte en charge du suivi du projet pour K Architectures, confirme que l’agence a été guidée par “l’histoire récente du lieu” pour effectuer cette réalisation. “L’architecture éphémère des chapiteaux était à la fois profondément différente mais aussi foncièrement salutaire dans le paysage. Son esprit bohème et fantasque enchantait le domaine. Nous avons tout simplement tenté de reproduire son apparence et son âme circassienne à travers une architecture permanente”, poursuit-il. “En mémoire aux trois chapiteaux de toile du Théâtre Sortie Ouest, le projet se scinde en trois corps d’architecture. C’est ainsi que le cercle des chapiteaux est la figure principale qui génère les formes. La volumétrie de l’enveloppe a ensuite été sculptée pour évoquer les plis des toiles tendues, sous le registre du triangle. Enfin, le bois a été appareillé en claire-voie sur les façades pour se rapprocher de la légèreté des enveloppes des cirques.”
Bois plissé
L’usage du bois est en effet l’un des marqueurs de l’identité architecturale du Théâtre Michel Galabru et du restaurant/accueil ; bois qui constitue l’ossature des bâtiments mais que nous retrouvons aussi bien en parement à l’intérieur qu’en bardage à l’extérieur. Un élément “avant tout utilisé pour intégrer les édifices avec un maximum de délicatesse dans le paysage. Ce matériau nous a semblé le plus naturellement lié au contexte rural dans ses composants les plus heureux comme les platanes, les graminées sauvages et les pierres des bâtiments vernaculaires voisins”, explique Thomas Ehrhardt.
L’architecte invoque également des arguments environnementaux pour justifier ce choix : “Le bois, s’il est correctement prélevé dans la nature, répond bien à l’alarme écologique mondiale qui demande de limiter drastiquement l’impact écologique des activités de l’humanité”. Tout en précisant que l’épicéa qui compose la structure (bois massif et lamellé collé) “est en majorité d’origine régionale c’est-à-dire d’Occitanie ou de Nouvelle-Aquitaine. Seul le bardage en mélèze a été importé d’autres pays européens. Tous les bois sont certifiés PEFC (Programme de reconnaissance des certifications forestières)”.
Mais le recours à ce matériau a aussi permis au maître d’œuvre de tenir des délais serrés. “En ce qui concerne la technique, le bois répondait très bien à la période de mise en œuvre très courte demandée par le programme de notre client”, renseigne Thomas Ehrhardt. “Le projet n’intègre pas de solution bois particulièrement innovante mais les techniques utilisées sont assez avancées. L’ensemble de l’enveloppe est réalisé avec des modules préfabriqués en atelier à l’aide d’outils technologiques et numériques. Cela concerne les panneaux des murs intérieurs, les panneaux de façade et ceux de couverture pré-zingués.” En tout, le chantier a duré dix-huit mois, période comprenant les moments durant lesquels les opérations ont dû être interrompues au début de la crise sanitaire.
La façade est traitée selon différents plans recouverts de bardage, produisant un effet “découpé” prolongé en hauteur par la géométrie des toitures en bac acier. L’ensemble dégage une impression de “plié-déplié”, clin d’œil stylisé à la toile de chapiteau. Les deux chapiteaux sont isolés avec des panneaux de fibre de bois de 24 cm d’épaisseur, matériau naturel et biodégradable. Le chauffage, la ventilation et le refroidissement sont assurés par une pompe à chaleur air/eau réversible avec appoint en eau chaude et fraîche. “À cause de leur utilisation très particulière, les salles de spectacle (ERP type L) ne sont pas soumises aux règlementations thermiques. En effet, leur utilisation est, le plus souvent, très intense mais également très ponctuelle comparée à d’autres équipements publics. Néanmoins, les salles de spectacle du domaine de Bayssan ont été conçues en accord avec les réglementations en vigueur, dans le but de limiter les consommations d’énergie du bâtiment : usage de matériaux biosourcés, isolation et étanchéité à l’air renforcées, compacité, système aéraulique performant et programmable”, commente l’architecte.
Une efficacité énergétique et une étanchéité à l’air confirmées à l’usage par Christophe Robin : “Les bâtiments sont bien isolés. À tel point que nous sentons tout de suite l’air arriver de l’extérieur dès que nous ouvrons une porte. Par ailleurs, le système de chauffage et la climatisation sont parfaitement silencieux, ce qui est appréciable lorsque nous exploitons un équipement de ce type”.
Amphithéâtre minéral
Fort visible, le bois n’est cependant pas le seul matériau utilisé en structure. Loin de là. Également bien présent mais plus discret, le béton compose notamment l’imposante cage de scène du Théâtre Galabru et les murs de refend. Béton que nous retrouvons de manière brute et davantage ostentatoire dans l’amphithéâtre extérieur. La toiture métallique qui protège la scène de cette grande demi-lune, ses lignes graphiques et sa teinte noire, répondent aux couvertures qui coiffent les chapiteaux, conférant une unité esthétique à l’ensemble.
L’imposant gradin en béton peut recevoir jusqu’à 965 spectateurs. Utilisé du mois de mai au mois de septembre, cet équipement d’extérieur n’a rien à envier à son homologue “fermé” d’un point de vue technique. L’ouverture de la scène est de 20 m, sa profondeur de 12 m ; mais il est possible d’augmenter celle-ci de 8 m via l’installation d’un proscenium. La hauteur sous pont est de 9 m. Là encore, des circulations en hauteur facilitent la vie des intervenants techniques (signalons notamment la présence d’une longue passerelle semi-circulaire surplombant l’avant-scène). La régie est creusée dans le gradin minéral. Les arrière-scènes sont les seuls espaces demeurant à couvert de l’amphithéâtre. Loges et foyers destinés aux artistes sont distribués dans les étages, côté jardin. Une aire de service encadre le plateau dont elle est séparée par l’intermédiaire de six immenses portes. Particulièrement maniables, ces dernières peuvent également faire office de découvertes.
Plusieurs espaces de stockage ont été prévus, dont un de grande hauteur côté cour, à proximité de l’aire de déchargement. Stockage que nous trouvons également sous les gradins. Les spectateurs accèdent à ces derniers par des escaliers latéraux qui longent le mur d’enceinte. Les façades extérieures sont bardées de motifs géométriques en bois rappelant les formes découpées des deux chapiteaux. Vu de loin, l’hémicycle semble posé sur la vaste esplanade aménagée devant les bâtiments. Inspirée des théâtres antiques, sa forme et sa présence viennent aussi souligner que Bayssan était déjà fréquentée par les Romains, au IIIe siècle avant notre ère.
Une vaste esplanade minérale
Les trois bâtiments du la Scène de Bayssan s’agencent sur une grande esplanade artificialisée, agrémentée de quelques arbres. Une volonté des maîtrises d’ouvrage et d’œuvre de disposer d’une surface ouverte pour pouvoir recevoir des manifestations en extérieur ou des aménagements provisoires. Comme le précise Thomas Ehrhardt, architecte de l’agence K Architectures, “la flexibilité des salles de spectacle, scène et salle, est une des qualités les plus déterminantes pour assurer l’accueil des formes les plus variées de spectacles. Pour les abords, nous avons cherché à dégager un vaste espace minéral épuré de toute occupation permanente afin que toutes les urbanités puissent apparaître en fonction de la programmation culturelle du domaine : chapiteaux, scènes, banquets, barnums, …”. De fait, s’il ne comporte plus de toile de cirque, le domaine ne s’interdit pas d’accueillir de nouveaux des constructions éphémères.