Un point d’étape sur l’état des négociations
Toutes les photos sont de © Agi-Son
Depuis la mise en application du décret du 7 août 2017 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés – dit décret son – les professionnels du spectacle n’ont eu de cesse de montrer les incohérences de ce texte dangereux et inapplicable en l’état. Le ministère de la Culture l’avait sans doute compris puisqu’en janvier 2020, Franck Riester promettait la réouverture des négociations et qualifiait la situation “d’imbroglio” (sic). Une crise sanitaire plus tard, où en sommes-nous ? La question est posée à l’association Agi-Son. L’occasion d’identifier les points de blocage et les évolutions qui pourraient trouver leur place dans un arrêté d’application très attendu.
Résumé des épisodes précédents
Le décret du 7 août 2017 n°2017-1244 relatif à la prévention des risques liés aux bruits et aux sons amplifiés ne fait pas partie de ces textes juridiques qui vivent une vie paisible. Pourtant, nous aurions pu imaginer une forme de consensus concernant ce sujet. Prévenir les risques auditifs et préserver le cadre de vie. Pourquoi s’y opposer ? C’était sans compter les nombreuses difficultés techniques liées au dossier. Comment règlementer le “son amplifié” au sens large (ce qui ne concerne pas uniquement le secteur du spectacle) ? Comment agir sur le plein air de manière efficace et sensée ? Comment prendre en compte de façon simple un sujet aussi complexe que l’acoustique et la physique du son ?
Face à la difficulté de la tâche, les parlementaires ont privilégié la rapidité d’action. Il en résulte un texte sorti trop vite, qui ne prend pas en compte les réserves émises par les professionnels. Ces derniers demandaient des expertises complémentaires, suggéraient l’absence de références aux niveaux sonores dans le décret ou – a minima – revendiquaient une gradation de ces niveaux en fonction d’une typologie des lieux. Aucune de ces propositions n’a été retenue.
Ainsi, le monde du spectacle hérite d’un texte inapplicable… qui est pourtant entré en application le 1er octobre 2018. Le décret impose, par exemple, une limite des niveaux sonores à 102 dB(A) et 118 dB(C) “en tout point accessible au public”. Une disposition irréaliste et une balance tonale qui disqualifie de facto certaines esthétiques musicales (reggae, dub, hip-hop, …). Le décret fixe par ailleurs des niveaux sonores spécifiques pour “les activités spécifiquement destinées aux enfants jusqu’à l’âge de six ans”. Pour autant, le texte reste flou et ne se risque pas à définir ce que pourrait être “une activité spécifiquement destinée aux enfants”.
Enfin, les lieux de plein air ne sont pas épargnés par la règlementation. Il leur faut désormais réaliser une étude d’impact des nuisances sonores dont l’ampleur et le coût s’avèrent rédhibitoires. Les voilà par ailleurs soumis au respect de valeur limite d’émergences. Si le décret manque de clarté sur ce point, certains avancent qu’il n’existe plus de différences entre lieux clos et lieux de plein air. Dans cette hypothèse, une mesure des émergences de plus de 3 dB enregistrée chez un voisin pourrait entraîner une sanction. Ainsi, un riverain en délicatesse avec un festival détiendrait une arme de destruction massive. De la même manière, un maire ou un préfet qui chercherait à interdire une manifestation dispose désormais de l’arsenal adéquat.
Agi-Son entre en scène
Créée il y a plus de vingt ans à la suite du décret 98-1143 du 15 décembre 1998 (dit décret bruit), l’Association défend avec intelligence la question du son dans le domaine du spectacle. Pas de position corporatiste. L’équipe d’Agi-Son cherche à nouer le dialogue pour promouvoir une gestion sonore de qualité respectant l’audition des spectateurs tout comme la qualité artistique des projets. Fer de lance de nombreuses campagnes de sensibilisation (Peace and Lobe®, Hein ?, Mois de la gestion sonore, …), Agi-Son s’est très vite mobilisée lorsque le décret son a été mis en chantier. Présente dès les premières négociations, l’Association a déploré la sortie précipitée du texte et l’absence de prise en considération de ses remarques.
Consciente de l’impact potentiel de ce texte sur les professionnels du spectacle, Agi-Son entreprend un premier “tour de France”. Entre 2017 et 2019, l’Association va à la rencontre des techniciens, des administrateurs, des directeurs de salle, afin d’informer et de capter les difficultés spécifiques des acteurs de terrain. La richesse de ces échanges permet l’élaboration d’un premier livre blanc transmis au ministre de la Culture fin 2019. Touché ! À l’occasion des BIS (Biennales internationales du spectacle) en janvier 2020, Franck Riester s’empare du problème et annonce publiquement la réouverture des négociations. Malheureusement, les promesses n’engagent que ceux qui les formulent. Le remaniement ministériel intervient avant que les travaux d’Agi-Son ne portent leurs fruits.
Angélique Duchemin, directrice d’Agi-son explique : “Après le remaniement ministériel, nous avons compris que nous repartions de zéro. Il fallait tout recommencer et faire preuve de pédagogie”.
Un peu fatiguée mais pas découragée, l’Association se lance dans un second tour de France. Cette fois-ci, l’équipe d’Agi-Son associe les élus locaux. Ces derniers sont en effet en première ligne et se doivent de faire appliquer une règlementation qu’ils ne comprennent pas et dont les effets peuvent se révéler délétères pour l’attractivité des territoires. Le site Internet de l’Association propose de nombreux verbatims relevés à l’occasion du tour de France. Les positions sont sans ambiguïtés : “La ville est entre le marteau et l’enclume. Actuellement, nous soutenons une association qui développe un festival de hip-hop en plein air que nous voulons voir grandir. Le décret est un coup d’arrêt pour ce type d’initiative”, lance un adjoint à la Culture. “À la fin du confinement, les collectivités territoriales ont été encouragées à relancer une vie culturelle pour renouer avec la convivialité. On ne peut pas à la fois nous demander d’investir le plein air et nous mettre des bâtons dans les roues”, rappelle un autre élu.
Frédéric Hocquard, adjoint en charge du tourisme et de la vie nocturne à la Ville de Paris, Président de la FNCC (Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture) est également très clair sur la question : “Ce décret est contradictoire avec ce qui nous a été expliqué sur le plan sanitaire, à savoir qu’il y a moins de risque à faire les évènements en extérieur. […] Tout l’été 2020, le bois de Vincennes était rempli de free party et c’est pour cette raison qu’à l’été 2021 nous avons organisé de nombreux évènements pour qu’il y ait des lieux avec du bon son, encadrés par des professionnels. C’est une histoire de salubrité publique. […] Nous cherchons continuellement le point d’équilibre entre riverains et animation nocturne de la ville. C’est long à construire et ce décret ne nous y aide pas ! Il faut le modifier”.
Angélique Duchemin est catégorique : “Pratiquement aucun élu n’avait connaissance du décret son. Le texte est tellement technique que peu d’entres eux percevaient les impacts directs sur l’activité et leurs territoires”.
Prochaine étape : la rédaction d’un nouveau livre blanc dont la parution est annoncée pour le mois de février. Un nouvel outil pour accélérer la reprise des négociations.
Vers un arrêté d’application
Nous l’aurons compris, le décret son renforce l’incertitude et l’instabilité chronique qui plombent notre secteur. Un arrêté d’application pourrait-il inhiber le potentiel destructeur du décret ? Pas certain selon Angélique Duchemin. Elle explique : “Un arrêté ne peut pas venir contredire un décret. Il peut simplement préciser certaines de ses dispositions. Par exemple, nous ne pourrons pas revenir sur les niveaux sonores. Nous pouvons néanmoins clarifier les modalités de calcul de ces niveaux”. Il s’agit, en effet, d’une des principales revendications portées par Agi-Son. Laisser vivre l’idée selon laquelle le niveau sonore pourrait être mesuré uniformément “en tout point accessible au public”, c’est ouvrir la porte à une application différenciée et potentiellement absurde du texte. C’est pourquoi Agi-Son défend une méthode claire et techniquement réaliste basée sur des moyennes et une fonction de transfert pour une prise de mesure à la console (méthode dite du protocole en U). Des expérimentations ont été conduites en lieux clos avec des résultats satisfaisants. Une méthode opérationnelle pour le plein air reste délicate à imaginer. La température, le vent, l’humidité sont des facteurs perturbateurs difficiles à gérer.
Agi-Son cherche également à faire évoluer la situation concernant le niveau d’émergences autorisé et la balance tonale. Malheureusement, nous l’aurons compris, les espaces de négociation restent étroits.
Le 18 janvier dernier, le projet d’arrêté d’application était présenté en Conseil national du bruit. Un grand oral devant cette instance consultative, pilotée par le ministère de la Transition écologique.
Représentants de l’État et des collectivités territoriales, syndicats, association de riverains, experts, professionnels prenaient connaissance du projet d’arrêté. À cette occasion, l’équipe d’Agi-Son a compris que la partie n’était pas (encore) gagnée. Le texte, présenté par le rapporteur comme “modifiable” laisse augurer de nombreuses heures de réunion avant d’aboutir à une version définitive.
Esprit de dialogue es-tu là ?
Aujourd’hui, une renégociation du décret semble exclue. La directrice d’Agi-Son précise qu’il n’y a aucune ouverture de ce côté. L’Association cherche à gagner des marges de manœuvre en sensibilisant les élus locaux et nationaux. Toujours dans une logique constructive, elle demande la mise en place d’une mission parlementaire, avant qu’un nouveau remaniement ministériel ne vienne – encore – remettre la balle au centre. Angélique Duchemin indique : “Nous cherchons à faire comprendre que le décret ne concerne pas uniquement le milieu des musiques actuelles. Tous les professionnels du spectacle sont concernés. Nous voulons expliquer que le décret pose la question de la formation des contrôleurs, du plan d’investissement des salles de concert, … Il y a de nombreuses questions à traiter. Nous souhaiterions pouvoir fixer un calendrier”.
Comme toujours, l’implication paie. Le 18 novembre dernier, Agi-Son était l’invitée de la Fédération nationale des collectivités pour la culture au SMCL (Salon des maires et des collectivités locales) ; l’occasion de conduire un atelier de sensibilisation et de renforcer l’implication des élus. En parallèle, la commission Culture du Sénat et de l’Assemblée Nationale est saisie et les travaux reprennent avec les ministères de la Culture, de la Santé et de la Transition écologique.
La clé est là et Agi-Son le sait bien. L’issue se trouve dans le dialogue ; dans la recherche – parfois épuisante – du débat ; dans la concession, l’empathie, l’adoption du point de vue de son interlocuteur ; dans l’examen des possibles pour chercher à dégager un consensus.
Angélique Duchemin note par ailleurs que les festivals et les organisateurs de spectacle l’ont bien compris. Elle précise : “Aujourd’hui, aucune plainte n’a été déposée sur la base du décret son. Les professionnels sont en dialogue constant avec les riverains et les autorités de police. Certains organisateurs entrent en contact avec les services de contrôle (écologie urbaine, ARS, …). Ces derniers ne sont pas à l’aise avec cette règlementation. Ouvrir le dialogue avec eux est la meilleure manière de désamorcer les conflits”.
Pendant que l’association Agi-Son œuvre pour faire évoluer la situation au plan national, il appartient aux acteurs locaux de creuser le même sillon dans leur environnement immédiat. Nouer un dialogue constructif pour lutter contre les représentations reste l’unique moyen d’action des professionnels. Agi-Son est à leur côté, apporte soutien et ressources. Le site Internet de l’Association est d’ailleurs une mine d’informations pour ceux qui cherchent à approfondir la question. Il nous faut donc faire preuve de patience et de pédagogie. Cela tombe bien ! Depuis quelques années, les acteurs du spectacle apprennent la résilience. Patience et pédagogie, encore et toujours, jusqu’à épuisement des stocks.